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Une banque centrale forte peut sauver le modèle économique et démocratique tunisien

Les politiques tunisiens devraient adopter des réformes économiques et judiciaires audacieuses pour assurer l’avenir du pays

Presque huit années se sont écoulées depuis la révolte populaire qui a renversé l’ancien régime de Zine el-Abidine Ben Ali. La nouvelle classe politique de la jeune démocratie tunisienne est constituée des héros déchus de cette période.  

De nombreux Tunisiens – et un nombre écrasant de jeunes, ceux qui ont audacieusement affronté les milices de Ben Ali en 2010-2011 – méprisent cette classe politique. Lors des dernières élections, un tiers seulement des électeurs ont pris la peine de voter, les jeunes manifestant leur désenchantement en s’abstenant en masse.

C’est dans ce contexte qu’un personnage improbable a fait son entrée en scène. Marouane el-Abassi, gouverneur compétent de la banque centrale de Tunisie. D’après un entretien avec el-Abassi à Tunis le mois dernier, je peux affirmer sans crainte qu’il ne nourrit aucune ambition politique. Il aide actuellement à diriger l’État dans une situation économique agitée.

Financement du déficit

L’économiste Hachemi Alaya, dont le livre The Tunisian Model paraît cette semaine, affirme qu’el-Abassi « apporte de la substance tangible à l’indépendance de la banque centrale ». Il a augmenté les taux d’intérêt de 5 % à 6,7 % depuis sa nomination, et a restreint l’accès au crédit, y compris pour le gouvernement, réduisant ainsi son utilisation abusive pour le financement du déficit. 

El-Abassi fait un travail remarquable en améliorant la coordination entre les ministères, qui cherchent à remplir les conditions du Fonds monétaire international (FMI), qui a prêté 4,2 milliards de dollars à la Tunisie depuis 2011. En tant qu’ancien responsable de la Banque mondiale, il a fait preuve d’une vive compréhension des institutions internationales. 

En l’absence de frontières ouvertes entre l’Algérie et le Maroc, rien n’empêche les trois pays du Maghreb oriental de collaborer plus étroitement

Après avoir coordonné un rapport sur les conséquences de la tourmente en Libye pour la Tunisie, el-Abassi connaît parfaitement les nombreux effets négatifs de cette crise : absence de croissance du PIB, augmentation de la contrebande aux frontières et autres risques pour la sécurité. Il m’a dit qu’il négociait donc avec le voisin oriental de la Tunisie un accord de fait permettant à la Tunisie de payer le pétrole en dinars tunisiens, économisant ainsi de précieuses devises étrangères.

Un accord tacite similaire a existé jusqu’à la chute de Ben Ali et mérite d’être ravivé. Les flux commerciaux et financiers – y compris les envois de fonds des travailleurs tunisiens en Libye, les investissements et les liens tribaux et économiques entre le sud pauvre de la Tunisie et son voisin riche en pétrole – demeurent très importants, en contrepoint de nouvelles considérations sécuritaires, puisque la Libye est également la porte d’entrée des djihadistes tunisiens au Moyen-Orient.

Relations bilatérales

La contrebande aux frontières libyenne et algérienne perdurera tant que les subventions accordées par les trois États à différents produits, y compris le pétrole et les denrées alimentaires, ne seront pas alignées. Néanmoins, un accord-cadre renforcerait la sécurité en Tunisie.

Cela étant dit, le gouverneur a insisté sur le fait qu’il souhaitait travailler avec tous ses pairs du Maghreb, soulignant le rôle important joué par le gouverneur de longue date de la banque centrale marocaine, Abdellatif Jouahri, dans la consolidation du rôle de cette institution au sein du royaume. 

El-Abassi est optimiste à cet égard, mais estime que les relations économiques avec l’Algérie, où des centaines d’entreprises tunisiennes sont présentes, doivent être renforcées. En l’absence de frontières ouvertes entre l’Algérie et le Maroc, rien n’empêche les trois pays du Maghreb oriental de collaborer plus étroitement. Cela pourrait renforcer la sécurité mutuelle, réduire l’économie informelle – laquelle pourrait représenter jusqu’à la moitié du PIB de la Tunisie – et créer des emplois désespérément nécessaires, selon el-Abassi.

Marouane el-Abassi, alors candidat au poste de gouverneur de la banque centrale de Tunisie, photographié à Tunis, le 15 février (AFP)

Certains responsables du gouvernement tunisien rêvent de convaincre les principaux prêteurs du pays – le FMI et les banques européennes et arabes – de rééchelonner la dette extérieure du pays, qui dépasse 30 milliards de dollars et dont les intérêts annuels dépassent le milliard de dollars. Les salaires, les subventions et le service de la dette de l’État absorbent l’ensemble des revenus annuels de la Tunisie. 

L’investissement est donc un moteur qui ne peut pas démarrer – une fâcheuse position pour un pays dont les racines démocratiques restent peu profondes. Les querelles publiques entre le chef de l’État et son Premier ministre ont transformé la politique en spectacle de foire. La lutte contre la corruption – que beaucoup considéraient comme une caractéristique du mandat du Premier ministre Youssef Chahed après l’arrestation de Chafik Jarraya l’année dernière – est tout simplement à bout de souffle. 

Fracture économique et sociale

Le Premier ministre n’a pas soutenu son ministre des Finances l’année dernière : Fadhel Abdelkefi a été victime de ce que l’on ne peut qualifier que de cabale judiciaire. Le système judiciaire n’a pas été réformé et, associé à une corruption généralisée, assombrit l’avenir de la seule démocratie du monde arabe. Les médias sont peut-être libres, mais aux mains d’intérêts privés, ils préfèrent souvent diffamer que d’informer. 

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De nombreux Tunisiens sont moins bien lotis aujourd’hui qu’en 2010. Les fractures économiques et sociales qui séparent les zones côtières plus riches de l’arrière-pays plus pauvre ne semblent guère intéresser certains politiques qui connaissent peu la Tunisie intérieure et s’y connaissent encore moins en économie. 

Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qualifiés s’en vont chaque année. En ces temps troublés, une banque centrale forte et indépendante peut sembler de peu d’importance. Mais ce n’est pas le cas, car si les politiques tunisiens expliquaient et adoptaient des réformes économiques et judiciaires audacieuses, le pays – qui est éduqué et jouit d’un plus grand degré d’égalité des sexes que tout autre pays du monde arabe – pourrait écouter avec intérêt.

Francis Ghilès est l’un des principaux spécialistes européens du Maghreb. Chercheur associé auprès du Centre d’affaires internationales de Barcelone, Francis Ghilès est expert des questions relatives à la sécurité, à l’énergie, et aux tendances politiques en Afrique du Nord et en Méditerranée occidentale. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une Tunisienne passe devant un graffiti qui demande « Qu’attendons-nous ? », en signe de protestation contre les hausses de prix, à Tunis, le 25 janvier (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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