Skip to main content

L’Amérique « éclairée » : le FBI met en garde contre des attaques de milices de droite visant des musulmans

La rhétorique antimusulmane éveille une nouvelle menace pour la sécurité aux États-Unis alors que les groupes extrémistes projettent de tuer des musulmans

Les optimistes qui croient naïvement que l’Occident « éclairé » est incapable de répéter les horreurs génocidaires du XXe siècle sont les plus sensibles aux impulsions destructrices de l’être humain.

En Amérique, une foi inconsciente dans l’État-nation, la technologie, la modernité et la science assure aux citoyens que les atrocités d’un État fasciste ne pourraient jamais s’y produire. Cependant, pour croire cela, il faut oublier que les institutions d’enseignement les plus avancées du monde occidental étaient toutes proches des chambres à gaz, comme nous le rappelle Karen Armstrong, prodigieuse historienne spécialiste des religions. Et que, il n’y pas si longtemps, des centaines de milliers de civils américains d’origine japonaise ont été harcelés, chassés de chez eux et placés dans des camps d’internement militaires. Quelques décennies plus tard, les civils d’origine russe ont fait l’objet d’une discrimination similaire.

Aujourd’hui, ce sont les musulmans qui sont les victimes des unes de la presse nationale. Le sectarisme antimusulman en Amérique est aujourd’hui à son paroxysme. Ce qui a commencé comme de simples soupçons à l’encontre des musulmans dans la foulée du 11 septembre 2001 a métastasé pour sombrer dans l’hystérie antimusulmane, et, comme l’histoire nous l’a enseigné, l’hystérie est le précurseur de la violence.

Cette semaine, un document du FBI relatif à la lutte contre le terrorisme daté de mai 2015, publié sur le site web Public Intelligence, montre que l’organisme fédéral américain d’application de la loi a élargi son alerte terroriste en incluant de probables attaques de milices de droite contre des musulmans.

L’avertissement du FBI indique :

« Des milices extrémistes élargissent leurs cibles pour inclure les musulmans et les institutions religieuses islamiques aux États-Unis. Cela a entraîné une recrudescence de la rhétorique violente et des projets d’actes violents, et pourrait sur le long terme déboucher sur une accentuation du harcèlement ou des violences perpétrées par des extrémistes nationaux à l’encontre des musulmans. Le FBI réalise ces évaluations avec un haut degré de confiance, sur la base d’un grand nombre de rapports de sources générés principalement depuis 2013. Ces informations renforcent l’analyse préalable du FBI selon laquelle les milices extrémistes établies ciblent le personnel du gouvernement et les agents des forces de l’ordre, les menaces présumées d’origine étrangère et les individus ou institutions qui cherchent à limiter les droits conférés par le deuxième amendement ».

Selon le document, le FBI a constaté une augmentation de la surveillance des mosquées et du recours à la violence contre les musulmans par des milices armées au cours des deux dernières années. Chose effroyable, le FBI relève qu’un groupe de miliciens du Mississippi a « émis l’idée d’enlever et de décapiter un musulman, puis de publier une vidéo de l’attaque sur Internet », tandis qu’un autre « a publié des appels sur les médias sociaux pour tuer des musulmans assistant à des services religieux ».

De manière significative, le FBI affirme que ce sont la rhétorique antimusulmane et les théories de la conspiration antimusulmane diffusées par « les dénonciateurs autoproclamés de l’extrémisme islamique, les blogueurs et certains médias d’information » qui ont alimenté ces milices d’extrême droite et les ont invitées à devenir ce que le FBI considère désormais comme une menace sérieuse.

D’après le FBI, « les perceptions saillantes de l’extrémisme militant qui contribuent à un parti pris antimusulman comprennent l’idée suivante : l’islam représente une menace étrangère, équivalente à celles qui émanent de l’immigration clandestine ou du terrorisme international. »

Qui sont donc les « dénonciateurs autoproclamés de l’extrémisme islamique » ?

Depuis plus d’une décennie, les bigots antimusulmans (en particulier les nouveaux athées, la droite chrétienne, le Parti républicain et ces groupes pro-israéliens vaguement identifiés sous le nom de Réseau islamophobe) dépeignent l’islam comme l’ennemi des valeurs américaines ainsi que de la civilisation occidentale elle-même.

Richard Dawkins a qualifié l’islam de « plus grand mal dans le monde d’aujourd’hui ». Ayaan Hirsi Ali s’est vivement prononcée en faveur d’une « guerre militaire » contre l’islam et, plus récemment, a affiché des liens avec ACT! For America, un groupe de haine abondamment financé. La théorie de la conspiration de la charia, qui veut que les musulmans soient en train de comploter en secret afin de faire appliquer la loi islamique en Amérique, est désormais une composante de la politique du Parti républicain. Sam Harris a quant à lui protesté contre des mosquées et mis en garde contre une « marée musulmane », aussi connue sous le nom de « bombe à retardement démographique ».

Ce sont les mêmes mèmes et complots qui ont été utilisés tant par les Soviétiques antithéistes que par le parti nazi antisémite. En établissant des comparaisons entre le sectarisme antimusulman dans l’Amérique d’aujourd’hui et l’antisémitisme dans l’Allemagne du début et du milieu du XXe siècle, Doug Sanders, auteur de The Myth of the Muslim Tide: Do Immigrants Threaten the West ?, note qu’en dépit du fait que « les juifs étaient confrontés à la haine et à la méfiance dans les pays occidentaux depuis des milliers d’années », c’est la migration massive de millions de juifs d’Europe de l’Est au cours de la période de 1870 à 1945 qui a « fait grimper le dégoût et la peur à un degré jamais observé auparavant en Occident ».

Les activistes antisémites ont dépeint les croyants juifs comme de potentiels ennemis nationaux et comme une menace pour les valeurs laïques occidentales. « En Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, le résultat était l’intolérance et l’exclusion, mais en Europe centrale, c’était purement et simplement la haine et le meurtre, portés à leur apogée avec l’Holocauste », note Sanders.

Dans l’Amérique d’aujourd’hui, les musulmans, qui représentent plus de 2,5 millions d’habitants, se retrouvent confrontés à une réalité située quelque part au milieu des deux paliers énoncés par Sander, c’est-à-dire « l’intolérance et l’exclusion » d’un côté et « la haine et le meurtre » de l’autre.

La façon dont les musulmans américains mènent leur vie importe peu pour ces bigots antimusulmans. Le simple fait qu’ils soient musulmans signifie qu’ils sont au mieux stupides et au pire violents, et qu’il faut donc remédier à cela, soutient le bigot.

Après tout, si vous croyez que l’islam est « la plus grande force du mal dans le monde d’aujourd’hui » et si vous croyez que l’islam est violent, irrationnel et intolérant, « alors que ne feriez-vous pas pour débarrasser la société de cela ? », a demandé Reza Aslan, prodigieux commentateur spécialiste des religions, aux nouveaux athées. Dans une interview, Karen Armstrong s’est montrée pour sa part désespérée face au fait que le langage employé par les extrémistes laïcs, en particulier les nouveaux athées, « est le genre de discours qui a donné naissance aux camps de concentration ».

Comme l’ont démontré les grands philosophes de la pensée morale, si nous progressons matériellement, techniquement et intellectuellement, nous ne progressons pas moralement, et il n’y a rien dans l’histoire de l’humanité qui puisse nous faire penser le contraire. Notre penchant pour l’irrationnel reste aussi naturel que le fait de respirer, ce qui explique pourquoi l’Occidental « éclairé » peut parfaitement associer « les avancées technologiques, scientifiques et intellectuelles et la soif ancienne et primitive de violence, de domination et de mort ».

Omer Bartov, historien largement considéré comme le plus grand expert mondial sur le thème du génocide et de l’Holocauste, affirme que ce n’est pas le SS imbécile et brutal que nous ne pouvons pas comprendre : « Nous avons vu des individus de ce type tout au long de l’histoire. C’est le visage du commandant d’un escadron de la mort titulaire d’un doctorat en droit d’une université distinguée et chargé d’organiser des fusillades de masse de femmes et d’enfants qui nous effraie. Ce ne sont pas la maladie et la famine dans les ghettos, qui rappellent peut-être les sièges des temps anciens, mais la déportation, la discrimination, la dépossession, les massacres et la distribution d’effets personnels réquisitionnés, devenus systématiques, qui nous laissent dans l’incompréhension, non pas pour le fait en soi, mais pour les conséquences pour notre propre société et pour le psychisme humain. »

Suis-je en train de suggérer que le feu d’un potentiel génocide contre les musulmans américains a été allumé ? Je ne sais pas. Certes, il est improbable que l’État puisse sombrer un jour dans cet abîme impensable. Mais le nœud du problème réside dans le fait que les forces de l’ordre ont identifié la menace de la violence non-étatique (les milices) contre les musulmans et que nous devons la prendre au sérieux, ce qui implique d’identifier et de confronter ceux que le FBI a identifié comme étant les « dénonciateurs autoproclamés de l’extrémisme islamique ».

Aucune attaque terroriste cataclysmique d’inspiration djihadiste ne s’est produite sur le sol américain depuis 2001. Et il n’y en a jamais eu avant le 11 septembre. Mais comment ceux qui ont été amenés à croire que l’islam est l’« ennemi de la civilisation occidentale » réagiront-ils le lendemain ou le surlendemain d’un nouvel attentat catastrophique en Amérique ?

La semaine écoulée, à elle seule, constitue un avertissement qui fait froid dans le dos.

Un membre du KKK a été arrêté pour avoir projeté de construire une « machine à rayon de la mort » afin de tuer des musulmans en projetant du gaz radioactif toxique dans un certain nombre de mosquées. Au Texas, un législateur a partagé sur sa page Facebook une publication suggérant de larguer une bombe atomique sur la population musulmane. George Zimmerman, qui a été acquitté du meurtre de Trayvon Martin en 2013, a entamé une collaboration avec un propriétaire de magasin d’armes qui promet à ses clients une « zone sans musulmans ». Jon Ritzheimer, athée convaincu qui a coordonné récemment la vague de protestation contre la mosquée de Phoenix, a promis une effusion de sang contre les musulmans.

Pendant ce temps, le premier débat présidentiel du Parti républicain présenté par Fox News s’est transformé en un concours de celui qui aura été capable de dire « islam radical » le plus grand nombre de fois, dans le but de renvoyer l’idée que le problème concerne la foi musulmane en elle-même plutôt que des groupes terroristes radicaux qui manipulent l’islam afin de mener à bien leurs objectifs politiques.

Nous vivons une période dangereuse. Le FBI le sait. Et nous devrions tous en être conscients.

CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : rassemblement de manifestants de la NYC Coalition to Stop Islamophobia près du Centre islamique en projet de construction, le 22 août 2010 à New York (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

New MEE newsletter: Jerusalem Dispatch

Sign up to get the latest insights and analysis on Israel-Palestine, alongside Turkey Unpacked and other MEE newsletters

Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.