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« Elle était censée être au chaud » : les réfugiés pleurent les enfants tués par le froid en Syrie

Depuis le début de l’hiver, huit enfants sont morts dans le camp de déplacés internes de Rukban, dans le sud-est de la Syrie. Des décès tragiques que les familles attribuent aux conditions de vie terribles et au manque d’aide humanitaire
Masoud al-Awwad a perdu sa fille Yasmeen, âgée d’un mois et demi, en raison du manque de services médicaux et des conditions de vie désastreuses (MEE)

Serrant sa fille contre sa poitrine pour la réchauffer pendant l’une des nombreuses nuits glaciales que le camp de réfugiés syriens de Rukban a dû endurer cet hiver, Samah al-Awwad s’est endormie sans le vouloir.

Lorsqu’elle s’est réveillée au lever du soleil, le corps emmitouflé du bébé était devenu froid.

« C’était une de ces nuits sombres et glaciales et ma Yasmeen dormait dans mes bras. Il ne devait y avoir aucun endroit plus chaud que ma poitrine, mais même là, il faisait froid », a déclaré Samah dans un sanglot.

« Je ne sais pas comment je me suis endormie, mais lorsque je me suis réveillée au lever du soleil, j’ai senti du froid entre mes mains, là où se trouvait mon bébé. Elle était censée être au chaud. »

Yasmeen était née un mois et demi plus tôt dans ce camp délaissé, situé dans une zone démilitarisée du sud-est de la Syrie, près de la frontière avec la Jordanie, au moment où celui-ci était enveloppé par un hiver hostile.

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« Il ne devait y avoir aucun endroit plus chaud que ma poitrine, mais même là, il faisait froid »

– Samah al-Awaad, mère d’un bébé mort de froid

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de la moitié des quinze enfants syriens ayant perdu la vie dans des camps de réfugiés en Syrie et au Liban cet hiver vivaient à Rukban, qui compte au moins 40 000 déplacés internes syriens.

Lorsque Samah est tombée enceinte il y a presque un an, son mari Masoud et elle espéraient soit être rentrés chez eux à la naissance de Yasmeen, soit être autorisés à quitter le camp pour se rendre à l’hôpital. Ce ne fut ni l’un, ni l’autre.

Le couple a passé des semaines à essayer d’aider Yasmeen à survivre à l’hiver en dormant à tour de rôle pour s’assurer de pouvoir s’occuper des affections dont elle souffrait depuis sa naissance difficile.

Après un accouchement qui a failli tuer la mère et la fille, Samah est restée dans le coma pendant 24 heures. Elle attribue sa survie au travail « miraculeux » d’une sage-femme du camp. Le camp n’avait pas d’incubateur pour y garder la frêle nouveau-née.

« Les établissements de santé fonctionnent à peine et ont très peu de personnel ou de matériel médical. Il n’y a pas de générateurs ni de carburant pour fournir ne serait-ce qu’un minimum de chaleur afin d’atténuer le froid extrême », a déclaré l’OMS dans un communiqué publié le 17 janvier.

Quelque 40 000 déplacés internes syriens vivent à Rukban, coupés de toute aide humanitaire et dans la crainte d’être renvoyés de force dans les régions contrôlées par le gouvernement (MEE/Khaled al-Ali)

L’organisation a demandé instamment à être autorisée à accéder au camp, où les maladies liées au froid sont particulièrement dangereuses pour les jeunes enfants, a-t-elle précisé.

En raison de conditions similaires, Saqr et Fadilah al-Mouawad ont perdu leur fille Basma, âgée de trois mois et demi.

Basma a survécu à un accouchement difficile mais souffrait de malnutrition et l’aide disponible à Rukban n’était pas suffisante pour l’alimenter.

Selon ses parents, elle n’aurait jamais dû naître à Rukban.

« Avant la naissance de Basma, nous essayions de quitter le camp, mais c’est devenu incroyablement strict », a déclaré Saqr à MEE. Il a ajouté qu’il avait essayé de compléter les fournitures d’aide avec tout ce qu’il pouvait acheter auprès de commerçants à l’intérieur du camp.

« J’ai parlé à des responsables du camp et à de nombreux employés de l’ONU venus distribuer de la nourriture pour qu’ils nous aident à sortir, mais [on ne m’a donné] que des mensonges et des promesses qui n’ont pas été tenues. »

Des pourparlers en vue de démanteler Rukban

En novembre, un convoi de 70 camions a acheminé le premier ravitaillement en aide de l’ONU dans le camp depuis janvier dernier.

Pour accéder à une clinique de base, les habitants doivent passer en Jordanie – par-delà une frontière majoritairement fermée depuis 2016.

Les habitants du camp ont commencé à arriver fin 2015 après avoir fui des régions de Syrie précédemment contrôlées par le groupe État islamique.

« Regardez nos enfants qui sont sur le point de mourir du manque de médicaments ou de nourriture. Comment est-ce possible au XXIe siècle ? »

– Abdul Aziz Aghani, enseignant à Rukban

Ils voulaient passer en Jordanie, un pays qui a accueilli 670 000 réfugiés syriens depuis le début de la guerre civile en 2011, mais le royaume a fermé le passage à Rukban en juin 2016 après un attentat à la bombe revendiqué par l’État islamique qui a tué sept soldats de la patrouille frontalière jordanienne.

La Jordanie a annoncé plus tôt ce mois-ci qu’elle tenait des pourparlers tripartites avec la Russie et les États-Unis en vue de démanteler Rukban, affirmant que les conditions étaient réunies pour que les réfugiés puissent rentrer chez eux.

Néanmoins, les habitants du camp ont déclaré craindre des représailles ou la conscription s’ils étaient forcés de retourner dans un territoire contrôlé par le gouvernement de Bachar al-Assad.

« Ma fille bien-aimée, Basma, aurait dû avoir une chambre chaude et assez de lait », a déclaré Fadilah al-Mouawad à Middle East Eye (MEE)

D’après Abdul Aziz Aghani, professeur d’histoire vivant à Rukban, toutes les installations du camp sont rudimentaires et les écoles ne sont rien de plus que des tentes munies d’un petit tableau pour écrire.

Les tempêtes ont forcé les écoles à fermer et ont privé une fois de plus de foyer certains des élèves.

« Une prison lamentable et reculée »

« Ce qu’il faut faire pour mettre fin à cette tragédie, c’est offrir enfin à tout le monde le droit de se déplacer, ou alors déplacer tout le monde dans le nord de la Syrie et ne pas obliger tout le monde à rester dans cette prison lamentable et reculée », a déclaré Aghani à MEE.

« Nous appelons tous les responsables à regarder nos enfants qui sont sur le point de mourir du manque de médicaments ou de nourriture. Comment est-ce possible au XXIe siècle ?

« Chaque famille peut à peine donner à manger à ses enfants une fois par jour – hélas, certaines familles ne mangent qu’un repas tous les deux jours », a-t-il ajouté. « En tant qu’enseignants, c’est la même chose pour nous. Nous ne pouvons pas subvenir à nos propres besoins et encore moins à ceux de ces enfants pauvres et affamés. »

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Depuis la mort de sa fille, Fadilah concentre toute son énergie sur ses deux fils aînés, Mohammed et Khaled. « Tous deux souffrent de malnutrition et leur système immunitaire est affaibli. Ils sont maigres et ont à peine de quoi manger », a déploré la jeune maman.

« Ma fille bien-aimée, Basma, aurait dû avoir une chambre chaude et assez de lait, mais elle n’a rien eu de cela », a-t-elle ajouté. « Je me suis réveillée et elle était devenue une chose froide enveloppée dans sa couverture pour bébé. Que Dieu accorde la paix à son âme innocente. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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