Washington libre de gaffer au Moyen-Orient jusqu’à ce qu’il soit face à un adversaire à la hauteur
LONDRES – Les États-Unis ont causé un « désordre monstre » au Moyen-Orient et poursuivront leurs épouvantables gaffes en matière de politique étrangère, sauf s’ils font face à un rival à leur taille comme la Chine dans un avenir proche, selon un éminent spécialiste américain en relations internationales.
John Mearsheimer, professeur de sciences politiques à l’Université de Chicago, a déclaré que depuis 2001, les États-Unis ont cherché un changement de régime dans cinq pays du Moyen-Orient, ont lamentablement échoué partout, mais continuent à suivre les mêmes politiques défaillantes.
La raison pour laquelle ils le font, a-t-il déclaré à un auditoire de la Chatham House jeudi dernier, tient à leur position mondiale qui ne rencontre aucune opposition, à leur sécurité géographique enviable et à la « pensée de groupe » d’un Washington penchant pour la domination mondiale.
Il a estimé que la montée d’une autre grande puissance, agissant comme un contrepoids, pourrait changer le statu quo.
« La première chose que vous devez comprendre est la grande stratégie américaine. Nous sommes décidés à dominer militairement le monde et nous sommes profondément attachés à la diffusion de la démocratie libérale partout sur la planète.
« Ce qui sous-tend cette stratégie est l’hypothèse, selon les mots de Madeleine Albright, que les États-Unis sont la ‘’nation indispensable’’. L’idée que nous sommes supérieurs à tout le monde et que nous avons donc le droit, la responsabilité et la sagesse de dominer une région, comme le Moyen-Orient, et de faire de l’ingénierie sociale à la pointe d’un canon de fusil.
« Voilà le moteur de la politique étrangère. Et la pièce maîtresse de la grande stratégie des États-Unis a été un changement de régime en cinq lieux : l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Libye et l’Égypte. Pourtant, tous ont été des catastrophes.
« Il suffit de regarder en arrière. C’est une succession d’échecs lamentables. Le problème du terrorisme s’est aggravé, le problème des réfugiés ébranle l’Europe – c’est avant tout dû aux États-Unis.
« Pourtant, nous continuons à poursuivre ces politiques. »
Les États-Unis le font, selon Mearsheimer, parce qu’ils sont la grande puissance la plus sûre dans l’histoire du monde. « Et nous sommes libres de faire des choses folles, parce qu’il n’y a guère de conséquences. »
« Les États-Unis sont physiquement séparés de tous leurs adversaires potentiels par deux douves géantes, possèdent des milliers d’armes nucléaires et n’ont aucun rival. Et c’est ce qui nous permet de courir le monde à faire toutes ces folies et de continuer à mener des politiques qui échouent.
« Cela ne nous coûte pas grand-chose. Prenez le problème des réfugiés ; c’est vous en Europe qui faites face à cela, pas les États-Unis. »
Les différents présidents américains, que ce soit Barack Obama ou George W. Bush, n’ont presque rien changé à ce statu quo, a affirmé Mearsheimer.
« C’est bonnet blanc et blanc bonnet. Bush n’est pas responsable de la Syrie ou de la Libye, Barack Obama l’est. Obama a été le principal stratège concernant l’Égypte. »
Mearsheimer, un diplômé de West Point qui a servi dans l’armée américaine entre 1965 et 1975, a déclaré que les haut-responsables militaires de son pays ont encouragé les élites dans leur quête.
« Nous avons une armée qui représente une part très étroite de la société. Nous n’avons pas recours à la conscription. Si c’était le cas, il n’y aurait eu aucune guerre en Irak. Tous ces gens qui sortent de Harvard et de Berkeley – ils ne veulent pas se battre en Irak et en Afghanistan.
« Cependant, cette petite part de la société qui mène ces guerres y est profondément engagée. Ils se voient en train de protéger les États-Unis, ils considèrent que c’est leur devoir patriotique. Et cela signifie que les élites ont cet instrument qu’ils peuvent utiliser pour poursuivre ces guerres.
« C’est la cause fondamentale de ce gâchis. »
Il a ajouté que rien ne changera tant que les États-Unis n’auront pas d’adversaire à leur taille.
« Je ne pense pas que le consensus qui existe aujourd’hui aux États-Unis sur l’hégémonie libérale – la domination mondiale – sera compromis de sitôt. Il est profondément enraciné », a-t-il poursuivi.
« La géographie ne changera pas. Je ne vois aucun signe de changement dans l’armée qui mène ces guerres, qu’elle perd. Il n’y a aucun signe de révolte parmi les généraux. Et les alliés de l’Amérique ne se rebiffent pas contre les États-Unis.
« En ce qui concerne la Grande-Bretagne, vous aimez aussi participer à ces excursions. Vous vous racontez des histoires sur la façon dont tout cela est logique.
« L’ascension de la Chine est le seul espoir. Si la Chine continue son essor, les États-Unis devront mettre en pratique leur stratégie de pivot à grande échelle. S’attaquer aux Chinois va être une problématique très délicate et les États-Unis vont devoir faire très attention pour traiter avec eux.
« Et si les États-Unis doivent traiter avec les Chinois, ils devront être très prudents et intelligents sur la façon dont ils gèrent le Golfe, parce que ce qui se passe avec les Chinois et le Golfe va de pair. La Chine se procure un quart de son pétrole dans le Golfe et ce chiffre devrait augmenter.
« Donc, les États-Unis, si la Chine continue son ascension, devront être très intelligents sur le plan stratégique : ils vont traiter avec un potentiel rival à leur hauteur et cela va avoir des conséquences pour le Moyen-Orient. »
À l’inverse, une Chine qui stagne assurerait aux États-Unis l’hégémonie et leur permettrait de poursuivre leur grande stratégie dans les décennies à venir.
« Si la Chine ne poursuit pas son essor, les États-Unis seront en 2050 beaucoup plus puissants par rapport à tous les autres pays sur la planète qu’ils ne le sont aujourd’hui.
« Nos principaux rivaux du XXe siècle : l’Allemagne, dépeuplée ; le Japon, dépeuplé ; la Russie, dépeuplée – l’équilibre du pouvoir penche vers les États-Unis.
« Il n’y a qu’un seul pays en mesure de rivaliser avec les États-Unis et c’est la Chine. Si elle le fait, cela va nous forcer à agir plus intelligemment, parce que nous ne pourrons pas nous permettre de foirer.
« Si les niveaux de croissance chinois se stabilisent, au final, nous serons plus puissants que jamais, et nous serons plus irresponsables que jamais. »
Photo : un marine américain place un drapeau sur la statue de Saddam Hussein à Bagdad en 2003 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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