Cameron imite Blair dans sa criminalisation de la communauté musulmane
En tant que critique ardent de la politique étrangère britannique et de son rôle important dans la radicalisation des musulmans, j’ai été choqué par le discours prononcé hier par le Premier ministre David Cameron, pendant lequel il a présenté le plan quinquennal du gouvernement de lutte contre l'extrémisme.
Parmi ceux qui se souviennent du discours de Tony Blair au World Affairs Council à Los Angeles en 2006, beaucoup diraient que le discours de Cameron n’était ni marquant, ni innovant en matière politique. Au contraire, ces bavardages, qui ont duré une heure à l'école de Ninestiles à Birmingham, ne semblaient être qu’une régurgitation rabâchée de la rhétorique livrée par l’ancien Premier ministre pour nous faire accepter la guerre en Irak, laquelle a créé ensuite le vide duquel l’État islamique a émergé.
En relisant le discours de Cameron, on s’aperçoit qu’il contenait un certain nombre d'incohérences, d’oublis sélectifs et de déclarations d'intolérance pures et simples, dignes d’un dictateur autoritaire. Le rôle des parents dans la prévention de la radicalisation des musulmans, les « théories du complot » à propos du 11 septembre 2001, les attentats de Londres, Israël, l’« application des valeurs britanniques », le manque d'intégration, et l'extrémisme non-violent ont été quelques-uns des domaines couverts par le Premier ministre.
Une lutte générationnelle
Cameron a fait allusion à une « lutte générationnelle » dans laquelle les musulmans défavorisés ont été conquis par les idées islamistes extrêmes, au lieu d'épouser les valeurs de leur lieu de naissance. Il a commodément oublié que depuis 14 ans, les musulmans qui ont grandi pendant la « guerre contre le terrorisme », comme moi, ont été inondés d’images et de vidéos de cadavres démembrés d’Afghans et d’Irakiens et ont été témoins du bombardement de deux pays musulmans souverains, de cas innombrables de torture inhumaine à Bagram, Abou Ghraib et Guantanamo, de la montée de l'islamophobie et de l'augmentation des crime de haine contre les musulmans à l’échelle nationale, ainsi que des incessantes tentatives du gouvernement pour redéfinir des aspects de l'islam normatif.
Sans prendre en compte le contexte mentionné ci-dessus, dans quelle mesure peut-on sincèrement faire porter le blâme de cette « lutte générationnelle » à l’extrémisme islamique plutôt qu’aux méfaits des gouvernements britanniques successifs ? Ce contexte n’a toutefois pas empêché la grande majorité des musulmans britanniques de s’intégrer dans ce pays, progressant dans un large éventail de professions, et contribuant à son amélioration.
La dénonciation et l’humiliation
Ce ne fut pas une surprise lorsque David Cameron a condamné l'Union nationale des étudiants (NUS) pour avoir prétendument soutenu le groupe de sensibilisation aux dérives de la guerre contre le terrorisme, CAGE. Il est possible que sa frustration ait été accrue par la déclaration conjointe publiée la semaine dernière par 280 universitaires et membres de NUS appelant à l'abolition de la stratégie Prevent. Il était également assez malhonnête de la part de Cameron d’étiqueter de façon intransigeante CAGE comme un groupe d’extrémistes non-violents deux jours avant son procès contre la Commission des organisations caritatives. Qu’une petite organisation implantée au cœur de l'est londonien ait réussi à provoquer un tel tremblement de terre dans le cœur de l'establishment politique continue de m’étonner.
CAGE n’était pas la seule organisation musulmane dans la ligne de mire. Quand un journaliste d’ITV a mentionné l’accusation formulée par la Ramadhan Foundation selon laquelle le gouvernement « n'en avait pas fait assez » pour engager le dialogue avec la communauté musulmane afin de lutter contre l'extrémisme, Cameron a rejeté sans ménagement cette organisation comme faisant partie « des groupes qui prétendent représenter les musulmans, mais qui en sont loin ». Peu de temps après, le Comité britannique musulman des affaires publiques (MPACUK) a également été dénigré par le Premier ministre comme étant un groupe « qui ne peut être pris au sérieux » lorsqu’il prétend représenter la communauté musulmane.
Les dénonciations et humiliations futiles de ces groupes faisaient suite à un précédent commentaire formulé par Cameron dans son discours, selon lequel « condamner Daech ne suffisait pas » - suggérant clairement aux musulmans qu’ils devaient soit adopter le récit du gouvernement sur l’État islamique et les causes de la radicalisation, soit risquer d'être étiquetés comme extrémistes. En effet, le Premier ministre a élargi le spectre de ceux qui seront désormais classés comme « islamistes extrémistes », gonflant ainsi avec ses propres propos les chiffres de cette « maladie » qu'il essaie d'éradiquer.
Maajid Nawaz et la Fondation Quilliam
Je suppose que la plus grande ironie dans ce discours de croisade de David Cameron est que Maajid Nawaz de la Fondation Quilliam a aidé à le rédiger. Je suis déconcerté qu’un libéral-démocrate ayant échoué aux élections parlementaires ait aidé le chef du Parti conservateur dans la formulation d'un discours politique.
Cependant, ce qui est encore plus comique, c’est que c’est ce même Maajid Nawaz qui avait indigné la communauté musulmane pour avoir publié des caricatures du prophète Mohammed et qui avait été dénoncé par le Daily Mail pour avoir harcelé, en état d'ébriété, une danseuse d’un club de strip-tease de l’est de Londres lors du mois sacré du Ramadan. Le Premier ministre ne s’est-il jamais posé la question de savoir si Nawaz et la Fondation Quilliam « représentaient » la communauté musulmane ? L'ancien surintendant en chef de la police, Dal Babu, avait pourtant souligné que la décision d'allouer l'argent des contribuables à la Fondation Quilliam était hautement problématique dans la mesure où, d’après lui, celle-ci était considérée avec la plus grande méfiance au sein de la communauté musulmane, qui ne lui accorde que peu, voire aucun, soutien.
Comme son prédécesseur, David Cameron refuse de dialoguer avec les organisations musulmanes qui jouissent d’un soutien populaire afin de lutter contre l'extrémisme, que ce soit le Conseil musulman de Grande-Bretagne (MCB), que le Premier ministre a rejeté comme « ayant un problème » vis-à-vis de l'extrémisme, ou le Muslim Engagement and Development (MEND), dont la réputation a été ternie par The Telegraph qui considère ses membres comme des « entristes » défendant un programme islamiste lors de la course à l'élection générale.
Que faire à présent ?
La question que beaucoup de musulmans se posent maintenant avec anxiété est la suivante : « comment le discours du Premier ministre va-t-il se manifester en politiques ? ». Sans aucun doute, la rhétorique de David Cameron a indiqué un changement radical dans la nature des relations du gouvernement avec la communauté musulmane pour les années à venir.
En élargissant la définition de l'extrémisme et, essentiellement, en regroupant des centaines de milliers de musulmans britanniques pacifiques et respectueux des lois dans le même camp que l’État islamique, le Premier ministre n'a fait qu'assombrir davantage les cinq prochaines années de son mandat à la tête du pays. En permettant aux think tanks néoconservateurs comme le Henry Jackson Society et les non-entités comme la Fondation Quilliam d’influencer la politique du gouvernement, le Premier ministre a montré son manque de sincérité et de sérieux dans la lutte contre le terrorisme.
De même qu’un nombre écrasant de musulmans britanniques qui ont souligné le rôle de la politique étrangère occidentale comme facteur contribuant à la radicalisation, je crains que la dissidence politique légitime, une valeur britannique fondamentale qui est supposée être inscrite dans la Magna Carta, soit agressivement censurée.
Préoccupations personnelles
Ce que je trouve le plus alarmant, c’est que mes croyances religieuses personnelles à propos du califat, de la charia et du djihad – dans un contexte et une réalité particuliers – qui sont en ligne avec le consensus des quatre écoles de jurisprudence sunnites, soient criminalisées sous la bannière de « la lutte contre l'idéologie de l’État islamique. »
À la lumière du discours de Cameron, cela signifie-t-il que les musulmans nourrissant des opinions religieuses jugées inacceptables par les libéraux laïcs seront signalés chaque fois qu'ils postuleront pour un emploi, une adoption ou une place à l’université ?
Est-ce que cette approche musclée qui force les musulmans à assimiler des valeurs libérales laïques sous couvert d’« intégration » signifie que les parents musulmans qui ont des croyances islamiques et des opinions politiques particulières seront ciblés par les autorités comme les protagonistes de la radicalisation ?
En tant que journaliste et commentateur politique, qu’est-ce que me réserve l’avenir ? Vais-je être censuré sur les nombreuses plateformes où j’écris actuellement à cause de mes opinions religieuses et politiques ? Va-t-on m’empêcher de parler dans les universités parce que je suis un « théoricien de la conspiration » qui colporte le récit de victimisation selon lequel la Grande-Bretagne et l'Occident sont à blâmer pour tout le mal qui est arrivé aux musulmans ? Ou est-ce que les producteurs de télévision vont arrêter de m’inviter sur leurs plateaux pour discuter de questions concernant les musulmans en Grande-Bretagne et à l'étranger parce que je suis considéré à présent comme un « extrémiste non-violent » ?
Quel que soit l'avenir réservé aux musulmans, cette nouvelle page dans l'histoire de la Grande-Bretagne doit servir d’avertissement pour les écologistes, les militants anti-austérité, et tous ceux qui décident de remettre en question l’establishment : ceci n’est que la pointe de l'iceberg de ce qui vous attend dans cet État policier régressif pour les années à venir.
- Dilly Hussain est le rédacteur en chef adjoint du nouveau site d’information britannique musulman 5Pillars. Il écrit aussi pour le Huffington Post, Al Jazeera English, Foreign Policy Journal et Ceasefire Magazine. Il apparaît régulièrement sur Islam Channel, Russia Today et la BBC TV et radio pour discuter des questions politiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de la politique étrangère britannique, de l'islamophobie et de la guerre contre le terrorisme. Retrouvez-le sur Twitter @ dillyhussain88.
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre britannique David Cameron prononce un discours à l'Académie de Ninestiles, Birmingham, le 20 juillet 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Margaux Pastor.
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