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La Syrie constitue un tremplin pour la guerre perpétuelle des États-Unis au Moyen-Orient

Les États-Unis ont abordé la Syrie comme une occasion d’élargir et d’approfondir leur présence militaire dans la région

Dans le grand cadre géopolitique qui sous-tend la plupart des analyses occidentales du conflit syrien, les États-Unis ont effectivement cédé la Syrie à la Russie et à l’Iran. La campagne militaire américaine a régulièrement été critiquée en raison de sa portée limitée consistant à ne cibler que le groupe État islamique (EI) sans engager le combat contre des cibles militaires du régime, en dehors de quelques incidents – jusqu’à présent.

Ces stratégies sur le champ de bataille faisaient écho aux maigres efforts politiques visant à consolider le processus de paix de Genève, mené sous l’égide de l’ONU. Beaucoup, en particulier les farouches partisans de l’intervention militaire, ont considéré cela comme une grave abdication de la responsabilité des États-Unis et un signe de déclin de leur puissance.

Mais ces hypothèses selon lesquelles il y aurait des gagnants et des perdants sur le plan géopolitique trahissent la trajectoire des politiques américaine et russe ainsi que la compatibilité des stratégies des deux pays vis-à-vis de la Syrie.

Une grave abdication ?

Comme le suggèrent les récents développements, la politique américano-russe en Syrie ne doit pas être interprétée comme une opposition, mais comme une coproduction. Les deux pays poursuivent en Syrie des stratégies différentes mais compatibles. On ne voit pas le contraire lorsqu’on suppose que les États-Unis ont un intérêt quelconque dans le renversement ou la préservation du régime syrien. Ce n’est clairement pas le cas.

La politique américano-russe en Syrie ne doit pas être interprétée comme une opposition, mais comme une coproduction

Les intérêts russes et iraniens en Syrie sont ce qu’on pourrait désigner vaguement comme des intérêts nationaux ou de régime qui ont été orientés vers la préservation du régime, de l’État et de ses institutions, et l’imposition d’un ordre d’après-guerre suffisamment malléable pour promouvoir les futures politiques.

Le processus d’Astana, qui réunit la Russie, l’Iran et la Turquie en tant que garants régionaux de la Syrie, a fourni un espace pour l’articulation et la négociation de ces intérêts collectifs et la division de la Syrie en diverses sphères de contrôle, ainsi que les mécanismes permettant de convenir de la manière de limiter ou d’éliminer la présence de groupes armés.

Pendant ce temps, le régime syrien lui-même constitue le quatrième pilier du processus, essayant de façonner l’ordre d’après-guerre selon sa propre vision. L’enjeu est la trajectoire de la Syrie de l’après-guerre et la consolidation de ce que j’ai qualifié ailleurs de « paix autoritaire ». 

Présence ininterrompue et indéfinie

Selon le Pentagone, environ 2 000 soldats américains sont déployés en Syrie. La politique des États-Unis sous les administrations Obama et Trump a été remarquablement cohérente dans son approche et son relatif désintérêt pour les questions concernant l’ordre d’après-guerre, la préservation du régime et la nature de la paix qui se dessine en Syrie.

Chaque administration a apporté un soutien de façade à un changement de régime et a fait remarquablement peu de choses, au grand dam des faucons de Washington, pour y parvenir.

Une Syrienne passe avec un garçonnet devant une banderole montrant le président russe Vladimir Poutine serrant la main du président syrien Bachar al-Assad (AFP)

Le déroulement de la politique américaine en Syrie a pris une trajectoire très différente de celle des responsables russes et iraniens qui cherchaient à préserver le régime. Au lieu de cela, les États-Unis ont abordé la Syrie comme une occasion d’élargir et d’approfondir leur présence militaire dans la région et de faire de l’espace syrien un nouveau terrain de lancement de leurs guerres perpétuelles au Moyen-Orient.

Que le régime soit renversé ou reste en place n’est pas pertinent dans ce calcul. Ce qui compte, c’est que la présence militaire américaine soit ininterrompue et indéfinie. Et dans ce domaine, les États-Unis ont réussi à élargir progressivement leur présence militaire en Syrie dans le cadre d’opérations militaires régionales malgré les efforts militaires déployés par la Russie, l’Iran et la Turquie sur le terrain en vue de façonner un ordre d’après-guerre.

La mise en place d’un autre nœud dans le réseau militaire régional américain s’est faite sous prétexte de combattre l’EI, mais sert plus concrètement la stratégie amorphe consistant à contenir l’expansion iranienne

En effet, la présence américaine en Syrie commence désormais à vivre sa propre vie, passant d’une opération réduite des forces spéciales à une infrastructure militaire complète regorgeant de combattants étrangers, de soldats américains, d’avions et de boutiques de souvenirs

Ni gagnants, ni perdants

Le plus intéressant à propos de cette présence militaire croissante est son détachement relatif du champ de bataille syrien. Certes, des opérations contre l’État islamique et ses vestiges existent, mais la forme et la fonction de cette présence visent à l’intégrer à la présence plus large des États-Unis en Irak et à servir de tentacule supplémentaire à la machine de guerre américaine qui s’esquisse dans la région.

Dans quel but alors ? La mise en place d’un autre nœud dans le réseau militaire régional américain s’est faite sous prétexte de combattre l’EI, mais sert plus concrètement la stratégie amorphe consistant à contenir l’expansion iranienne dans la région. Quel que soit le prétexte, les États-Unis ont rencontré peu de résistance sur le plan national ou international.

Les États-Unis comptent environ 2 000 soldats en Syrie (AFP)

Cette carte blanche, qui a donné aux administrations Obama et Trump les moyens de poursuivre l’expansion militaire des États-Unis dans la région sous le parapluie de la lutte contre l’EI et contre l’Iran, a suscité remarquablement peu de critiques de la part d’un Congrès souple et d’un groupe d’États régionaux dirigés par l’Arabie saoudite et Israël prêts à perpétuer la peur de la menace iranienne.

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Cette dernière, présente dans tous les coins et recoins de la région, est un motif suffisant pour une expansion militaire sans entrave.

Les schémas géopolitiques utilisés pour comprendre la Syrie n’ont jamais été régionalisés de manière à situer le conflit syrien dans les calculs géopolitiques plus larges des États-Unis.

Ils n’ont pas non plus expliqué la compatibilité des stratégies et politiques des États-Unis avec celle de leur prétendu adversaire, la Russie. Il n’y a ni gagnants ni perdants en Syrie, ceux qui déterminent et façonnent l’ordre d’après-guerre étant les vainqueurs évidents.

« Tu casses, tu répares »

Le débat actuel sur le rôle de l’Occident dans la reconstruction de la Syrie tombe opportunément dans le piège consistant à affirmer que sans transition politique, l’Occident ne devrait pas apporter son soutien.

Pour les États-Unis, ce qui est attendu de cet ordre d’après-guerre est clair : une présence militaire américaine en Syrie intégrée et indissociable de la machine de guerre régionale

La réponse « tu casses, tu répares » à la reconstruction syrienne peut sembler politiquement et moralement valable, mais elle ne tient pas compte de la relative indifférence des États-Unis et des autres puissances occidentales dans l’ordre d’après-guerre en Syrie, au-delà des questions étroites liées aux flux de réfugiés.

Pour les États-Unis, ce qui est attendu de cet ordre d’après-guerre est clair : une présence militaire américaine en Syrie intégrée et indissociable de la machine de guerre régionale.

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Tout comme en Irak, en Afghanistan et dans d’autres pays qui abritent des bases américaines, le paysage politique national est périphérique à la question plus vaste de la possibilité et de la portée militaires américaines dans la région.

Cela ne veut pas dire que l’administration américaine n’est pas intéressée par une transition politique, mais que de telles questions d’ordre d’après-guerre sont en grande partie périphériques par rapport au calcul plus large de l’extension de sa portée militaire.

Sous le prétexte d’une politique anti-Daech et maintenant largement anti-Iran, une telle expansion montre peu de signes de ralentissement.

- Samer Abboud est professeur associé d’études interdisciplinaires mondiales à l’Université de Villanova. Il est l’auteur de Syria (Polity Press, 2018).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un tireur d’élite américain soutenant le Conseil militaire syriaque (CMS), une petite minorité de combattants chrétiens combattant aux côtés des Forces démocratiques syriennes contre le groupe État islamique (EI), dans la banlieue ouest de Raqqa, le 27 juin 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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