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Comment le conflit entre les Houthis et Saleh pourrait faire basculer la guerre au Yémen

Le partenariat entre les Houthis et Saleh était sans aucun doute une entente de convenance, mais une éventuelle scission constituerait un développement majeur dans le conflit

L’alliance précaire entre l’ancien président du Yémen Ali Abdallah Saleh et le mouvement chiite zaydite houthi semble menacer de s’effondrer après que des accusations ont été échangées dans des discours télévisés au cours des derniers jours.

Les tensions entre les partenaires ont débuté quelques jours avant les célébrations ce jeudi du 35e anniversaire de la création du Congrès général du peuple (CGP), le parti de Saleh.

Ali Abdallah Saleh, qui a été renversé à la suite de la vague de révolutions arabes en 2012, et ses anciens adversaires, les Houthis du nord du Yémen, ont pris le contrôle de la capitale Sanaa en 2014, forçant le président Abd Rabbo Mansour Hadi à fuir. En juillet 2016, les Houthis et le CGP de Saleh ont formé un conseil de gouvernance qui n’a pas obtenu de reconnaissance internationale.

« Il ne fait aucun doute qu’une division entre eux pourrait engendrer une guerre interne soudaine qui aura des répercussions sur le conflit plus large si Saleh et les adversaires des Houthis l’exploitent »

- Ancien membre du mouvement houthi

Bien que l’on sache que des tensions existent entre les alliés, des griefs qui pourraient signifier des changements majeurs pour le conflit yéménite ont été exposés cette semaine au public.

Samedi, Abdul-Malik al-Houthi, chef du mouvement éponyme, a proféré des accusations dures à l’encontre de Saleh, insinuant que ce dernier collaborait avec les Saoudiens et que les Houthis « [recevaient] des coups de poignard dans le dos [...] même de la main de partenaires ». Il a ajouté que certains acteurs étaient coupés en deux, « avec une jambe au Yémen et une jambe autre part ».

Al-Houthi a souligné à plusieurs reprises l’importance de l’unité, affirmant que l’ennemi « [déployait] tous les efforts pour semer des divisions internes afin d’obtenir une victoire qu’ils n’ont pas su remporter ». Il a conclu le discours en soutenant que les partisans de son mouvement étaient « des partisans de la paix et de l’islam, mais pas de la capitulation ».

Plusieurs partisans houthis auraient également accusé Saleh de conspirer avec des membres de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite.

Soldats yéménites à un poste de contrôle alors que la sécurité est renforcée en prévision du 35e anniversaire du CGP, célébré cette semaine à Sanaa (AFP)

Saleh a répondu le lendemain lors d’un discours prononcé dans une salle remplie de partisans. Toujours aussi habile, l’homme politique a tendu un rameau d’olivier aux Houthis tout en leur renvoyant, avec ménagements, les critiques sur les mois de salaires impayés et l’absence de fonds publics.

Saleh leur a également reproché leur décision de maintenir leur Conseil suprême révolutionnaire, qui devait être dissous après la formation du Conseil politique suprême regroupant les Houthis et le CGP l’année dernière, mais qui a continué à en superviser les initiatives.

« Si vous voulez que nous restions à vos côtés dans un partenariat pour diriger le pays, il n’y a aucun mal à cela. Si c’est dans le cadre de la constitution et de la loi, nous sommes heureux [de rester] », a déclaré Saleh d’un ton détaché mais pas du tout sincère. « Si vous voulez recommencer à gouverner tout seuls, nous nous retirerons et il n’y aura pas de problème entre nous. »

Alors que le discours d’Abdul-Malik al-Houthi semblait froid et forcé, Saleh paraissait pour sa part confiant et maître de lui-même. L’altercation de ce week-end a peut-être joué en faveur de l’ancien président.

Ce que cela signifie pour le conflit

Les critiques de Saleh à l’encontre des Houthis sont peut-être plus que l’expression de divisions internes. Saleh semble signaler au président en exil, Hadi (qui était son vice-président), aux Saoudiens et à ses propres partisans aux Émirats arabes unis qu’il est prêt à négocier. Bien que le discours de Saleh ait appelé à l’unité face à l’ennemi, il n’a pas critiqué ni même mentionné une seule fois l’Arabie saoudite.

Bien que le discours de Saleh ait appelé à l’unité face à l’ennemi, il n’a pas critiqué ni même mentionné une seule fois l’Arabie saoudite

Avant que Saleh ne monte sur l’estrade dimanche dernier, des affiches qui le représentaient et qui faisaient la promotion des célébrations de l’anniversaire du CGP prévues ce jeudi avaient été défigurées, vraisemblablement par des partisans houthis. Le lendemain, la rumeur courait que des affrontements avaient éclaté entre les forces de Saleh et les Houthis, prétendument au sujet des affiches déchirées.

L’une des affiches de promotion des manifestations les plus remarquables indiquait : « Oui à l’impartialité et au centrisme, à une solution nationale indépendante, à l’État moderne yéménite. » On y voit Saleh remettre le drapeau du Yémen à Hadi lors de son investiture en 2012, un choix en apparence étrange et contradictoire pour un homme qui a contribué plus tard au coup d’État contre son successeur.

Affiche déchirée représentant le président déchu du Yémen Ali Abdallah Saleh et annonçant le 35e anniversaire de la création de son parti, le Congrès général du peuple, prévu cette semaine à Sanaa (AFP)

Selon Ali Mohsen Hamid, chroniqueur yéménite et ancien ambassadeur de la Ligue arabe, cette affiche « pourrait être un message indiquant qu’il trouvera un terrain d’entente avec Hadi et ses soutiens extérieurs. L’Arabie saoudite est davantage prête à faire affaire avec lui qu’avec ses alliés [les Houthis]. »

Hamid a ajouté que cette affiche était également destinée à provoquer les Houthis, qui se sentaient naturellement menacés par la perspective des manifestations de jeudi. Ils ont vu l’événement comme une démonstration de soutien pour Saleh et son parti, mais pas pour eux.

Une alliance fragile

Le partenariat entre les Houthis et Saleh était sans aucun doute une entente de convenance et les rapports faisant état de tensions au sein de leur camp ne sont guère surprenants. Cependant, une éventuelle scission au sein du camp des Houthis et de Saleh constituerait un développement majeur dans le conflit.

Selon un ancien membre du mouvement houthi qui a demandé à rester anonyme, « la division [entre les Houthis et Saleh] était inévitable et attendue. Si cela entraîne des affrontements, ce sera catastrophique pour Sanaa [...] Il ne fait aucun doute qu’une division entre eux pourrait engendrer une guerre interne soudaine qui aura des répercussions sur le conflit plus large si Saleh et les adversaires des Houthis l’exploitent. C’est ce que les deux acteurs cherchent à éviter. »

Des partisans houthis se rassemblent au stade de Sanaa pour voir Abdul-Malik al-Houthi prononcer un discours en février 2005 (AFP)

Le président déchu et Abdul-Malik al-Houthi ont été des alliés naturels tout au long des deux ans et demi de guerre, ayant trouvé des ennemis communs en la personne de Hadi et des Saoudiens. Avant la révolution yéménite, leur relation était tout le contraire. Entre 2002 et 2010, le président Saleh a mené six guerres contre la base principale des Houthis, à Sa’dah, dans le nord du Yémen. Plusieurs centaines de milliers de civils ont été déplacés à la suite des combats.

Le nombre total de victimes de ce conflit est encore inconnu et les estimations se situent entre mille et plusieurs dizaines de milliers. Les forces de Saleh ont notamment tué Hussein Badreddine al-Houthi, frère d’Abdul-Malik et ancien chef du mouvement.

Ce que cela signifie pour le Yémen

Il est impossible de savoir si une fracture supplémentaire entre les parties belligérantes au Yémen annonce une opportunité pour des négociations ou ne fait que condamner le pays à une intensification des combats.

Selon des e-mails révélés par Middle East Eye, le prince héritier saoudien et ministre de la Défense Mohammed ben Salmane veut « sortir du Yémen ». C’est un signe d’espoir, mais le royaume pourrait imposer comme conditions préalables le désarmement et le retrait des Houthis.

À LIRE : Le prince héritier d’Arabie saoudite veut sortir de la guerre au Yémen

En outre, les Saoudiens pourraient voir les conflits entre leurs adversaires comme un signe qu’ils sont proches de la victoire, ce qui les pousserait à croire qu’il suffit à leur coalition de continuer leur offensive jusqu’à la reddition des forces divisées.

Selon l’ancien membre anonyme des Houthis, quelle que soit l’issue, « c’est maintenant une situation délicate pour tous ». Ce dernier ajoute que « la prochaine phase devrait être marquée par un certain nombre d’assassinats [par les forces de Saleh et de Hadi] ».

Les réponses du CGP, des Houthis et des acteurs régionaux suite aux manifestations de ce jeudi pourraient nous en dire beaucoup sur le sort des principaux acteurs au Yémen et sur ce que le conflit réserve.

Hannah Porter est une chercheuse et journaliste indépendante qui se concentre sur le Yémen et le Golfe. Elle poursuit également des études de maîtrise au Center for Middle Eastern Studies de l’Université de Chicago.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : rassemblement de partisans yéménites de l’ancien président Ali Abdallah Saleh et des Houthis, à Sanaa, en août 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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