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Le renforcement de la présence militaire russe en Syrie met la pression sur l’Iran

Le renforcement de la présence militaire russe dans et autour de Lattaquié envoie un message fort à toutes les parties impliquées dans le conflit syrien, notamment à l’Iran, allié de la Russie

De toute évidence, la Russie a considérablement renforcé son implication militaire en Syrie en déployant davantage de matériel et de personnel dans et autour de Lattaquié, bastion du gouvernement syrien. Certains rapports (et photos) non confirmés montrent des militaires russes déployés jusqu’à Homs.

Si, comme on pouvait s’y attendre, les États-Unis et leurs alliés s’inquiètent de cette escalade de la part de la Russie, les intentions de la Russie restent obscures et confuses.

Le gouvernement américain a publiquement fait part de ses préoccupations concernant les possibles conséquences imprévues découlant de mesures « parallèles » contre le groupe État islamique (EI). Bien que cela ne soit pas tout à fait faux, ces préoccupations ne parviennent pas à masquer l’inquiétude plus profonde des États-Unis vis-à-vis des répercussions du déploiement de la Russie sur l’ensemble du mouvement rebelle en Syrie, en particulier sur les groupes alliés avec l’Occident.

Il est bien plus intéressant toutefois de s’interroger sur l’effet du déploiement de la Russie sur les calculs stratégiques iraniens. Malgré la convergence de leurs points de vue et de leurs intérêts en ce qui concerne la Syrie, l’Iran et la Russie ne coordonnent pas leurs actions sur le terrain.

En outre, nonobstant l’importance du déploiement russe, c’est la République islamique et ses alliés qui se battent et meurent pour le compte de l’État syrien assiégé. Les décisions iraniennes prises suite au déploiement russe peuvent avoir un impact profond sur la dynamique du conflit syrien qui s’aggrave.

La Russie en Syrie

Le renforcement militaire russe à Lattaquié n’est pas un développement totalement nouveau. En effet, la Russie s’est fortement impliquée dans le conflit syrien dès son commencement au début de l’année 2011.

Jusqu’à présent, cet engagement a pris la forme d’une collecte de renseignements agressive bien au-delà de la seule base officielle de la Russie en Syrie, qui est située à Tartous. Du matériel de renseignement militaire russe est déployé à proximité des zones les plus importantes de conflit. Une de ces bases, dans la montagne de Tel al-Hara, au sud de la Syrie, aurait été prise par les rebelles syriens en octobre 2014.

L’installation d’une base aérienne d’opérations avancées à Lattaquié et le possible déploiement de MiG-31 et Sukhoï Su-25 de combat, revêtent, à ce stade, une portée essentiellement psychologique. Cela remonte le moral des forces syriennes en difficulté et envoie un avertissement sans équivoque à l’alliance rebelle au pouvoir plus au nord, à Idlib, dirigée par le front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaïda.

L’« Armée de la conquête » dirigée par le front al-Nosra jouit encore de l’élan généré par la capture d’Idlib fin mars et, plus récemment, par la prise de l’importante base aérienne d’Abu al-Duhur dans la même province. Enflammés par ces victoires significatives, al-Nosra et ses alliés sont prêts à lancer une offensive dans le fief alaouite de Lattaquié.

Le déploiement russe à Lattaquié laisse entendre une intervention potentielle, notamment des frappes aériennes sur les positions d’al-Nosra, en cas de progression des rebelles sur Lattaquié. Néanmoins, au-delà d’une possible intervention limitée aux provinces de Lattaquié et Idlib, il est difficile d’envisager que les forces russes jouent un rôle plus large.

Laissant de côté les aspects profondément idiosyncrasiques des différents champs de bataille syriens, toute intervention russe au-delà de Lattaquié et Idlib, surtout si elle implique des opérations au sol, doit tenir compte des réalités de la guerre d’usure et du taux de pertes élevé qui en résulte.

Sur le front politique, l’intervention russe peut, comme l’avancent Washington et ses alliés, compliquer les tentatives visant à amener les belligérants à la table de négociation. Toutefois, les États-Unis ne sont guère en mesure de s’ériger en défenseur de la morale compte tenu du fait que leur propre intervention en Syrie (soi-disant pour lutter contre le groupe EI) cherche à accroître l’avantage des autres rebelles et donc à affaiblir le gouvernement syrien.

L’Iran sous pression

La République islamique a du mal à revivifier sa stratégie en Syrie, en particulier face aux pertes et échecs croissants de l’armée d’Assad, pas seulement à Idlib, mais de manière plus décisive dans et autour de Damas et dans les zones frontalières du Liban.

Les limites de la stratégie iranienne apparaissent clairement dans la lutte pour Zabadani (au nord-ouest de Damas) : le Hezbollah, allié libanais de l’Iran, essaye depuis deux mois d’arracher aux rebelles le contrôle de cette ville stratégique. Zabadani se trouve sur une voie d’approvisionnement cruciale qui mène aux bastions du Hezbollah dans la vallée libanaise de la Bekaa. L’Iran va se battre bec et ongles pour sécuriser ces zones.

En raison de la dépendance excessive de l’Iran vis-à-vis du Hezbollah, l’organisation libanaise est désormais proche du point de rupture en Syrie et ses limites en matière de combat contre les ennemis déterminés que sont les forces rebelles, dont al-Nosra, ont été exposées.

Tout en étant simultanément engagé dans un processus de paix, l’Iran est tout à fait conscient de la dynamique actuelle de la guerre en Syrie, qui est susceptible de s’intensifier dans les prochains mois.

Malgré son implication à tous les niveaux du conflit syrien, la contribution militaire directe réelle de l’Iran est assez modeste, menée par la force al-Qods des Gardiens de la révolution (GRI) qui se compte probablement à quelques centaines de soldats. En outre, plusieurs dizaines de membres de la force al-Qods, y compris de hauts commandants, ont été tués sur les champs de bataille syriens depuis 2012.

Alors que les forces armées syriennes et les milices qui leur sont alliées sont aux prises avec un grave manque d’effectifs et qu’il y a peu de chances de faire fléchir le cours de la guerre à court terme, l’Iran peut être contraint d’accroître de manière significative sa présence militaire.

Ce déploiement sera inévitable si les différents groupes rebelles dans et autour de Damas posent une grave menace pour le centre-ville. L’effondrement de Damas et l’éradication effective de l’État syrien mettraient une pression intolérable sur la région de Qalamoun et le fief alaouite de Lattaquié, territoire stratégique sur le plan communautaire, que la République islamique ne peut pas se permettre de perdre.

D’importants déploiements militaires iraniens ont déjà eu lieu dans cette région en 1982 lorsque les GRI avaient déployé plusieurs milliers de leurs meilleurs combattants dans la vallée de la Bekaa soi-disant pour résister à l’invasion israélienne du Liban.

Cette fois-ci, les GRI pourraient fort bien envisager de déployer jusqu’à 10 000 personnes dans et autour de Damas. Les répercussions politiques, diplomatiques et communautaires seraient profondes, mais d’un point de vue iranien, les risques et les coûts sont tolérables par rapport aux alternatives.

Au bout du compte, le renforcement de la présence militaire russe – et la réticente approbation de Washington malgré ses bruyantes objections – fournit une couverture à un déploiement militaire iranien considérable et avoué en Syrie.

- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.  

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un avion de chasse russe Sukhoï T-50 en pleine démonstration pendant le salon aérospatial international MAKS-2015, à Joukovski près de Moscou, le 25 août 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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