Turquie-Russie : un rapprochement qui pourrait isoler Ankara
Les relations entre la Turquie et la Russie ont, jusqu’à récemment, été marquées par des fluctuations et des tensions diplomatiques. Historiquement, la position de la Turquie à l’égard de la Russie reflétait l’attitude traditionnelle de l’OTAN, dont la plus grande prudence à l’égard des pays non membres de l’alliance.
L’avion de guerre russe abattu par la Turquie en 2015 pour violation de l’espace aérien avait paralysé les relations bilatérales avant que s’amorce un rapprochement sans précédent.
Les deux pays ont relégué à l’arrière-plan leurs agendas conflictuels dans la guerre en Syrie tout en intensifiant les canaux de communication bilatéraux.
Ont suivi le processus d’Astana, mené par la Turquie, l’Iran et la Russie, et la poignée de main publique entre le président turc Recep Tayyip Erdoğan et le président russe Vladimir Poutine, une fois désamorcée la crise d’Idleb en Syrie.
Puis, suite à la décision du président américain Donald Trump de se retirer de Syrie après son coup de téléphone avec Erdoğan en décembre, des responsables turcs et russes se sont récemment rencontrés à Moscou, où ils ont accepté de se coordonner sur le théâtre syrien.
« Serment d’amitié »
Manifestement, la Turquie et la Russie développent leurs relations stratégiques, et la rapidité avec laquelle elles s’y attellent est importante. Le tempo des relations politiques, commerciales et militaires s’est accéléré : avec l’achat par la Turquie du système de défense anti-missile S-400, avec la récente cérémonie d’inauguration des travaux marquant le début du projet de centrale nucléaire d’Akkuyu en avril, et avec les progrès du gazoduc TurkStream.
Akkuyu sera la première centrale nucléaire de Turquie. Elle augure d’une coopération à long terme entre la Turquie et la Russie dans le domaine énergétique. Ankara a fait de ce projet une priorité absolue.
Bien que l’alliance bilatérale naissante serve le commerce et l’investissement, elle risque toutefois de fragiliser les liens d’Ankara avec d’autres pays et d’affaiblir son programme de politique étrangère
Le projet TurkStream reflète également un renforcement des relations bilatérales comme en témoigne le tweet qu’envoya Erdoğan, une fois achevé le tronçon offshore : « Le TurkStream a une portée historique pour nos relations bilatérales et pour la géopolitique énergétique de notre région, pour lesquelles nous avons déployé de gros efforts auprès de nos amis russes ».
De son côté, Poutine a décrit TurkStream et Akkuyu comme deux symboles « du développement progressif du partenariat diversifié russo-turc et un gage d’amitié entre nos nations ».
L’adhésion de la Turquie à l’OTAN a toujours été un élément important dans l’analyse de ses relations avec la Russie. L’achat par Ankara du système S-400 a suscité des inquiétudes à Washington, ce qui a par la suite bloqué la vente des avions de chasse F-35 à la Turquie.
Différend États-Unis/Turquie
L’impact du déclin des relations entre la Turquie et les États-Unis est un facteur majeur de l’amélioration des échanges entre Moscou et Ankara. Différends concernant le refus américain d’extrader Fethullah Gülen, qualifié de « terroriste » par la Turquie, emprisonnement du pasteur américain Andrew Brunson, qui a conduit les États-Unis à imposer des sanctions à la Turquie, au détriment de l’économie turque : les relations entre Turquie et États-Unis sont devenues problématiques.
Le soutien des États-Unis aux Unités de protection du peuple (YPG) et à la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD) kurde syrien a inquiété Ankara, tandis que l’absence de progrès satisfaisants dans les relations entre la Turquie et l’Union européenne (UE), ainsi que les critiques formulées par l’UE en matière de droits humains et de démocratie – pourraient également contribuer à faire de la Russie une priorité de choix pour la Turquie.
Dans ce contexte, la Russie a agi avec prudence pour développer ses relations avec la Turquie. Du point de vue d’Ankara, leur décision commune de créer une zone démilitarisée à Idleb, ainsi que le soutien stratégique de la Russie dans les secteurs de l’énergie et de la défense font de Moscou un partenaire précieux. Ces développements témoignent d’une nouvelle vision bilatérale commune.
Ces dernières années, comme en témoignent les fréquentes rencontres entre Erdoğanet Poutine, il est devenu évident que la Russie est le principal pays avec lequel la Turquie souhaite renforcer ses relations – États-Unis et UE restant à la traîne. Néanmoins, cette relation toujours plus étroite pourrait avoir des inconvénients et des coûts.
Transformation de la politique étrangère
Prenons, par exemple, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Si la Turquie ne s’y est pas résignée le jour où elle s’est produite, elle a, depuis, évité de contrarier la Russie à ce sujet. Ses récentes initiatives ont « donné aux milieux progouvernementaux en Turquie l’impression qu’Ankara est sur le point de jouer un rôle de médiation dans ce conflit », à en croire un rapport publié dans Al-Monitor.
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La politique étrangère de la Turquie est en pleine mutation, comme en témoigne l’évolution de ses liens avec la Russie. Bien que l’alliance bilatérale naissante serve le commerce et l’investissement, elle pourrait aussi créer un dilemme en affaiblissant les liens d’Ankara avec ses alliés occidentaux traditionnels.
Aujourd’hui plus que jamais, la Turquie doit renforcer de manière positive et équilibrée sa position sur la scène internationale et diversifier ses relations bilatérales avec les autres pays. Afin de préserver sa flexibilité sur la scène internationale, Ankara doit à l’avenir adopter une approche équilibrée.
- Elif Beyza Karaalioglu est titulaire d’une maîtrise en conflits, sécurité et développement du King’s College de Londres (département des études sur la guerre). Elle couvre principalement les affaires internationales et la sécurité, la politique étrangère et la diplomatie turque, le désarmement et la non-prolifération des armes de destruction massive.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le président turc Recep Tayyip Erdoğan et son homologue russe, Vladimir Poutine, à Istanbul, le 19 novembre (AFP).
Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.
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