Un membre éminent de la famille royale saoudienne réclame un changement à sa tête, redoutant un effondrement de la monarchie
Un membre éminent de la famille royale d’Arabie saoudite a fait circuler une lettre exprimant la crainte d’un effondrement de la monarchie à moins que le roi soit remplacé en urgence et que le poste de vice-prince héritier soit supprimé, selon des informations obtenues par Middle East Eye.
Le 4 septembre, un petit-fils du défunt roi Abdelaziz Ibn Saoud a écrit une lettre de quatre pages demandant à la famille royale de se réunir en urgence afin d’aborder le fait que la maison des Saoud était peut-être en train de perdre son emprise sur le pouvoir.
« Nous nous rapprochons de la chute de l’État et de la perte du pouvoir », indique la lettre.
« Nous demandons à tous les fils du roi Abdelaziz – de l’aîné, le prince Bandar, au plus jeune, le prince Moukrine – de convoquer une réunion d’urgence de toute la famille pour discuter de la situation et pour faire tout ce qui est nécessaire pour sauver le pays. »
La lettre était signée par « un descendant du roi Abdelaziz de la maison des Saoud ». MEE a parlé à l’auteur de la lettre, qui a confirmé être un petit-fils d’Abdelaziz, mais a demandé à garder l’anonymat par crainte de répercussions négatives.
Le document a circulé avec prudence parmi les princes, via des moyens sécurisés de communication mobile, car les membres de la famille royale sont surveillés par ceux au pouvoir, a signalé l’auteur de la lettre.
Changement générationnel et politique du pouvoir
Le roi Abdelaziz Ibn Saoud a créé l’État moderne d’Arabie saoudite en 1932. Depuis sa mort en 1953, le pays a été dirigé par ses fils, mais cela devrait changer lorsque le règne du roi Salmane s’achèvera, puisque l’héritier du trône, le prince héritier Mohammed ben Nayef, est un petit-fils d’Abdelaziz.
Ce changement de génération en Arabie saoudite – alors que treize des fils d’Abdelaziz soient encore en vie – a certainement été source de nombreux débats parmi les membres de la royauté, amenant la rédaction de cette lettre, a confié un expert de la région à MEE.
« L’évolution récente la plus importante en Arabie saoudite a été la transition se produisant au sein de la famille al-Saoud, passant des fils d’Abdelaziz à ses petits-fils », a déclaré Christian Koch, directeur du Gulf Research Centre financé par l’Arabie saoudite.
« Il n’est pas du tout surprenant que, à la lumière de ces changements, la famille royale débatte actuellement de sa future direction. »
La lettre met partiellement en lumière un conflit générationnel au sein de la famille al-Saoud et intervient après la bataille que se sont livrée les puissants clans de la famille pour prendre l’ascendant à la suite de la mort du roi Abdallah en janvier dernier.
Le jeu à somme nulle de la politique saoudienne s’est illustré lorsque le roi Salmane, nouvellement couronné, a remplacé les hommes de son prédécesseur par ses proches – notamment le puissant chef de la cour royale, Khalid al-Tuwaijri, qui a été remplacé par Mohammed ben Salmane, le fils inexpérimenté de Salmane âgé de 30 ans.
Il est apparu plus tard que, pendant les dernières heures d’Abdallah, Tuwaijri a essayé d’assurer sa propre position et celle de la deuxième génération des dirigeants saoudiens en faisant en sorte que le fils d’Abdallah, le prince Meteb, soit fait vice-prince héritier – le poste désormais occupé par le fils de Salmane, Mohammed. La tentative de Tuwaijri a échoué, mais seulement après avoir cherché également à ce que Salmane soit déclaré mentalement inapte à gouverner.
La politique étrangère et les crises financières
La lettre, qui survient dans ce contexte de lutte pour le pouvoir au sein de la maison des Saoud, soutient que les problèmes ont débuté il y a dix ans sous Abdallah. Elle fait valoir la nécessité de rappeler les membres plus âgés de la dynastie des Saoud, critiquant des « mauvais calculs » militaires au Yémen, en Syrie et en Irak, affirmant que ces décisions ont « ébranlé la confiance de notre peuple et [monté] d’autres peuples contre nous ».
Une série de changements brusques est intervenue dans la politique étrangère de l’Arabie saoudite depuis que Salmane a succédé à Abdallah. Sous le règne d’Abdallah, Riyad considérait les Frères musulmans et ses diverses ramifications comme étant l’ennemi numéro un dans la région.
Suivant cette politique, des conseillers saoudiens auraient été en contact avec des miliciens houthis au Yémen, qu’ils considéraient comme un rempart contre al-Islah, le groupe local affilié aux Frères musulmans. Cependant, sous le règne de Salmane, contrer l’influence iranienne est considéré comme une priorité essentielle de la politique et, en tant que telle, son fils/ministre de la Défense a lancé en mars une coalition régionale contre les Houthis, un groupe vu par les États arabes du Golfe comme étant soutenu par leur rival régional, l’Iran.
La guerre au Yémen, même si elle a produit des résultats en repoussant les Houthis dans les régions du sud du pays, n’a pas été un succès retentissant pour l’Arabie saoudite. Des dizaines de soldats saoudiens ont été tués dans l’actuelle campagne aérienne et terrestre et les Houthis gardent le contrôle de la capitale Sanaa, tandis que des rapports font état d’escarmouches en Arabie saoudite du fait des Houthis.
En septembre dernier, en Syrie et en Irak, Riyad a rejoint la coalition américaine qui bombarde le groupe État islamique (EI), sous la direction d’Abdallah. Depuis lors, le groupe EI a revendiqué des attaques meurtrières contre la minorité chiite du royaume et le gouvernement a affirmé avoir arrêté des centaines de partisans du groupe à travers le pays.
En outre, en Syrie, les dirigeants saoudiens ont activement soutenu les groupes rebelles qui luttent contre le président Bachar al-Assad, dans une guerre civile qui a déjà fait plus de 220 000 victimes.
Comme pour le Yémen, peu de choses suggèrent à l’heure actuelle que l’Arabie saoudite soit près d’atteindre ses objectifs militaires en Syrie. Assad conserve le contrôle de pans entiers du pays, et la communauté internationale est de plus en plus accaparée par la lutte contre le groupe EI, qui ne semble pas s’être affaibli depuis le début des bombardements de la coalition sous commandement américain l’année dernière.
La lettre royale rédigée par un petit-fils d’Abdelaziz a également souligné les défis financiers auxquels fait face la maison al-Saoud, en référence à l’effondrement des prix du pétrole, les douze derniers mois ayant vu le prix du baril chuter de 120 $ à moins de 50 $. L’impact sur l’État du Golfe, dont les revenus du pétrole constituent 90 % de son revenu, a été fort – un analyste Citibank a récemment expliqué à MEE que cette année, le gouvernement serait confronté à un écart de 20 % entre les recettes et les dépenses prévues, le laissant avec un des plus grands déficits budgétaires au monde.
Ce déficit a conduit Riyad à piller ses considérables réserves de devises pour soutenir les dépenses. Dans la première moitié de l’année, le gouvernement a dépensé plus de 73 milliards d’euros provenant des réserves, ce qui réduit son épargne à environ 583 milliards d’euros, selon la société saoudienne d’investissement Jadwa. Avec plus de 10 % des réserves de devises dépensés en six mois, l’analyste Citibank a averti que, sans emprunt, l’épargne du pays pourrait disparaître d’ici deux ou trois ans.
L’ampleur des problèmes du pays – aussi bien sur le plan militaire que financier – a amené le petit-fils du fondateur du pays à écrire qu’un changement au sommet de l’État pourrait être nécessaire pour protéger l’avenir des al-Saoud en tant que gouvernants.
« Nous ne serons pas en mesure d’arrêter la perte d’argent, l’adolescence politique et les risques militaires si nous ne changeons pas les méthodes de prise de décision, même si cela implique de remplacer le roi lui-même », peut-on lire dans la lettre.
Un dissident saoudien bien informé qui vit à Londres a signalé à MEE que la lettre prouve que la famille royale reconnait la gravité des crises qui l’attendent.
« Les al-Saoud prennent conscience que quelque chose ne va pas et doit changer », a déclaré le dissident, qui est en contact régulier avec les membres de la famille royale, sous couvert d’anonymat par peur de représailles.
« Il s’agit d’un signal d’alarme pour endiguer l’effondrement. »
Préparer un changement au sommet
Cette source a déclaré que la famille royale se divise généralement en deux camps en ce qui concerne la façon de faire face à leurs problèmes. D’un côté, il y a ceux qui ne font part d’aucun problème car ils craignent qu’un désaccord ouvert ne les fragilise aux yeux du public. D’un autre côté, il y a des membres de la famille royale qui pensent que le silence mènera à un effondrement total.
La lettre suggérait que les al-Saoud pourraient renforcer leur position en ramenant au pouvoir des membres plus âgés de la famille qui ont été écartés sous le roi Salmane. Le nouveau souverain a favorisé de nouveaux membres de la famille, plus jeunes et proches de lui : le ministre de l’Intérieur Mohammed ben Nayef a remplacé le plus jeune des fils d’Abdelaziz, Moukrine, en tant que prince héritier, et son propre fils Mohammed est devenu vice-prince héritier.
« [Nous avons négligé] la marginalisation des aînés et des gens expérimentés, et abandonné le commandement aux nouvelles générations de rêveurs insensés qui agissent derrière la façade d’un roi incapable », indique la lettre.
« Comment pourrions-nous accepter la marginalisation des fils du roi Abdelaziz à la fois au pouvoir et dans les processus de décision politique ? »
Mohammed ben Salmane a été vertement critiqué pour son rôle dans la difficile guerre du pays au Yémen. Le dissident saoudien basé à Londres a déclaré que la lettre s’inscrivait dans un effort visant à écarter Mohammed, qui est critiqué dans le texte comme étant un « voleur corrompu », et à encourager un changement de roi.
« En réalité, cette lettre est une première étape pour pousser [le demi-frère du roi Salmane] Ahmed ben Abdelaziz vers le pouvoir », a déclaré la source.
Âgé de 73 ans, le prince Ahmed est le plus jeune membre du clan puissant des frères Soudayri, une alliance entre les sept fils d’Abdelaziz nés de l’épouse favorite du roi défunt, Hassa bint Ahmed al-Soudayri. Il a occupé le poste de vice-ministre de l’Intérieur pendant près de trente ans à partir de 1975.
En 2012, il a été nommé ministre de l’Intérieur, dans le cadre d’une manœuvre largement considérée comme préparatoire à un futur rôle de souverain. Cependant, il a été démis de ses fonctions seulement cinq mois plus tard et remplacé par Mohammed ben Nayef, qui occupe toujours le poste ainsi que celui de prince héritier. Et en 2014, lorsque son frère Abdallah a nommé Moukrine prince héritier, beaucoup ont considéré qu’Ahmed avait laissé passer sa chance de devenir roi un jour.
Malgré cela, le dissident basé à Londres a indiqué que le prince était perçu favorablement parmi ses pairs.
« Ahmed est le plus sain et le plus honnête des membres éminents de la famille royale. Il ne boit pas. Il n’est pas un séducteur. Il est le moins corrompu », a expliqué la source.
« Tout le monde pensait qu’il allait naturellement être nommé prince héritier par Salmane. Il est manifestement le véritable héritier dans l’esprit de beaucoup de gens. »
Le dissident basé à Londres a indiqué qu’Ahmed se montrait enthousiaste à l’idée d’être promu, mais était réticent à effectuer la manœuvre lui-même. S’il est ambitieux, le prince est conscient qu’il ne doit pas paraître en conflit avec son frère Salmane et son fils Mohammed.
« Il veut que les autres le poussent vers le trône », a précisé la source.
Le petit-fils d’Abdelaziz a expliqué dans sa lettre qu’il soutiendra la promotion des membres de la famille royale de manière « méritocratique » en collectant des signatures auprès des princes afin de mettre en œuvre des changements en vue du « bien commun ».
Selon la lettre, il relève également de la responsabilité des princes, y compris d’Ahmed ben Abdelaziz, « de rassembler les points de vue et de resserrer les rangs » de la famille royale.
« Ils doivent isoler le roi Salmane, qui est incapable, le prince héritier Mohammed ben Nayef, qui est extravagant et vaniteux, et le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane, un voleur corrompu qui dévaste l’État, de sorte que les plus grands et les plus pieux assument le contrôle des affaires de l’État et de son peuple. »
« Nous demandons également qu’un nouveau roi et un nouveau prince héritier soient investis et prennent le pouvoir sur tout le monde, et nous appelons à l’abolition du poste particulier de vice-prince héritier. »
D’après un autre expert de la région, il est hautement probable que les membres de la famille royale se réunissent pour discuter des changements. Il a cependant exprimé des doutes quant à une éventuelle mise sur la touche de Mohammed ben Salmane dans un avenir proche.
« Je suppose que la convocation d’une réunion d’urgence est inévitable, si celle-ci n’a pas déjà eu lieu », a déclaré Christopher Davidson, auteur de After the Sheikhs: The Coming Collapse of the Gulf Monarchies et maître de conférences en politique du Moyen-Orient à l’université de Durham.
« Mais la demande d’éviction du vice-prince héritier semble impossible à exécuter. »
La source saoudienne basée à Londres a affirmé ne pas avoir été en mesure de confirmer si la famille royale avait tenu une réunion d’urgence. Cependant, la source a indiqué être « au courant de la discorde et des discussions au sujet de la lettre ».
Mohammed ben Salmane à la recherche d’une promotion
La source a indiqué qu’il y avait beaucoup de spéculations parmi les membres de la famille al-Saoud quant au fait qu’une fois le pèlerinage de cette année terminé, ce qui devrait avoir lieu le 26 septembre, le vice-prince héritier pourrait initier lui-même la manœuvre pour devenir héritier au trône.
« Certains membres de la famille royale pensent qu’une fois le hajj terminé, Mohammed ben Salmane évincera Mohammed ben Nayef du poste de prince héritier par ordre de son père et se fera nommer », a expliqué la source.
« Ils [les membres de la famille royale] se préparent à cette évolution, car ils la considèrent comme très dangereuse. Ils pensent que cela entraînera une révolte et augmentera considérablement la probabilité que des mesures soient prises pour pousser Ahmed [ben Abdulaziz] vers une prise de pouvoir. »
Mohammed ben Salmane est de plus en plus considéré comme celui qui détient une grande partie du pouvoir derrière le trône, en particulier face aux rumeurs non confirmées selon lesquelles son père de 79 ans souffre de la maladie d’Alzheimer. Le vice-prince héritier a récemment accompagné le roi lors d’un voyage en vue de rencontrer le président américain Barack Obama, lors de laquelle l’homme de 30 ans aurait joué un rôle clé au cours de discussions stratégiques.
Après la visite, un responsable arabe anonyme a déclaré au Washington Post qu’il était possible que le roi Salmane modifie le processus de succession pour nommer son fils en tant qu’héritier.
« Regardons la réalité en face, a indiqué le responsable. Il est le fils du roi. Il y a de fortes chances qu’il soit le prochain roi. Plus Salmane restera longtemps en vie, plus il y aura de chances que MBS [Mohammed ben Salmane] lui succède. »
L’impression que Mohammed pourrait être en train de tracer sa voie pour devenir le prochain roi d’Arabie saoudite explique probablement le fait que le petit-fils d’Abdelaziz, tout comme le dissident basé à Londres, soient clairement d’avis que les membres de la famille royale cherchent à organiser une réunion d’urgence.
Christian Koch, du Gulf Research Centre, a toutefois minimisé les affirmations selon lesquelles Mohammed comploterait pour évincer l’actuel prince héritier et se placer en première ligne pour la succession au trône.
« Il faut se rappeler que la famille au pouvoir est grande et que quiconque souhaite asseoir son autorité doit être en mesure de rassembler un large consensus interne, a-t-il précisé. Ainsi, les suppositions, comme celles qui circulent actuellement, selon lesquelles Mohammed ben Salmane préparerait un coup d’État, sont assez fantaisistes, si vous voulez mon avis. »
Un journaliste saoudien de premier plan a également rejeté l’idée qu’une lutte pour le pouvoir pourrait se dessiner, et a remis en question l’authenticité de la lettre appelant à un changement au sommet.
« Je connais un prince qui échange toujours avec moi des documents et des articles », a déclaré à MEE Jamal Khashoggi, directeur général de la chaîne de télévision Al Arab. « Cette lettre n’a pas circulé. Je doute toujours [de son authenticité]. »
« La question de la succession est pour l’instant réglée en Arabie saoudite. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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