Le Maroc observe les premiers pas d’Uber au Maghreb
CASABLANCA - Depuis quelques jours, Abbes Farhane, un chauffeur de 50 ans, démarre sa voiture à 7 heures du matin après avoir vaporisé dans l’habitacle un parfum acheté tout spécialement.
Il veut que ses clients se sentent bien dans la Mercedes Viano qu’il conduit pour Uber à Casablanca, alors il la garde propre, porte des vêtements impeccables et parle arabe, français et anglais. Comme touche finale, il pulvérise un soupçon de Davidoff. « J’ai un salaire de base, qui ne suffit pas pour vivre », dit-il. « Mais chaque semaine, je peux gagner un bonus allant jusqu'à 500 dirhams (50 dollars), ce qui fait un bon salaire. Pour cela, les clients doivent me donner cinq étoiles ».
La société de chauffeurs à la demande Uber a atterri la semaine dernière à Casablanca. Ce pôle économique du Maroc, à la circulation encombrée, compte plus de cinq millions d’habitants et des millions d'utilisateurs de smartphones. Après Le Caire, c’est la deuxième ville d'Afrique du Nord où la société s’installe. En inscrivant le Sahara occidental (que le Maroc considère comme une partie du royaume depuis 1975) comme un État indépendant dans sa liste de pays, Uber a créé le buzz.
Uber est essentiellement une application pour smartphone qui relie les clients et les chauffeurs privés. Le service a commencé le 21 juillet à Casablanca et, depuis, la clientèle a augmenté, selon Farhane. Le premier jour, il a eu quatre trajets à effectuer, le deuxième jour il en a eu sept, et le troisième jour, le nombre était passé à dix. « Je pense vraiment qu’il y un grand marché pour cela », a-t-il affirmé. « Les Marocains aiment le service et le confort. »
Farhane est arrivé près de la gare Casa Port environ quinze minutes après avoir été contacté par MEE par le biais de l'application. Tout en nous conduisant à travers les rues de la ville, il secoue la tête : non, la Mercedes Viano n’est pas à lui. Elle appartient à la société pour laquelle il travaille, elle-même un sous-traitant d’Uber.
« Je conduis dix heures par jour, de 7 heures à 17 heures », précise Farhane, qui est un ancien chauffeur de taxi et de bus pour touristes. « Puis un collègue prend le relais jusqu'à trois heures du matin. »
La destination est la rue Mohammed Diouri ; il faut un certain temps pour la trouver sur l'application car Mohammed avec deux « m » est introuvable (la carte de l’application l’orthographie avec trois). Le trajet d’environ 1 km coûtera 30 dirhams (3 dollars), ce qui est le prix minimum.
Le paiement se fait automatiquement par carte de crédit ou PayPal, donc il n'y a pas d'argent qui change de mains. Une fois qu’une voiture est commandée, l'application donne au client le nom, la photo, la plaque d'immatriculation et le numéro de téléphone du conducteur.
Cela assure une « sécurité sans précédent », affirme la directrice générale d’Uber Casablanca Meryem Belqziz. Comme Uber est encore dans la « phase de test » ici, elle choisit de ne répondre aux questions que par courriel. Elle écrit : « En outre, les usagers ont accès à une carte GPS en direct qu'ils peuvent partager avec des amis et des proches, lesquels peuvent ainsi suivre leur trajet et s’assurer qu'ils arrivent en toute sécurité. »
Uber a un historique d’incidents comprenant des vols et allégations d'agression sexuelle, mais Meryem Belqziz insiste sur le fait que les femmes devraient être en mesure d'utiliser le service en toute sécurité.
« Uber [au Maroc] travaille avec des sociétés agréées qui doivent obtenir une autorisation spéciale du ministère du Tourisme », a-t-elle expliqué. « Ces entreprises emploient des chauffeurs expérimentés et dépourvus de casier judiciaire. Nous passons au crible les sociétés, les chauffeurs et les voitures. »
À la gare de Casa-Port, les chauffeurs locaux de « petits taxis » rouges attendent les clients. Aucun des chauffeurs de taxi qui a répondu à MEE n’avait entendu parler de l'application avant, et une fois qu'on la leur a expliquée, ils ne savaient trop quoi en penser.
« Je loue ce taxi à la journée et je dois payer le carburant », explique Rachid, un chauffeur d’une quarantaine d’années. « Alors je dois gagner 350 dirhams (35 dollars) tous les jours avant de commencer à faire du profit. La concurrence est déjà élevée. Mais je pense qu’Uber est trop cher pour être une vraie menace pour nous. »
La Confédération démocratique du travail (CDT), l'un des syndicats du Maroc, ne prend cependant pas la nouvelle concurrence à la légère. À Casa, le marché pour les 15 000 taxis (8 500 petits taxis et 6 500 grands) a déjà diminué après la construction des tramways. Selon Abdelkarim Cherkaoui, membre du bureau national de la CDT et lui-même chauffeur de taxi à Casa, il n’y a déjà pas beaucoup de travail. « Les gens prennent le taxi quand ils sont pressés, pour se rendre à l'hôpital ou au palais de justice. S’ils ont plus de temps, ils prennent le bus ou le tram, qui sont moins chers. »
Son collègue Abderrahim Amaayach, également membre du bureau national, ajoute : « Uber pourrait travailler avec la permission du ministère du Tourisme, mais cette autorisation est accordée pour les touristes, pas pour un service de taxi individuel », explique-t-il. « Uber est comme un type qui travaille dans un hôtel et appelle un ami ayant une belle voiture pour amener l'un des clients à l'aéroport. Nous voyons cela comme du travail clandestin, et nous pensons manifester. »
Quelques jours plus tard, un autre chauffeur Uber s’arrête près de la gare de Casa-Port pour un deuxième test, dans une toute nouvelle Volkswagen Touareg. La destination, cette fois, est le Maroc Mall, à environ 8 km au bout de la Corniche. L'application estime qu'il en coûtera entre 78 et 90 dirhams. À la fin du voyage, le prix est de 83 dirhams, un peu plus de 8 dollars. Un petit taxi coûte 30 dirhams pendant la journée, un grand taxi partagé environ 5 dirhams et un bus encore moins.
Là où dans d'autres pays Uber a été une alternative moins coûteuse que les taxis réguliers, à Casablanca, il est en réalité plus cher.
Le marché de la classe moyenne
Meryem Belqziz reconnaît qu’Uber vise la classe moyenne urbaine et les hommes d'affaires. Il y a une demande inexploitée qui n’est pas prise en charge par les services de transport actuels, dit-elle. « Nous voyons un grand potentiel dans le marché marocain. Uber aura des prix plus élevés que les taxis, mais offrira un niveau de service différent. »
Alors que le chauffeur de la Volkswagen Touareg (qui a demandé à rester anonyme) conduit son véhicule dans la circulation intense de Casablanca, il nous montre une vieille Mercedes 240 toute rouillée, transportant sept personnes. Le chauffeur de ce « grand taxi » s’est arrêté au milieu de la route, face aux voitures arrivant en sens inverse.
« Regardez l'état de cette chose ; c’est très dangereux », s’exclame le chauffeur Uber. « Il plante sa voiture au beau milieu de la route, juste comme ça... Je me demande même s’il sait conduire. C’est vraiment dangereux. »
Le chauffeur Uber, un étudiant de 26 ans, pense que le nouveau service est « génial et très efficace ». Il estime qu'il y a environ dix voitures Uber à Casablanca maintenant. « C’est une phase de test. Le nombre de voitures, peut-être même le prix, tout peut changer. Nous sommes déjà très occupés. Cinq minutes après vous avoir déposé, j’aurai une autre course. C’est l'été, donc de nombreuses personnes ont quitté la ville. En septembre, ce sera de la folie. »
Pendant les premiers jours d’Uber à Casablanca, Amine Badre, 32 ans, l’a utilisé « au moins dix fois », estime-t-il. Amine Badre est directeur de la création de la société Initiative Numérique et possède sa propre voiture. « Mais le trafic à Casa est intense. Si vous conduisez, vous perdez beaucoup de temps à attendre, sans pouvoir travailler ».
Avant, il utilisait des taxis normaux mais parce qu’au Maroc les gens partagent habituellement les taxis, ceux-ci ne prennent presque jamais le chemin le plus court. Amine Badre n’est pas un grand fan du partage de taxi, alors il utilise d'autres services de taxi de Casablanca, comme iTaxi et Careem (par application) et Taxi Vert (par téléphone). Ceux-ci sont moins chers, mais pas de beaucoup, précise Amine.
« Uber est plus cher, oui. Le service n’est certainement pas pour tout le monde. Voilà pourquoi il n'y aura pas de guerre de taxis comme il y a eu en France. Et je suis convaincu qu’Uber va baisser les prix à l'avenir. »
Si les prix d’Uber à Casablanca ne baissent pas, le service gardera probablement le même type d'utilisateurs exclusifs. Le chauffeur Uber qui nous conduit jusqu’au Morocco Mall avoue qu'il n’a lui-même pas les moyens d’utiliser le service au quotidien.
« Ça ne me dérange pas », dit-il. « Je vois cela comme un service supplémentaire pour le Maroc. C’est étrange cependant. Je suis jeune, j’ai un smartphone, mais jusqu'à récemment, je n’avais jamais entendu parler d’Uber. Je ne pense pas que beaucoup de Marocains le connaissent encore. »
Son collègue Farhane partage cette observation. Jusqu'à présent, la plupart de ses clients sont des Marocains qui ont vécu hors du royaume pendant un certain temps – c’est là qu’ils ont utilisé Uber pour la première fois, explique-t-il.
« Les gens doivent encore apprendre à le connaître, mais je pense que ce sera un grand succès. Cher ? L'autre jour, j’ai emmené deux personnes à l'aéroport, ce qui a coûté environ 300 dirhams (30 dollars), je pense. Si un touriste prend un ‘’grand taxi’’, il va payer au moins cette somme, et sans doute plus. »
Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.
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