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Libye : les problèmes de santé de Haftar déclencheront-ils une nouvelle lutte pour le pouvoir ?

Le maréchal libyen se trouverait toujours à Paris après avoir été victime d’un accident vasculaire cérébral

Les spéculations sur la santé fragile du général libyen Khalifa Haftar ont soulevé des questions quant à son leadership au sein de l’Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée et du processus politique dans le pays.

Alors que Haftar est potentiellement affaibli, des analystes estiment qu’il est temps de redynamiser le processus politique dans cet État fragmenté et de donner un nouvel élan aux négociations.

« Même s’il n’est pas mort, le fait qu’il soit loin de l’action provoquera une lutte pour le pouvoir et des conflits internes au sein de l’ANL », a affirmé à MEE Guma el-Gamaty, analyste libyen et chef du parti Taghyeer.

« Même s’il n’est pas mort, le fait qu’il soit loin de l’action provoquera une lutte pour le pouvoir et des conflits internes au sein de l’ANL »

– Guma el-Gamaty, analyste libyen et chef du parti Taghyeer

La Libye est embourbée dans un état d’instabilité continuel depuis le renversement de Mouammar Kadhafi en 2011, à la suite d’un soulèvement soutenu par l’OTAN.

Alors que les troubles se sont poursuivis à travers le pays, le Gouvernement d’entente nationale (GEN) a été installé en 2016 dans le cadre de l’Accord politique libyen soutenu par l’ONU.

Cependant, Haftar a refusé de coopérer avec les efforts menés par le GEN pour réunifier le pays.

L’opposition à l’accord a donné lieu à une scission entre acteurs politiques et la Chambre des représentants a été transférée vers l’est du pays, avec le soutien de Haftar, qui s’est également opposé au GEN.

Toutefois, maintenant que le pouvoir de Haftar est remis en question, des discussions sont déjà en cours au sein de l’ANL au sujet de son remplaçant. 

Des rumeurs de mort

Vendredi dernier, des médias régionaux et des utilisateurs des réseaux sociaux ont rapporté la mort de Haftar. 

La rumeur s’est intensifiée lorsque le journaliste et député égyptien Moustafa Bakri a transmis ses condoléances dans un tweet faisant l’éloge de Haftar, avant d’indiquer dans un autre tweet que la nouvelle était en réalité fausse.

La Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) a réfuté les rumeurs de sa mort en indiquant vendredi soir dans un tweet que l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé, s’était entretenu par téléphone avec le maréchal en personne.

Les spéculations ont refait surface après plusieurs jours d’informations contradictoires au sujet de l’état de santé préoccupant de Haftar. Al-Jazeera a rapporté mercredi dernier que Haftar était dans le coma dans un hôpital de Paris après avoir été victime d’un accident vasculaire cérébral.

Des membres de l’ANL inspectent la tombe d’un individu inconnu à Ganfouda, en janvier 2017 (AFP)

Ahmed al-Mismari, porte-parole de l’Armée nationale libyenne de Haftar, a fait une déclaration à la presse mercredi dernier dans la ville de Benghazi, dans l’est du pays, lors de laquelle il a soutenu qu’il s’agissait de fausses informations, tout en affirmant que le maréchal était en bonne santé et supervisait les opérations militaires dans l’est de la Libye.

« Les informations qui circulent au sujet du maréchal ne comportent aucune vérité, il est en excellente santé », a affirmé Mismari.

D’après le journal Le Monde, Haftar a été évacué via la Jordanie pour recevoir des soins médicaux en France. Plusieurs autres médias français ont rapporté qu’il était traité dans un hôpital parisien.

Selon Gamaty, il ne fait aucun doute que l’animosité entre les différentes personnalités au sein de l’ANL s’intensifiera, dans la mesure où Haftar a donné plus de pouvoir à certains responsables par rapport à autres.

« Haftar est une figure très puissante, mais son emprise a considérablement diminué aujourd’hui, bien évidemment », a-t-il déclaré à MEE, tout en prédisant une aggravation de l’instabilité suite à la diffusion des informations relatives à son état de santé.

Selon Riccardo Fabiani, ancien analyste spécialiste du Moyen-Orient au sein d’Eurasia Group, il existe un risque réel de voir des personnalités et des responsables de second rang, qui n’ont accepté le leadership de Haftar qu’à contrecœur, s’emparer du pouvoir ou se détacher d’un dirigeant affaibli.

Fabiani a également estimé que plus qu’une prise de pouvoir ouverte, le camp de l’opération « Dignité » dirigé par Haftar allait plus probablement connaître des fractures. 

« La fragmentation de l’Est constitue selon moi un risque plus tangible qu’une sorte de coup d’État interne. » 

Des crimes de guerre

Haftar a lancé en mai 2014 l’opération Dignité, une campagne militaire visant à éradiquer les groupes rivaux. Ses forces ont été accusées de crimes de guerre et la CPI a émis un mandat d’arrêt contre un commandant notoire des forces spéciales de l’ANL. 

En avril dernier, des habitants affamés d’un quartier assiégé de la ville de Benghazi, dans l’est du pays, ont été tués par des membres de l’ANL alors qu’ils tentaient de s’enfuir à bord d’un bus, ont indiqué à MEE des proches des victimes.

« Mon frère, Naser el-Jarari, conduisait un bus d’environ 25 personnes en direction du nord, à la recherche de nourriture et d’eau », a raconté Ali Hamza el-Jarari. 

« Ils ont été attaqués, et la plupart ont été assassinés de sang-froid. »

Des inquiétudes au sujet de ces faits et d’autres événements ont été soulevées par Human Rights Watch. L’ONG de défense des droits de l’homme a indiqué que les forces de l’ANL pourraient avoir perpétré des crimes de guerre.

À LIRE ► Libye : les forces de Haftar accusées de crimes de guerre

Sous le commandement de Haftar, les forces de l’ANL assiègent également depuis 2016 la ville de Derna, dans l’est de la Libye, dans le but de chasser les combattants du Conseil de la choura de Derna, qui contrôle la ville depuis qu’il l’a débarrassée des combattants de l’État islamique en 2015.

Hamza al-Dernawy, un habitant de Derna, a décrit l’an dernier à MEE une ville isolée par les forces fidèles à Haftar, où les magasins allaient bientôt être à court de nourriture et de médicaments.

« Derna est assiégée par les milices de Haftar », a témoigné Dernawy.

« Quiconque tente de partir est soit kidnappé, soit humilié par les soldats. »

Selon Gamaty, la probable lutte pour le pouvoir au sein de l’ANL et la perte d’influence de Haftar pourraient s’avérer bénéfiques pour Derna : « Ils seront ciblés avec moins d’intensité », a-t-il indiqué.

Des membres de l’ANL tirent depuis un char au cours d’affrontements dans le quartier du marché d’al-Hout de Benghazi (AFP)

En juillet, après la sortie d’une série de vidéos montrant prétendument ses hommes en train d’exécuter plusieurs dizaines de prisonniers, Haftar a subi des pressions pour livrer Mahmoud al-Werfalli, le commandant des forces spéciales de l’ANL qui a supervisé les exécutions de masse.

La CPI a délivré en août un mandat d’arrêt à son encontre, le premier à avoir été émis uniquement sur la base de preuves issues des réseaux sociaux.

Une équipe d’avocats des droits de l’homme a présenté des preuves à la CPI en novembre, accusant Haftar et ses forces d’avoir perpétré des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité au cours de la guerre civile qui se poursuit dans le pays.

« Nous estimons que nous avons suffisamment de preuves pour que le Bureau du Procureur justifie l’ouverture d’une enquête spécifique sur les agissements du maréchal Haftar et des forces placées sous son commandement », a déclaré Toby Cadman, co-fondateur et directeur du cabinet d’avocats londonien Guernica 37. 

Les acteurs internationaux

Haftar bénéficie du soutien des Émirats arabes unis et de l’Égypte, ainsi que de la Russie. Un certain nombre de dirigeants européens semblent également avoir adhéré à sa cause au cours de l’année écoulée.

En août, le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson a déclaré qu’il soutenait ce qu’il a décrit comme la lutte de Haftar contre le terrorisme, un jour après lui avoir rendu visite à Benghazi.

Haftar a également été accueilli en septembre à Rome, où il a été reçu par des responsables italiens.

Selon Gamaty, l’Égypte et les Émirats arabes unis seront très préoccupés par l’impact du possible décès de Haftar.   

« Ils ont tout investi dans un seul homme », a-t-il expliqué, en référence aux deux alliés de Haftar.

« Les soutiens extérieurs de Haftar se sont rendu compte qu’il ne pouvait pas devenir le Sissi libyen et qu’il ne pouvait pas gagner cette guerre à lui seul – le coût pour ses partisans serait tout simplement trop élevé »

– Riccardo Fabiani, analyste

« Les soutiens extérieurs de Haftar se sont rendu compte qu’il ne pouvait pas devenir le Sissi libyen et qu’il ne pouvait pas gagner cette guerre à lui seul – le coût pour ses partisans serait tout simplement trop élevé », a indiqué Fabiani à MEE, en référence au président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.

« Affaibli, Haftar sera plus vulnérable aux pressions extérieures en faveur d’un compromis, venant par exemple de l’Égypte. »

Selon Gamaty, une lutte pour le pouvoir aura des répercussions négatives dans le camp de l’opération « Dignité ».

« Les problèmes de santé de Haftar ne feront que renforcer un processus déjà en cours – l’éloignement progressif de l’Égypte et des Émirats arabes unis de leur soutien total en faveur du général libyen », a déclaré Fabiani, qui a ajouté que ces alliés se dirigeraient vers une position de soutien plus nuancée.

Le processus politique                       

« Cela change totalement la dynamique et l’équilibre du pouvoir en Libye », a déclaré Gamaty, qui a affirmé que le processus politique dans le pays était au point mort, en partie à cause de Haftar.

« Ils [la Chambre des représentants] avaient peur de lui avant […] J’espère que le processus pourra avancer dorénavant. »

Ces derniers mois, l’Égypte s’est montrée plus favorable aux efforts de réconciliation dans le pays.

« Au cours des prochains mois, nous pourrions voir l’Égypte et les Émirats arabes unis, et de manière plus discrète la Russie et la France, intensifier la pression sur Haftar pour le pousser à assouplir sa position et à parvenir à un compromis avec l’autre camp », a déclaré Fabiani.

« Je pense que nous nous rapprochons d’une phase potentiellement nouvelle de la politique libyenne […] Même si cela ne signifie pas qu’un accord de paix est désormais à portée de main, il y a certainement une ouverture qui peut être exploitée pour donner un nouvel élan aux négociations. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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