Aux États-Unis, les républicains font campagne sur la peur
« Il y a beaucoup de peur dans ce pays », a souligné la voix off à l’ouverture du débat des primaires présidentielles du Parti républicain sur la chaîne CNN. En effet, ce géant de l’information en continu sur le câble, qui troque de la peur préfabriquée contre des parts d’audience et donc son intégrité contre des recettes publicitaires, semble ne pas se rendre compte de cette ironie qui saute aux yeux.
Alors que la sécurité nationale a officiellement constitué le sujet central du cinquième des neuf débats des primaires républicaines, l’accent a été mis sur la peur. C’était le débat de la peur. La peur d’un ennemi invisible, la peur non seulement d’une menace terroriste que pratiquement personne ne comprend, mais aussi d’une religion qui reste aliénable aux yeux de l’Amérique blanche.
C’est le savant mélange d’une mesure de Paris et de San Bernardino, de deux mesures d’une décennie d’islamophobie affichée qui coule dans les veines du corps politique, et du fascisme doublé de haine des musulmans affiché par les candidats Donald Trump, Ben Carson, Mike Huckabee, Ted Cruz et Rick Santorum, qui a fait de ce débat celui de la terreur.
« L’islam n’est pas une simple religion. C’est une structure de gouvernement politique », s’est exclamé Rick Santorum – sous-entendant par là même que les musulmans, en quelque sorte, ne méritent pas la protection de la constitution américaine. Tandis que Mike Huckabee tirait la conclusion sournoise que Barack Obama était secrètement musulman en se moquant de ce qu’il appelle « l’idéologie supérieure » du président américain, la notion « d’islam radical » a été évoquée plus de fois par George Pataki que par Richard Dawkins sur son blog.
On avait demandé aux candidats non seulement comment ils s’y prendraient pour vaincre Daech, mais aussi quel usage ils feraient de l’armée américaine au Moyen-Orient. Si on ne parlait pas là d’enjeux cruciaux, leurs réponses à ces questions auraient leur place dans un bon one-man-show.
Rick Santorum a déclaré aux spectateurs que les femmes étaient trop faibles de caractère pour le combat ; n’oublions pas que ce candidat dévoué à la cause anti-avortement est animé par la conviction que les femmes ont suffisamment de force de caractère pour élever un enfant conçu suite à un viol.
Pour s’en prendre à ce qu’il a qualifié de « radicalisme sunnite », le gouverneur de l’Ohio John Kasich a émis l’idée que les États-Unis devraient apporter leur soutien à l’Arabie saoudite, connue pour être le principal promoteur du « radicalisme sunnite », afin de contrer ce qu’il a appelé le « radicalisme chiite ». Encore une fois, cette réplique serait amusante si ces débats permettaient de choisir le futur président d’un club de football de quartier et non le possible président des États-Unis.
Ce soir-là, si vous avez joué à boire un verre de whisky à chaque fois qu’un de ces candidats a prononcé les mots « islam radical » ou « Iran », vous n’étiez sans doute pas en état d’aller travailler le lendemain matin. Les candidats s’en sont pris aussi bien à Barack Obama qu’à Hillary Clinton, la favorite du Parti démocrate, au sujet de l’accord sur le nucléaire iranien. « Nous voulons empêcher l’Iran d’être en position de déployer un croissant chiite dans tout le Moyen-Orient », a déclaré John Kasich sur un ton professoral.
Étant donné que le débat se tenait dans le casino du magnat pro-israélien du jeu et des médias Sheldon Adelson, le transformant en une audition visant à déterminer quel candidat pourrait profiter de son argent, il n’a pas été surprenant de voir la conversation se dégrader au point d’être réduite à un concours du candidat qui déteste le plus l’Iran.
« En résumé, le débat républicain », a tweeté Max Blumenthal, journaliste et prolifique critique d’Israël, « c’est CNN en cheville avec Sheldon Adelson pour démocratiser l’islamophobie et aggraver une guerre sans fin contre le terrorisme. »
Même au moment de vider leur sac au sujet de l’Iran, ces postulants à la présidence américaine se sont montrés clairs sur le fait qu’ils soutiendraient les opposants à l’Iran au Moyen-Orient.
« Écoutez, il va nous falloir travailler dans le monde entier avec des gouvernements qui sont loin d’être idéaux. L’Arabie saoudite n’est pas gouvernée démocratiquement, mais il nous faudra travailler avec elle. Le gouvernement jordanien n’est pas parfait, mais il nous faudra travailler avec lui », a déclaré Marco Rubio. « Mais des dictateurs antiaméricains comme Bachar al-Assad, qui est venu en aide au Hezbollah, qui a permis d’introduire ces bombes artisanales en Irak, eh bien si ceux-là partent, je ne verserai pas une larme. »
L’hypocrisie, les deux poids deux mesures, et les platitudes vides de sens ont fait irruption plus de fois ce soir-là que lorsqu’un fondamentaliste chrétien parle de terrorisme islamique. Le sénateur Lindsey Graham a critiqué Barack Obama pour avoir offert Damas à l’Iran sur un plateau, oubliant qu’il avait lui-même voté en faveur d’une guerre qui avait, elle, effectivement offert Bagdad à Téhéran.
Quand ils n’étaient pas occupés à tenir un double discours, les candidats ont expliqué en toute simplicité qu’ils n’hésiteraient pas à « détruire le Moyen-Orient à coups de bombes », à suspendre les lois américaines sur la vie privée, qui sont pourtant protégées par la constitution, et à s’emparer du pétrole irakien.
Alors qu’on lui demandait s’il serait aussi « impitoyable » que le Premier ministre britannique Winston Churchill qui avait toléré les « pertes civiles », c’est en toute décontraction que Ben Carson a comparé à « de la chirurgie » la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents qui sont pris au piège dans les territoires contrôlés par Daech. Ted Cruz, lui, ne s’est pas éloigné de ses précédentes interventions en déclarant qu’il « détruirait Daech par les bombes » jusqu’à ce que le sable sous les pieds de ses dirigeants « brille dans la nuit ».
Mike Huckabee a affirmé que les États-Unis devraient « assouplir les règles du combat » dans leur lutte contre Daech, ce qui était un signal finalement peu subtil à l’attention de ceux qui ne se repaissent que du bombardement d’un plus grand nombre de musulmans.
Ceci pose désespérément la question suivante : si la mort de quatre millions de musulmans causée par les combats américains depuis 1990 n’a pas pu faire des États-Unis un pays plus sûr, alors qu’est-ce qui le pourra ?
La réponse à cette question mène inévitablement sur un terrain dangereux. Cependant, ceux qui aspirent à la présidence se sont tous montrés prêts à explorer le terrain dangereux en question, ayant conscience du regain d’intérêt dont bénéficie Donald Trump grâce à ses appels répétés à l’expulsion des musulmans, à la fermeture des mosquées et au fichage de trois millions de personnes de confession musulmane.
« Si l’islam est vraiment une religion prêchant la paix, les musulmans ne devraient avoir aucun problème à inviter les Américains dans leurs mosquées », a remarqué Mike Huckabee en guise de provocation – sous-entendant non seulement que les mosquées seraient non-américaines, mais aussi que l’islam représenterait une menace unique au monde. Donald Trump est allé encore un peu plus loin en confirmant ses précédentes promesses de tuer les proches de ceux qui rejoignent Daech.
Aucun des candidats n’a expliqué le pragmatisme moral de l’une ou l’autre de ces absurdes assertions, mais personne en Amérique n’a encore subi de désagréments professionnels, économiques ou politiques pour avoir diabolisé les musulmans, et la course à la présidentielle 2016 du Parti républicain met en évidence ce fait très concret, et terriblement effrayant.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America (2013), God Hates You. Hate Him Back (2009) et Koran Curious (2011). Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Ayla Brown chante l’hymne national américain devant les candidats républicains à la présidence américaine lors du débat électoral organisé par CNN à l’hôtel Venetian de Las Vegas, au Nevada, le 15 décembre 2015. De gauche à droite : le gouverneur de l’Ohio John Kasich, Carly Fiorina, le sénateur Marco Rubio (représentant de la Floride), Ben Carson, Donald Trump, le sénateur Ted Cruz (représentant du Texas, situé derrière Ayla Brown), Jeb Bush, le gouverneur du New Jersey Chris Christie et le sénateur Rand Paul (représentant du Kentucky).
Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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