Qu’est-ce que le droit d’asile a à voir avec ça ?
Un blog du rédacteur en chef d’Al Jazeera, Barry Malone, publié sur le site anglais du média, a provoqué un débat sur le vocabulaire en usage pour désigner les personnes qui traversent la Méditerranée.
Malone soutient la décision du directeur de l’information d’Al Jazeera anglais, Salah Negm, de ne plus utiliser le mot « migrant » dans ce contexte, et de le remplacer par le terme « réfugié ». Malone affirme qu’il s’agit d’un souci d’exactitude ; c’est aussi une tentative de la part d’Al Jazeera pour redonner une « voix » à ceux qui traversent les frontières.
En bref, la discussion concerne la représentation politique des personnes en cours de déplacement. Bien que plein de bonnes intentions, ce changement ne s’avère ni légalement exact, ni utile dans le combat pour obtenir le droit d’asile.
Les étiquettes n’existent pas en vase clos : elles sont influençables et reflètent le contexte politique du jour, ainsi que les hiérarchies politiques des individus qui quittent leur pays de naissance pour aller vivre ailleurs. En outre, le langage tente de simplifier des réalités politiques et des catégories sociales complexes.
L’article de Barry Malone expliquant pourquoi Al Jazeera a remplacé le mot « migrant » par celui de « réfugié » a été très bien accueilli, et de nombreuses personnes appellent désormais les autres organes de presse à suivre l’exemple d’Al Jazeera.
La terminologie suggérée par Al Jazeera n’est cependant pas exacte et pourrait en fait diluer et même éroder la notion de « réfugié », et donc ne pas du tout contribuer à la cause. En outre, et contrairement aux intentions louables d’Al Jazeera, recadrer le débat de la sorte ne donne pas davantage la parole aux personnes en déplacement.
Presque tous les individus qui arrivent en Europe illégalement, en bateau ou par un autre moyen, font une demande d’asile ; ils sont par conséquent « demandeurs d’asile ». Depuis une dizaine d’années, le terme a acquis un sens très péjoratif en Europe, mais il s’agit en fait d’une définition politiquement neutre qui devrait être réintégrée dans notre discours politique.
L’institution du droit d’asile (du grec asylon qui signifie sanctuaire, refuge) établit le droit d’être reconnu en tant que réfugié et de recevoir une protection légale.
Al Jazeera a raison de décider d’utiliser le mot « réfugié » étant donné qu’un demandeur d’asile est de facto un réfugié, c’est-à-dire quelqu’un qui a quitté son pays d’origine, a demandé l’asile et attend la reconnaissance de son statut. Une fois que celui-ci lui a été attribué, cette personne devient un réfugié de jure. Il s’agit toutefois d’une discussion d’un ordre plutôt académique, qui n’est pas la plus appropriée au langage des médias.
On trouve rarement dans la vie réelle de « purs réfugiés » et de « purs migrants économiques », du fait que les individus fuient à la fois une persécution politique et des conditions économiques désespérées. En réalité, les catégories de « migrant forcé » et « migrant économique » (autrement dit, volontaire) sont très floues dans ce que l’on appelle la connexion migration-droit d’asile, selon laquelle une extrême pauvreté découle souvent d’une instabilité politique, parce que les États faibles se caractérisent à la fois par des atteintes aux droits de l’homme et des économies en faillite.
Un autre facteur qui doit être pris en compte, c’est le fait que la nature des conflits dans le monde a changé depuis les années 1990 : 90 % des conflits modernes sont internes, les civils composent plus de 90 % des décès, et la violence sexuelle généralisée est devenue une arme de guerre.
Si l’on prend en compte l’étendue des conflits dans de nombreuses parties du monde, spécialement les « nouvelles » guerres, définies comme des disputes internes impliquant des milices et des groupes paramilitaires, il est en fait surprenant que si peu de personnes migrent. La vaste majorité n’ont tout simplement pas les moyens économiques de fuir et demeurent pris au piège dans leurs pays d’origine, au péril de leurs vies.
Le manque de séparation nette entre ceux qui fuient la persécution et ceux qui cherchent à échapper à une extrême pauvreté est exploité par les gouvernements européens renâclant à fournir un refuge à des individus désespérés. D’autre part, le mauvais traitement des réfugiés ne peut se comprendre sans tenir compte de l’offensive menée contre tous les migrants grâce au durcissement des contrôles d’immigration.
Cela ne revient pas à assimiler les réfugiés aux migrants « volontaires » ordinaires, mais à reconnaître les similarités entre les deux (ainsi, les demandeurs d’asile se voient maintenant contraints d’user des stratégies de l’immigration illégale pour entrer dans le pays dont ils solliciteront la protection), et à comprendre les règlementations des États européens qui regroupent l’asile et l’immigration sous la même législation.
Comme il est mentionné plus haut, les gens ont des raisons multiples pour quitter leur pays, donc regrouper asile et immigration pourrait alléger le fardeau des fonctionnaires de l’immigration. Cependant ce mode d’action ne sert pas les intérêts des réfugiés, mais ceux de l’État hôte, dont la fonction première est de surveiller ses portes.
S’il existait des moyens légaux accessibles aux migrants « économiques » désireux d’entrer en Europe, alors nous aurions deux systèmes séparés : un pour les immigrés, et un pour les réfugiés. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
Ce qui importe ici, c’est que la protection des réfugiés est une obligation au regard de la loi internationale, alors que les politiques d’immigration sont à la discrétion de chaque État.
Cette tension renforce la tendance d’un État à traiter les réfugiés comme n’importe quels autres migrants, par exemple en fixant des quotas pour ceux à qui on accordera l’entrée ou un permis de séjour, et en décidant du nombre de ceux qui seront déportés. De cette façon, la politique d’asile devient un élément de la politique d’immigration.
Mais les chiffres, qui sont la base d’une politique d’immigration, ne devraient pas s’appliquer ici : des personnes qui fuient la persécution ne peuvent pas planifier leur déplacement forcé, ne peuvent pas prévoir l’ampleur des violations des droits de l’homme, et ne peuvent pas attendre pour se mettre à l’abri.
L’autre problème est que l’imposition de contrôles plus stricts sur la migration des travailleurs non-qualifiés contraint des individus qui autrement seraient des migrants économiques à entrer en Europe comme demandeurs d’asile. Cela a entrainé des restrictions dans le traitement des demandes d’asile : il est actuellement à peu près impossible d’atteindre un pays sûr, ce qui est clairement une infraction au droit d’asile établi par la Convention de Genève.
En conséquence, les migrants forcés comme les migrants économiques font une bien mauvaise affaire en tentant d’atteindre l’Europe. Comme l’ont montré les morts récentes en Méditerranée et ailleurs, ils paient souvent la traversée de leur propre vie.
- Dr Natalia Paszkiewicz est coordinatrice de projets à l’IARS. Ses études universitaires étaient centrées sur l’anthropologie, les réfugiés et la politique sociale. Elle travaille dans le secteur de l’immigration depuis plus de dix ans, à la fois au Royaume-Uni et à Malte.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des migrants syriens embarquent sur le ferry Eleftherios Venizelos pour rejoindre la Grèce continentale le 23 août 2015 dans le port de Mytilène, sur l’île de Lesbos.
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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