En Iran, les tenants de la ligne dure se mobilisent contre l’accord sur le nucléaire
Alors que l’opposition au plan global d’action conjoint (« Joint Comprehensive Plan of Action ») conclu à Vienne la semaine dernière a surtout été scrutée à Washington, le lobby d’opposition est tout aussi virulent (bien que moins efficace) à Téhéran.
Tandis que les principaux acteurs en Iran analysent toutes les facettes du plan global d’action conjoint et ses ramifications potentielles, une prise de conscience grandissante s’opère face aux inconvénients de l’accord et à son impact potentiellement négatif sur d’autres aspects de la politique étrangère iranienne.
Si l’opposition la plus farouche se limite pour le moment aux factions adeptes de la ligne dure, de nombreuses figures influentes à Téhéran ne sont toutefois pas entièrement convaincues par les propos du président Hassan Rohani, qui a comparé le plan d’action conjoint à un match de football remporté trois buts à deux par l’Iran face à ses adversaires.
Le danger pour Rohani n’est pas le rejet de l’accord, que ce soit par le Congrès américain ou par les tenants de la ligne dure à Téhéran, mais le fait que la mise en œuvre du plan est remplie d’incertitudes et de difficultés, donnant ainsi à ses opposants à l’échelle nationale suffisamment de munitions pour mettre à mal et potentiellement faire dérailler son gouvernement.
Les Gardiens de la révolution islamique contre Rohani
En Iran, l’adversaire le plus redoutable du plan global d’action conjoint est le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), qui détient et exploite indirectement une part non négligeable de l’infrastructure nucléaire du pays.
En outre, le CGRI (également connu sous le nom de « Pasdaran ») est responsable des moyens militaires stratégiques de la République islamique, en particulier de la force de missiles balistiques relativement avancée du pays, et est donc gravement affecté par la poursuite des sanctions liées aux armes prévue par le plan.
Malgré le soutien prudent apporté par le CGRI aux diplomates iraniens tout au long du marathon de négociations, peu de choses masquent le mécontentement du haut commandement des Pasdaran face à l’issue de celles-ci.
En effet, le major général Mohammad Ali Jaafari, commandant du CGRI, a surpris l’élite politique de Téhéran en début de semaine en faisant part de son opposition au plan global d’action conjoint à la veille de sa ratification par le Conseil de sécurité des Nations unies.
En affirmant que des « lignes rouges » ont été franchies par le plan, Jaafari ne parle pas uniquement au nom du CGRI. Il se fait l’écho des craintes de l’ensemble des membres de l’appareil sécuritaire iranien face au fait que, selon eux, des concessions importantes de la part de l’Iran n’ont pas été accompagnées de récompenses crédibles de la part des puissances occidentales.
Ces craintes ne sont pas infondées, comme en témoignent les restrictions massives imposées à l’industrie nucléaire iranienne. Bien que le plan global d’action conjoint laisse intacte une grande partie de l’infrastructure nucléaire iranienne, l’Iran se retrouve néanmoins contraint de retirer plus de 90 % de ses réserves d’uranium en plus de démanteler la plupart de ses centrifugeuses.
La longueur du calendrier envisagé pour ces restrictions (au moins 15 ans) renforce les craintes du CGRI de voir une expérience et une expertise durement acquises être perdues au cours de cet intervalle.
De plus, la prévision par le plan global d’action conjoint d’une inspection des sites militaires, ajoutée au refus d’alléger les sanctions dans le secteur de l’armement, a clairement secoué le CGRI et, plus largement, l’appareil militaire et sécuritaire, qui estime que l’accord a affaibli la République islamique sur le plan militaire.
En outre, les Pasdaran sont inquiets quant au précédent créé par le plan global d’action conjoint et à une potentielle reproduction de celui-ci dans d’autres domaines de la politique étrangère. Les commandants des Pasdaran, qui, en principe, ne sont pas nécessairement opposés au dialogue avec les États-Unis, veulent clairement négocier avec les États-Unis depuis une position de détermination et de force.
Il semble que l’opinion dominante dans le CGRI est que le plan global d’action conjoint a effectivement été imposé à l’Iran en raison de sa faiblesse et de sa quête de plus en plus désespérée d’un allègement des sanctions.
Le Majlis contre le Congrès
À lui seul, le CGRI ne peut pas perturber efficacement la mise en œuvre du plan global d’action conjoint, et encore moins bloquer sa pleine acceptation d’ici septembre. Pour être en mesure de contester efficacement les principaux aspects du plan global d’action conjoint pendant la longue phase de mise en œuvre, les Pasdaran auront besoin du soutien solide et durable d’un bloc important de la classe politique.
Contrairement aux États-Unis, où le Congrès a le pouvoir de ratifier ou de rejeter l’accord jusqu’à la mi-septembre, l’Iran ne prévoit pas de rôle aussi clair pour son équivalent, le Majlis.
Malgré l’absence d’autorité juridique explicite, certains parlementaires iraniens aspirent clairement à jouer un rôle de premier plan dans le processus en imitant effectivement le Congrès américain. Cette position a été présentée énergiquement par Mohammad Reza Mohseni Sani, parlementaire éminent qui a appelé les autres députés à examiner de près le plan global d’action conjoint en vue d’opposer un veto à des clauses jugées inacceptables.
En ce qui concerne la ratification formelle de traités internationaux, l’institution qui joue un rôle décisif dans le système iranien est le Conseil suprême de la sécurité nationale (CSSN), dont le dirigeant effectif est le président en exercice.
Bien que l’appareil sécuritaire dirigé par le CGRI exerce une influence significative au sein du CSSN, essentiellement en termes de prise de décisions, celui-ci ne se trouve pas en position de monopole, ce qui rend improbable le rejet du plan global d’action conjoint.
Ainsi, les opposants au plan au sein du Majlis ont peu d’autre choix que de persister à signaler les faiblesses de l’accord et de maintenir la pression sur le gouvernement afin que ce dernier résiste aux injonctions de l’Agence internationale de l’énergie atomique quant à l’inspection des sites liés à des activités militaires.
En fin de compte, pour menacer sérieusement le plan global d’action conjoint, le haut commandement du CGRI ainsi que ses alliés au Majlis et au-delà auront besoin de changer la position de l’ayatollah Khamenei au sujet de l’accord sur le nucléaire.
Jusqu’à présent, le guide suprême iranien a affiché un soutien en demi-teinte pour le plan global d’action conjoint, d’une manière qui laisse beaucoup de place aux adversaires de l’accord pour exprimer leurs préoccupations, faute de faire dérailler effectivement l’accord.
Le discours musclé prononcé plus tôt cette semaine par l’ayatollah Khamenei, dans lequel il a écarté l’idée d’une transformation spectaculaire des relations irano-américaines, était tout autant un avertissement formulé à l’équipe du président Rohani chargée de la politique étrangère qu’une manière de stimuler le moral de la base populaire de la République islamique.
Le plan global d’action conjoint s’est déjà avéré un moment historique dans l’histoire de la République islamique. Les dirigeants iraniens se conformeront à ses dispositions tant que celui-ci se limitera strictement à la sphère nucléaire et n’ira pas jusqu’à menacer le profil stratégique d’adversaire de l’Occident au Moyen-Orient revendiqué par la République islamique.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : parade des Gardiens de la révolution iraniens, mars 2013 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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