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En Algérie, le choc de deux agendas crée la confusion autour de la succession de Bouteflika

Aucune perspective concrète n’annonce la tenue d’une présidentielle en avril 2019, laissant le pays otage des rumeurs et suspendu à l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika

Deux agendas politiques distincts se bousculent en Algérie, donnant cette impression de confusion qui domine la vie politique, à quatre mois de la présidentielle prévue pour avril 2019. 

La première est liée à la gestion des affaires du pays jusqu’à la fin de la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. La seconde concerne la désignation de son successeur.

Les deux événements sont apparemment très imbriqués. C’est en effet la fin de présidence de M. Bouteflika qui imposera une date butoir pour désigner son successeur. 

Le pas psychologique consistant à passer outre la Constitution pour maintenir le président au pouvoir a été franchi

Mais quand on examine les deux évènements, il devient rapidement évident qu’ils ne mettent pas en jeu les mêmes acteurs, les mêmes enjeux, les mêmes intérêts, ni les mêmes procédures.

Pour l’heure, c’est l’étape présente, cette pénible fin de quatrième mandat, avec toutes ses difficultés, qui agite la scène politique. 

Un président sérieusement affaibli par la maladie, incapable de se mouvoir et de s’exprimer, est maintenu en poste avec une cascade de problèmes que cette situation inédite provoque.

La Banque d’Algérie a créé plus de 4 000 milliards de dinars (29 milliards d’euros) au 30 septembre 2018 depuis le lancement en 2017 du financement non conventionnel, plus connu sous le nom de « planche à billets » (AFP)

Sur le plan économique, aucune initiative n’est prise. Les réformes, qui font pourtant l’objet d’un large consensus, sont reportées. 

Le gouvernement recourt à des expédients dangereux, comme le recours illimité à la planche à billets, pour préserver un artifice de paix sociale, de crainte que le moindre débordement devienne ingérable.

Sur le terrain politique, le pas psychologique consistant à passer outre la Constitution pour maintenir le président Bouteflika au pouvoir a été franchi. 

Un pays paralysé

Si le président Bouteflika n’est pas physiquement en mesure d’accomplir le minimum de gestes requis pour briguer un cinquième mandat (dépôt de candidature, vote, prestation de serment), le pouvoir contournera la Constitution par un artifice qui s’appellera probablement « conférence nationale ».

C’est ce que suggérait le chef de la centrale syndicale (UGTA), Abdelmadjid Sidi Saïd, lorsqu’il déclarait : « Nous ne dirons pas que le président sera candidat à la présidentielle de 2019. Pour nous, il est le président et il ne fera que poursuivre sa mission. »

C’est aussi ce que semblait redouter un porte-parole du département d’État américain, qui affirmait : « Le bon déroulement du processus électoral, c’est ce qui compte pour les États-Unis ».

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Sur un plan protocolaire, ne pas se déplacer dans les forums internationaux, ne pas rencontrer les dirigeants du monde, ne pas recevoir les dirigeants des grands partenaires de l’Algérie a un effet désastreux sur l’image du pays, mais aussi sur ses intérêts. 

Sans oublier les missions que chef de l’État ne peut déléguer, comme présider le conseil des ministres et les différentes institutions qu’il a la charge de gérer.

Les acteurs de cette étape qui s’achève sont multiples. Au centre, il y a la famille du président Bouteflika, en premier lieu son frère Saïd, devenu, par un malheureux concours de circonstances, l’homme clé d’une situation de crise alors qu’il n’a aucun rôle constitutionnel. 

Saïd Bouteflika, frère du président (à gauche), Abdelmadjid Tebboune, l’ex-Premier ministre (au centre), Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l’UGTA, ex-syndicat unique (à droite), et Ahmed Ouyahia, Premier ministre (au dernier plan) (New Press)

Il s’appuie sur un cercle de hauts responsables du gouvernement, de la haute hiérarchie de l’appareil militaire et sécuritaire, de l’appareil législatif, engagés dans un pacte devant assurer à M. Bouteflika de rester en poste jusqu’à son dernier souffle.

Arrivent ensuite d’autres cercles périphériques, faits d’hommes d’affaires, de milieux d’argent et d’un personnel politique et syndical interlope, soucieux d’exister ou de se protéger. 

On y trouve des profils aussi différents que Amar Ghoul, chef du parti Tadj, Ali Haddad, chef du Forum des chefs d’entreprises (FCE, principal syndicat patronal). Les intérêts des uns et des autres convergent tant que le président Bouteflika est encore en poste. Mais la donne va changer dès son départ.

Le nom du successeur compte peu. C’est sa capacité à agréger ces différentes composantes qui sera déterminante

La première victime sera le cercle familial et le noyau lié au président Bouteflika à titre personnel. L’existence de ce groupe s’achèvera dès le moment où la présidence Bouteflika prendra fin. 

Contrairement à une idée qui a longtemps circulé, Saïd Bouteflika n’a pas d’avenir politique. Il peut être tenté de se recycler, mais la nature du système algérien ne lui laisse guère de chances. La suite se jouera sans lui.

Car l’annonce de la fin de la présidence Bouteflika annoncera le début d’une étape totalement différente. 

Une succession non préparée

Certes, les réseaux et les hommes en poste tenteront d’en tirer avantage pour essayer de peser sur la décision, et de se replacer avec le nouveau pouvoir, mais la donne aura changé. 

L’argent du FCE et les appareils des partis de l’alliance ne serviront pas à grand-chose. Le système algérien reviendra à sa vraie nature : avec sa colonne vertébrale constituée de l’appareil militaire et sécuritaire, il tentera de préserver les grands équilibres traditionnels, dont l’équilibre régional constitue un élément clé. 

Dans cette optique, le nom du successeur compte peu. C’est sa capacité à agréger ces différentes composantes qui sera déterminante.

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À ce stade, apparaît l’ampleur des dégâts causés par l’ère Bouteflika, y compris au sein du pouvoir lui-même. 

Durant toutes les étapes antérieures, le pouvoir avait réussi à maintenir des instances de délibération plus ou moins informelles pour discuter de questions essentielles. 

Soucieux d’étendre son pouvoir pour éliminer toute contestation interne, la plus dangereuse de son point de vue, le président Bouteflika a détruit tous les espaces de concertation, institutionnels ou informels. 

Échauffourées entre les forces de sécurité algériennes et des manifestants et leaders de l’opposition opposés à l’exploitation du gaz de schiste en Algérie, dans la capitale algérienne le 24 février 2014 (AFP)

Toute velléité d’engager un débat était considérée comme une menace, et éliminée. 

Ce qui débouche sur cette situation absurde : un demi-siècle après l’indépendance, aucune structure n’est en mesure d’ébaucher une feuille de route cohérente dans un pays où s’accumulent les crises (crise de succession, crise politique, crise économique, etc.).

À défaut d’un candidat adoubé et préparé, la succession se jouera de manière improvisée. Boumediene, Zeroual et Bouteflika ont été annoncés longtemps à l’avance. 

Le successeur de Bouteflika devrait plutôt émerger comme Chadli Bendjedid : il faudra être au bon endroit au bon moment le jour où la décision sera prise.

- Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.  

Photo : Abdelaziz Bouteflika, très affaibli par la maladie, n’apparaît que très rarement en public (AFP).

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