Les Frères musulmans de Jordanie sortent de l’ombre
AMMAN – Le Front d’action islamique (FAI), l’aile politique des Frères musulmans en Jordanie, a annoncé le 11 juin que le groupe se présenterait aux élections législatives du 20 septembre.
La participation du FAI contraste avec son boycott des deux précédentes élections en 2013 et 2010. Zaki Bani Irsheid, chef adjoint des Frères musulmans, a justifié le refus du parti à participer aux élections de 2013 par le fait que « le régime n’a[vait] pas réussi à répondre aux demandes de réforme des Jordaniens, notamment du mouvement islamiste ».
Dans une interview accordée à Middle East Eye, le porte-parole du FAI Murad Adaileh a admis que les niveaux de démocratie avaient reculé dans le pays tout en critiquant l’absence de réforme politique adéquate. Les amendements constitutionnels ratifiés il y a deux mois ont accordé au roi Abdallah des pouvoirs supplémentaires considérables sur les forces de sécurité. Le gouvernement a continué à arrêter des militants, notamment Amjad Qourshah le 14 juin pour avoir critiqué la guerre menée par la Jordanie contre le groupe État islamique (EI), ce qui a renforcé la méfiance de la confrérie vis-à-vis du gouvernement.
Par conséquent, si le FAI estime que les libertés politiques ne se sont pas significativement améliorées, qu’est-ce qui a incité ce revirement dans la politique des Frères musulmans ?
Approbation des sondages, organisation de manifestations et ralliement de nouveaux partisans
Adaileh a expliqué que la direction avait suivi les souhaits de ses membres lors de l’élaboration de la politique du mouvement. Il a cité un sondage interne révélant que 76 % des membres du parti étaient favorables à une participation aux prochaines élections. Le porte-parole du FAI a ajouté que le mouvement islamiste avait la responsabilité de participer à des élections pour aider à relever les graves défis économiques et politiques auxquels est confronté le royaume hachémite.
Toutefois, les analystes indépendants affirment que la répression du gouvernement à l’égard des Frères musulmans a joué un rôle important dans la décision du groupe de mettre fin à son boycott des élections législatives. En avril, les responsables de la sécurité ont fermé les bureaux de la confrérie dans tout le pays, notamment à Amman, Jerash et Madaba. Le gouvernement a également interdit au groupe de tenir le rassemblement célébrant ses 70 ans en avril 2015.
Oraib Rantawi, directeur du Centre d’études politiques al-Qods basé à Amman, a déclaré à MEE que le FAI était « parvenu à la conclusion que, s’il rejoignait le Parlement et réussissait à créer un bloc parlementaire sérieux, cela ranimerait sa légitimité et lui donnerait les moyens de faire face à cette campagne contre les Frères musulmans à travers le pays ».
Bien qu’il n’existe aucun sondage public sur la force du mouvement, le New York Times a écrit que près de 25 % des Jordaniens soutiennent la confrérie.
Les élections permettent également au FAI d’organiser de nombreux événements publics avec leur base tout en touchant de nouveaux partisans, une pratique qui a été fortement limitée étant donné les récentes restrictions gouvernementales. Soulignant l’atmosphère difficile pour le FAI, Rantawi a déclaré que le ministère de l’Intérieur avait même refusé d’accorder un permis pour que son groupe de réflexion indépendant organise une conférence universitaire sur l’avenir des Frères musulmans en Jordanie.
En plus de la pression du gouvernement, le FAI est face à des défis au sein du mouvement islamiste qui l’ont conduit à réévaluer sa position.
D’après Rantawi, « aujourd’hui, les Frères musulmans sont dans une situation très délicate. Ils sont divisés et ont un grave problème interne ».
Des membres de la confrérie ont fait scission de l’organisation mère pour lancer l’initiative Zamzam, qui vise à mettre l’accent sur l’identité jordanienne du mouvement et à promouvoir de meilleures relations avec les autorités gouvernementales. En mars 2015, Amman a reconnu le nouveau groupe dirigé par Abdul Majid Thneibat comme le mouvement officiel des Frères musulmans dans le pays. En outre, en décembre dernier, 400 membres des Frères musulmans – dont l’ancien secrétaire général du FAI Hamzeh Mansour – ont démissionné du parti en raison de désaccords avec la direction de la confrérie.
Joas Wagermakers, professeur d’études islamiques à l’Université d’Utrecht, a annoncé que si le FAI devait à nouveau boycotter les élections, compte tenu de la discorde interne au sein du mouvement et de la répression du gouvernement, « le mouvement [original] des Frères musulmans disparaîtrait probablement dans l’oubli total. »
Enfin, les développements régionaux ont poussé le FAI à adopter une politique plus souple. Avec les succès aux élections des partis islamistes en Tunisie et au Maroc, Rantawi a noté que, en Jordanie, la confrérie semblait suivre le chemin emprunté dans les pays d’Afrique du Nord. En revanche, l’attitude plus agressive en Égypte entre les Frères musulmans et le président Abdel Fatah al-Sissi n’a pas été fructueuse.
« Victoire du gouvernement »
L’ancien leader des Frères musulmans Salem Falahat a confié à MEE que la participation de l’organisation aux prochaines élections était une victoire pour le gouvernement. En 2010, le Premier ministre Samir Rifai avait essayé de persuader le FAI de participer à l’élection législative et d’augmenter le taux de participation dans l’ensemble du royaume hachémite.
Farahat a noté que le gouvernement jordanien voulait mettre en valeur les acquis démocratiques du pays pour l’Occident en vue d’accroître l’aide financière internationale. Puisque le plus grand et le plus organisé des groupes d’opposition politique à Amman – les Frères musulmans – y participe désormais, le processus électoral du pays est légitimé, malgré les restrictions croissantes.
Pourtant, bien qu’une majorité au sein de l’organisation soutienne la participation aux élections, une certaine opposition demeure. Un vote du conseil de la choura du FAI a révélé que 17 % des membres présents n’étaient pas favorables à la participation aux élections du 20 septembre. Pour Wagermakers, ce groupe insistera probablement sur des réformes substantielles limitant les pouvoirs constitutionnels du roi, tout en augmentant l’indépendance du Parlement avant d’appuyer la participation des Frères musulmans aux élections.
Lors des élections historiques de 1989, les Frères musulmans et leurs alliés ont remporté environ un tiers des sièges contestés et sont devenus le plus grand bloc parlementaire.
Néanmoins, les analystes ont prévenu que, cette année, les résultats seraient plus modestes pour le parti islamique. Les restrictions gouvernementales et les conflits internes sont susceptibles de réduire la popularité du FAI. Farahat a expliqué que la confrérie ne remporterait – dans l’idéal – que 10 % des 130 sièges en raison des problèmes actuels avec la loi électorale du pays. Les zones rurales bénéficient toujours d’une représentation disproportionnée tandis que les sièges d’Amman, où se trouvent de nombreux partisans des Frères musulmans, sont en nombre restreint.
Après que le FAI a refusé de participer aux élections législatives de janvier 2013, le roi Abdallah a qualifié les Frères musulmans de « culte maçonnique […] dirigé par des loups déguisés en brebis » dans une interview pour The Atlantic. Les forces de sécurité ont alors réprimé les Frères musulmans en fermant les bureaux du mouvement et en emprisonnant leur chef adjoint pendant un an parce qu’il avait écrit un message Facebook critiquant les Émirats arabes unis.
Les responsables du gouvernement jordanien ont constamment tenté de convaincre les partis d’opposition de mettre fin à leur boycott électoral. Puisque la Fraternité accepte désormais une position modérée en participant à la campagne pour les élections de septembre et en légitimant ces élections, la question demeure : les dirigeants jordaniens répondront-ils avec une approche plus conciliante envers le plus grand mouvement islamique du pays ?
Photo : le chef du parti du Front d’action islamique Mohamed al-Zyoud (au centre), son adjoint Ali Abu al-Sukkar (à gauche) et le porte-parole du parti Murad Adaileh assistent à une conférence de presse à Amman (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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