Je suis accusé d’apologie du terrorisme pour avoir voulu dénoncer le fanatisme religieux
La polémique soulevée par la programmation de ma pièce « Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie », dépasse l’entendement.
La pièce, qui retrace les dernières heures de la vie de Mohamed Merah – ce jeune islamiste Franco-Algérien qui tua sept personnes dont trois enfants en mars 2012 –s’est jouée durant six jours à Avignon du 6 au 11 juillet. Un seul journaliste, celui de France Info, l’a vue. Il a fait un très bon papier sur le site de France Télévision. C’est ce qui a mis le feu aux poudres.
Quelques jours plus tard, tous les médias rendaient compte de cette pièce que personne n’a vue. La palme revient à Marianne qui publie un compte rendu virulent d’une universitaire qui prend à partie, l’auteur, le metteur et le directeur du Centre dramatique national (CDN) de Normandie, David Bobée, alors que son auteure, elle non plus, n’a pas assisté à la représentation et oublie de le préciser dans son papier.
Je passe sur les tombereaux d’injures que déversent les réseaux sociaux sur David Bobée, Yohan Manca (le comédien et le metteur en scène) et moi
Depuis, le CDN de Rouen et le théâtre de la Manufacture sont assaillis d’appels, et reçoivent chaque jour des menaces de mort.
Je passe sur les tombereaux d’injures que déversent les réseaux sociaux sur David Bobée, Yohan Manca (le comédien et le metteur en scène) et moi.
Il convient tout de même de rappeler que la pièce s’est jouée, sans susciter la moindre vague, au festival Nava, à Limoux en 2015, à l’initiative de Jean-Marie Besset, et qu’elle avait fait l’objet d’une critique très favorable de la Dépêche du Midi.
Cet article dithyrambique a même été repris par la Ligue de défense juive (LDJ), qu’on ne peut pas soupçonner d’antisémitisme : « Une pièce comme un coup de poing, sans retenue, puissante, portée par des dialogues si proches de la réalité et pourtant construits pour le théâtre, ciselés, vifs, explosifs, totalement dominés par des comédiens, Michaël Evans (le négociateur) et Yohan Manca (Momo), inventifs, plus vrais que nature, sans complexe. Ils nous ont déposés sur les rives de notre histoire contemporaine, libres de nos choix. C'est la grâce du théâtre dans une démocratie. »
La pièce s’est donnée également au théâtre de la Loge à Paris, du 11 au 13 novembre 2015. La dernière représentation coïncidait avec le massacre du Bataclan. Là non plus, elle n’a suscité aucune réaction.
Depuis Avignon, une pétition circule demandant l’interdiction de la pièce.
Une plainte pour apologie de terrorisme a été déposée le 16 juillet au Tribunal de grande instance de Paris, contre Yohan Manca et moi. Elle émane d’un obscur Bureau national de vigilance contre le terrorisme (BNVCA).
Il convient de préciser que les avocats des familles des victimes juives et musulmanes sont restés étrangers à cette affaire. Maître Patrick Klugman a démenti être à l’origine de cette plainte.
Miri Regev, membre du Likoud, connue pour son hostilité au milieu artistique israélien et pour sa haine des théâtres palestiniens
L’avocat toulousain, Maître Simon Cohen, qui défend plusieurs familles parties civiles dans l’affaire Merah est contre toute idée de censure. « On peut être choqué individuellement ou on peut estimer que ce n’est pas un bon sujet pour une pièce de théâtre mais on ne peut pas l’interdire ».
Quant au président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) Occitanie, Franck Toboul, il a déclaré : « Je ne porte aucun jugement sur les intentions de l'auteur, que je n'imagine pas autres que pédagogiques et bienveillantes ».
Le 19 juillet, la ministre de la Culture israélienne, Miri Regev, membre du Likoud, connue pour son hostilité au milieu artistique israélien et pour sa haine des théâtres palestiniens écrit à la ministre française de la Culture, Françoise Nyssen, pour lui demander l’interdiction de ma pièce.
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J’ai écrit cette pièce, au lendemain des attentats de Toulouse, à la demande de Jean-Louis Martinelli, directeur alors du théâtre des Amandiers. Je me suis inspiré du verbatim des entretiens entre Merah et l’officier de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) publiés par Libération. J’ai complètement réécrit les dialogues. J’ai de même effectué un travail d’investigation sur le parcours du terroriste pour éclairer son passage à l’acte. J’ai conçu la pièce comme une fouille archéologique pour mettre sous les yeux du public, et à travers l’échange entre le flic et l’assassin, ce qu’est un processus de radicalisation.
Bien entendu le contexte sociologique ne justifie pas à lui seul ce passage à l’acte. Le passage par la prison qui est aujourd’hui une vraie école de djihadisme, la fréquentation de milieux radicaux islamistes, la passion des armes, la haine des juifs, tout cela constitue un mélange explosif qui transforme le délinquant en terroriste.
On voit clairement sur scène, à travers les échanges, comment la destruction de la famille, l’absence du père, le trauma de la détention, l’ingestion d’un discours islamiste violent, la haine des juifs, conjugués ensemble mènent à l’assassinat des soldats et au massacre des enfants juifs.
La violence des réactions suscitées par la pièce s’explique par une chose. La figure de Merah, monstrueuse, cristallise à elle seule toute les haines et les épouvantes de la société française : « Arabe-musulman- algérien-beur- délinquant-racaille-tueur d’enfants juifs, assassin de soldats. »
Cependant condamner cette figure monstrueuse à une aporie radicale ne fera pas disparaître le crime, ni ne mettra la société à l’abri d’autres folies à venir.
Le théâtre a à voir avec la violence. Il est fondé sur la cruauté : tragédie, chant du bouc sous le couteau sacrificiel
La déshumanisation des auteurs d’actes extrêmes est une grande tentation de par la difficulté de compréhension qu’ils entraînent. Cette inhumanité serait comme l’a dit Spinoza, «l’asile de l’ignorance», une négation de la connaissance.
Il y aurait donc un refus de compréhension de l’acte et une incapacité à en comprendre les auteurs.
Le théâtre a à voir avec la violence. Il est fondé sur la cruauté : tragédie, chant du bouc sous le couteau sacrificiel. Le théâtre témoigne de la violence du monde.
Des Grecs à Edward Bond en passant par Shakespeare, le poète voit et raconte. Qu'il s'agisse d’Œdipe ou de Titus Andronicus, les faits sont âpres et le sang coule.
La mise à distance qu’apporte cette pièce permet justement d’exorciser le mal et la violence que ces attentats ont laissés en nous.
À aucun moment de la pièce, on ne peut parler d’empathie, mais il s’agissait de faire toucher du doigt la banalité du mal qu’incarne le personnage du terroriste.
Jamais mon algérianité n’a été autant mise en avant dans la presse
Quant aux attaques qui m’ont visées, soyons clairs, elles ne tiennent compte ni de mon travail, ni de mon parcours, mais essentiellement de ma nationalité d’origine et de mon patronyme. Jamais mon algérianité n’a été autant mise en avant dans la presse : « l’auteur-algérien » est repris à l’unisson par tous les médias de Charlie Hebdo à Valeurs Actuelles qui tiennent les deux le même discours à mon encontre.
Quand on dit « auteur-algérien », on sous entend « celui qui partage la même origine que Merah ».
C’est aussi une façon de botter en touche, de me sortir du terrain du jeu. Du Figaro à Libération et de La Dépêche à Marianne, personne n’oublie de préciser « l’auteur-algérien ».
Dans les moments d’hystérie, on ne fait jamais dans le détail, tant à gauche qu’à droite. À cela s’ajoute mon prénom : Mohamed. Un flagrant délit presque dans la tête de beaucoup. C’est pour cela que les demandes d’interdiction de ma pièce sonnent comme une reconduite à la frontière.
Du coup, tout mon parcours d’auteur se trouve effacé par cette « faute » de patronyme et cette nationalité délictueuse.
Mon combat contre les islamistes, mes tribunes pour l’interdiction du voile, mon engagement pour la défense de la laïcité, mes prises de position pour défendre Charlie Hebdo durant l’affaire des caricatures, mes tribunes pour Kamel Daoud, mon combat à côté d’Adel Hakim pour l’évocation de la Shoah sur les scènes palestiniennes, mes prises de risque à Gaza pour faire jouer Musset, au nez et à la barbe du Hamas. Tout ça passe à la trappe.
Les demandes d’interdiction de ma pièce sonnent comme une reconduite à la frontière
Les deux Mohamed se valent, à quoi bon se casser la tête ? C’est connu, les bougnoules sont solidaires entre eux. Gageons que si cette pièce avait été écrite par Paul ou Pierre, elle n’aurait pas suscité le moindre soupir à travers l’Hexagone.
Le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, j’avais signalé dans une chronique qui avait fait grand bruit à l’époque, qu’une partie de la jeunesse française ne partage ni les valeurs de la République et encore moins certains de ses deuils.
J’ai été lynché, accusé de mythomanie par tous les médias, traîné dans la boue deux semaines durant. Quelques mois plus tard, des milliers de témoignages, de récits, d’enquêtes allaient me donner raison. Mais c’était trop tard. Je fus taxé d’islamophobe notoire.
Aujourd’hui, je suis accusé d’apologie du terrorisme pour avoir voulu dénoncer le fanatisme religieux ! Pour avoir essayé de faire connaître au public ce que c’est que la haine islamiste, qui est la même que haine nazie que Primo Levi appelait à connaître, faute de la comprendre : « Dans la haine nazie, il n'y a rien de rationnel. (…) Nous ne pouvons pas la comprendre ; mais nous pouvons et nous devons comprendre d'où elle est issue, et nous tenir sur nos gardes. Si la comprendre est impossible, la connaître est nécessaire, parce que ce qui est arrivé peut recommencer, les consciences peuvent à nouveau être déviées et obscurcies : les nôtres aussi. »
En même temps, cette polémique absurde a quelque chose de positif : elle remet le théâtre à la place que les Grecs lui ont assignée depuis sa naissance : c’est à dire l’espace même où la Cité peut crier haut et fort ses amours, ses peurs et ses frayeurs.
- Mohamed Kacimi est écrivain et journaliste. Il travaille notamment pour Actuel et France Culture. Il publie chez Balland, Gallimard et Actes Sud, des romans, des essais, et des pièces de théâtre ainsi qu’un certain nombres d’ouvrages pour la jeunesse. Né en 1955 en Algérie, il s’est installé à Paris en 1982. Sa première pièce « 1962 », est accueillie au théâtre du Soleil par Ariane Mnouchkine. Il a conçu pour la Comédie française, le spectacle « Présences de Kateb » et adapté « Nedjma », du même auteur (Kateb Yacine). En 2001, sa pièce « La confession d'Abraham » est retenue pour faire l'ouverture du théâtre du Rond-Point. Sa pièce « Terre Sainte » a été traduite en douze langues.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Yohan Manca, le comédien et le metteur en scène de « Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie » (Facebook/Yohan Manca/Arnaud Bertereau).
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