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He Who Said No : le film le plus controversé d'Iran ?

Une représentation épique de la bataille de Karbala est devenue l'un des films les plus polémiques en Iran depuis la révolution de 1979
Cliché tiré de l'épopée religieuse He Who Said No qui a déclenché une véritable vague de contestations en Iran, causant la suspension de sa sortie en salles (rastakhizmovie.com)

He Who Said No, une représentation épique de la bataille de Karbala, s'est avéré l'un des films les plus controversés en Iran depuis la révolution islamique de 1979.

Ce film historico-religieux est sorti au début de l'année dernière à l'occasion du festival annuel du film, mais a rapidement provoqué de vives réactions causant son prompt retrait des salles. Le débat continue de faire rage depuis, les différents compromis proposés ne semblant satisfaire aucune des deux parties, et l'implication de personnes occupant les plus hauts rangs de la sphère politique rendant les choses encore plus complexes.

Ce film, fruit du travail du grand réalisateur Ahmad Reza Darvish, raconte le soulèvement d'Hussein ibn Ali en 680 de notre ère, contre Yazid Ier (Abū Ḫālid Yazīd ibn Muʿāwiya), le calife omeyyade.

Hussein ibn Ali était le fils d'Ali ibn Abi Ṭalib, premier imam de l'islam chiite, et petit-fils du prophète Mohammed. Il refusa de prêter serment à Yazid, considérant son action comme injuste.

Le film narre l'histoire d'Hussein, quittant sa ville natale de Médine pour se rendre à la Mecque où il découvre que des personnes originaires de Koufa – à quelque 170 kilomètres au sud-ouest de Bagdad – lui ont envoyé des lettres sollicitant son aide et lui prêtant allégeance.

Alors qu'Hussein décide de se rendre en Irak, sa caravane est interceptée par l'armée de Yazid à Karbala – à environ 100 kilomètres au sud-ouest de Bagdad – où il est tué et décapité avec une grande partie de sa famille et de ses compagnons de voyage.

Ce film à gros budget, qui a été doublé en anglais et en arabe, a nécessité onze années de tournage. Il a fait sa première à l'occasion du 32e festival du film international de Fajr à Téhéran en février 2014, mais ne fut projeté qu'une seule fois, ayant suscité l'indignation car il aurait transmis une interprétation déformée de l'histoire et montré le visage d'Abulfazl bin Abbas, le frère de l'imam Hussein, et ceux des fils de l'imam Hussein, Ali-Akbar, Ali-Asghar et Qasim, ainsi que celui du neveu de l'imam Hussain : Hassan.

La représentation du prophète et de ses proches est une question qui soulève des passions dans l'islam. Les musulmans chiites, tout comme les sunnites, s'opposent à la représentation du visage du prophète et des membres de sa famille, mais ils n'ont rien contre la figuration de leurs jambes et de leurs mains.

En Iran, le ministère de la Culture distribue des licences aux cinéastes, mais il ne s'agit que de la première étape et plusieurs obstacles sont susceptibles de survenir durant le processus. Le Parlement a le pouvoir de s'opposer au thème du film, et les autorités religieuses peuvent également intervenir. Selon le ministère de la Culture iranien, entre 80 et 100 films sont réalisés et projetés chaque année en Iran, mais aucune donnée sur le nombre de films interdits ou modifiés par les censeurs n'est publiée.

Darvish savait que son film, qui illustre un problème très sensible éveillant de vives émotions en Iran, créerait la polémique – chaque année, des Iraniens marquent le martyr de l'imam Hussein à l'occasion du jour d'Achoura en faisant son deuil et en pleurant son calvaire. Toutefois, Darvish soutient qu'il avait obtenu l'approbation des grands ayatollahs alors que le film était encore en cours de production.

Le ministre de la Culture Ali Jananti a indiqué que le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, avait approuvé He Who Said No, tout en suggérant de prendre également en compte et d'observer les « fatwas » des autres grands ayatollahs.  

Outre l'ayatollah Alavi Gorgani, plusieurs autres ayatollahs, y compris le grand ayatollah Naser Makarem Shirazi et l'ayatollah Hussain Vahid Khorasani, ont condamné le film, même s'il demeure difficile de savoir s'ils ont effectivement émis des fatwas comme l'avait indiqué Jananti.

Cliché tiré du film épique historique iranien He Who Said No

Le débat de la représentation

Le problème semble loin d'être évident. Mohammad Taghi Fezel Meybodi, maître de conférence au séminaire de Qom et ancien conseiller de l'ex-président Mohammad Khatami, a expliqué à Middle East Eye qu’« aucune restriction religieuse n'empêche la représentation des grands personnages, sauf si la représentation de leur visage est considérée comme une insulte.

« Aucun récit dans l'islam ou verset du Coran n'interdit la représentation des grands personnages ».

Bahzad Farahani, célèbre acteur, réalisateur et scénariste iranien, a confié à MEE qu'il était surpris que le film ait rencontré des ennuis auprès de certaines personnalités religieuses.

« Le film devrait pouvoir être projeté sans problème à condition qu’Abulfazl bin Abbas ne soit pas insulté dans l'histoire. Mais si sa sainteté Abulfazl bin Abbas est offensée, des modifications doivent être apportées. »

Jananti s'est également exprimé en faveur du film. « Le film ne déforme aucunement l'histoire, » a-t-il défendu au début de la controverse en 2014.

Un compromis a été trouvé, imposant à Darvish de réduire d'une heure son film de trois heures.  

« Certains grands ayatollahs ont envoyé leurs représentants visionner le film et leurs points de vue logiques et scientifiques ont été appliqués au film ; de plus, il était également nécessaire de raccourcir le film pour les cinémas, qui n'étaient pas en mesure de projeter un film de 3 heures et 10 minutes, » explique Darvish.

« Ainsi, nous avons restreint la durée du film à deux heures et 10 minutes. »

Après la modification, He Who Said No a obtenu l'autorisation d'être diffusé dans les salles iraniennes. Cependant, lorsque les projections ont commencé en juillet, un groupe d'opposants, accusé par certains d’avoir des mobiles politiques, s'est réuni devant le bâtiment du ministère de la Culture et certains cinémas.

Durant cette manifestation mouvementée, une femme s’est tranchée la tête avec une épée en signe de contestation. L'incident a causé des réactions si intenses que le ministère de la Culture a retiré le film des salles une nouvelle fois.

Les autorités ont depuis indiqué que le film ne serait pas projeté tant que les grands ayatollahs ne donneraient pas leur accord.

Au cœur de la polémique, le ministre adjoint de la Culture, Hojatollah Ayyubi, a déclaré : « certains groupes politiques amplifient et exagèrent le problème du film He Who Said No. »

Et Meybodi de renchérir : « je pense que les informations transmises aux grands ayatollahs au sujet du film étaient erronées car bon nombre d'entre eux n'étaient pas opposés au film. »

Un outil politique

Selon lui, la seule chose qui pourrait expliquer que le film ait provoqué un tel émoi est qu'il ait été utilisé comme outil politique par les partisans de la ligne dure en Iran qui cherchent à discréditer le président Hassan Rouhani et sa ligne politique plus modérée.

« Selon moi, le fait que cette femme se frappe à la tête au milieu de la manifestation était un signe qu'ils avaient un mobile politique, » affirme Meybodi.

« Cette sorte de contestation n'est pas normale, et ils cherchent seulement à perturber le ministère ».

Kouroush Narimani, metteur en scène, a également confié à MEE qu'il pensait que le ministère de la culture devait soutenir les artistes et réalisateurs davantage que par le passé.

Lors d'une déclaration, Darvish a également mentionné que He Who Said No avait été victime d'une affaire politique.

Il a accusé le ministre de la Culture de battre en retraite face aux protestations. Cependant, tous les défenseurs du film ne partagent pas l'avis que la faute doive être rejetée sur le ministère.

« Le ministère de la Culture a fait ce qu'il a pu, le problème n'est pas du ressort du ministre », affirme Farhani.

Le ministère s'est depuis empressé de trouver un nouveau compromis.

« La solution que nous avons trouvée et que nous avons soumise au réalisateur consisterait à entourer les visages de sa sainteté Abulfazl bin Abbas et d'Ali Akbar bin Hussein d'une auréole, afin que le film puisse être projeté dans les salles », a expliqué le ministre de la Culture dans une déclaration au mois de juillet.

Mais après ces rebondissements, revirements et concessions à répétition, reste à voir si Darvish, célèbre membre du camp des soi-disant réformistes, acceptera de se soumettre à cette proposition. Il n'a pas encore émis de commentaire à ce sujet et le sort du film reste en suspens. 
 

Traduction de l’anglais (original).

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