Comment vaincre l’État islamique en Irak
Le 5 octobre, le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie a été expulsé de son dernier bastion urbain en Irak, Hawija, près de la ville contestée de Kirkouk. Cette victoire est survenue à un carrefour délicat dans la lutte contre l’EI, dix jours à peine après le référendum kurde dans le nord de l’Irak.
Le vote kurde pour l’indépendance survient à un moment qui compromet l’opportunité pour les Kurdes et les Arabes irakiens de consolider leur victoire contre l’EI
Le contrôle du groupe État islamique sur les villes irakiennes s’est pratiquement effondré. Mais le groupe contrôle toujours du territoire syrien, et de là, il peut toujours organiser ses vestiges en Irak pour mener des attentats-suicides.
Le vote kurde pour l’indépendance survient à un moment qui pourrait compromettre l’opportunité pour les Kurdes et les Arabes irakiens de consolider leur victoire contre l’EI.
La victoire militaire définitive à Hawija a ouvert la voie à une solution politique pour réintégrer les zones autrefois occupées par l’EI. La façon dont l’élite politique irakienne gère ce processus délicat déterminera en fin de compte la capacité de l’État islamique à menacer la nation à l’avenir.
Sympathisants de l’État islamique
Fin septembre, le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) irakien, dont la capitale est Erbil, a organisé un référendum sur l’indépendance. Ce scrutin a été condamné par le gouvernement central de Bagdad, de même que par ses voisins comme la Turquie et l’Iran. Les États-Unis se sont opposés au vote, arguant que cela mettrait en danger la campagne contre l’EI.
Les peurs américaines ne sont pas sans fondement. Ce sont les divisions entre le gouvernement central et le GRK qui ont abouti à leur incapacité à partager les informations avant la résurgence de l’EI en 2014.
À la veille de la chute de Mossoul en juin de la même année, l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki a apparemment manqué de réagir aux renseignements kurdes irakiens selon lesquels l’EI planifiait son offensive. Au cours des trois années de campagne de lutte contre l’EI, Bagdad et Erbil ont toutes deux fait preuve d’un manque de volonté politique dans la coordination de leurs campagnes de lutte contre le groupe armé.
Avec la libération de Hawija, la coopération entre Bagdad et Erbil est primordiale, car l’EI a probablement des cellules dormantes dans les zones libérées d’Irak, ce qui pourrait entraver le processus de reconstruction et de réinstallation des personnes déplacées.
La question concernant l’avenir de l’Irak reste comment établir sa légitimité parmi les Arabes sunnites isolés dans les grandes provinces de Ninive, Al Anbar et Salah al-Din
La gestion par le gouvernement central et le GRK de la reconstruction et de la réinstallation sur l’ancien territoire de l’État islamique a manqué de dynamisme en raison d’un manque de fonds et de volonté politique. En ce qui concerne les zones détenues par l’EI rendues au gouvernement central, c’est la gouvernance de Bagdad qui a conduit aux conditions qui avaient permis à l’EI de trouver un terrain fertile en premier lieu.
Les arabes sunnites irakiens ont enduré des privations physiques et affectives sous la domination de l’EI et il y a peu de chances qu’ils permettent au groupe de revenir dans leur région. Cependant, le passé traumatique des arabes sunnites sous l’EI ne se traduit pas par un soutien de facto au gouvernement de Bagdad.
La question concernant l’avenir de l’Irak reste comment établir sa légitimité parmi les sunnites arabes isolés dans les grandes provinces de Ninive, Al Anbar et Salah al-Din.
Le rythme de la reconstruction, de la réinstallation et, enfin, le fait d’offrir à ces Irakiens un espace d’inclusion politique, au niveau municipal et national, déterminera finalement la paix. Malheureusement, cette politique d’inclusion n’a pas su se matérialiser. La plupart des sunnites arabes irakiens sous le règne de l’EI ont été soupçonnés d’être des sympathisants de l’EI.
Querelle politique
L’impasse dans laquelle se trouvent les forces politiques à Bagdad et au Kurdistan irakien est largement due à des considérations politiques, car les différents partis cherchent à rallier leur base à l’approche des élections législatives de 2018 en Irak. Ces luttes politiques entravent malheureusement la capacité du gouvernement irakien à développer un discours stratégique convaincant qui traitera les conditions sous-jacentes qui ont conduit à l’émergence de l’EI en premier lieu.
À l’échelle nationale, à la fois en Irak et au GRK, l’Irakien lambda s’inquiète de la lutte contre la corruption, de la création d’emplois, de la limitation des abus de pouvoir des forces de sécurité et du renforcement de la cohésion nationale parmi les élites querelleuses. Ni Erbil ni Bagdad n’ont traité ces préoccupations.
Les États-Unis ne semblent focalisés que sur la campagne militaire contre l’EI, et l’administration Trump semble ne pas voir plus loin que le bout de son nez. C’est ici que la communauté internationale, l’ONU, d’autres États et organisations peuvent appliquer les leçons tirées d’autres zones de conflit à l’Irak.
Leçons
Premièrement, alors que le statut futur du Kurdistan irakien reste incertain, la communauté internationale devrait néanmoins inciter Bagdad et Erbil à coopérer à l’élaboration d’un plan conjoint garantissant l’inclusion significative des groupes marginalisés, y compris les arabes sunnites de Mossoul et de Kirkouk, ainsi que ses minorités, Turkmènes, chrétiens et Yézidis, dont beaucoup sont déplacés à l’intérieur du pays.
Deuxièmement, à mesure que l’aide internationale arrive, les donateurs doivent veiller à ce que les gouvernements irakiens à Bagdad et à Erbil s’attaquent aux inégalités structurelles, y compris la corruption et les abus de pouvoir des forces de sécurité et des acteurs paramilitaires, ainsi que dans les institutions judiciaires.
Troisièmement, le soutien international doit être subordonné à des mesures de confiance qui favorisent la cohésion sociale dans les territoires précédemment détenus par l’EI, outre les territoires contestés entre Bagdad et le GRK, en particulier la ville de Kirkouk.
Ces mesures pourraient inclure la mise en place de mécanismes de réclamations qui créent des espaces de dialogue, en particulier pour les communautés de Mossoul et de Kirkouk, et les forces de sécurité. Les programmes de police communautaire entre les sections locales de Mossoul et de Kirkouk et les forces de sécurité pourraient favoriser la cohésion sociale.
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Bien que cette stratégie soit nécessaire au niveau municipal, elle devrait également s’appliquer aux forces de sécurité, telles que les Peshmergas kurdes, l’armée irakienne et les milices chiites irakiennes. Il y a de la méfiance entre les milices chiites et les Peshmergas, mais les milices chiites ne seront pas dissoutes, malgré le souhait des États-Unis.
Les milices chiites sont immensément populaires parmi les chiites irakiens et elles évolueront probablement en forces officielles sur le modèle des Peshmergas, qui étaient autrefois des milices, mais sont devenues les forces de défense officielles du GRK. Des exercices conjoints entre les trois forces de sécurité irakiennes renforceraient la confiance et consolideraient la victoire contre l’EI.
Cependant, la complexité des politiques nationales et régionales ainsi que la participation de nombreux acteurs, étrangers et nationaux, ne feront que compliquer la réalisation de cet agenda à long terme.
- Ibrahim Al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent « Iraq’s Armed Forces: An Analytical History » (2008), « The Modern History of Iraq » (2017), et « A Concise History of the Middle East » (à paraître).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Des membres des Unités de mobilisation populaire (UMP) à la périphérie de Hawija, en Irak, le 4 octobre 2017 (Reuters)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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