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David Friedman, le croisé

La croisade de Friedman a trois objectifs principaux : fortifier le projet colonial d’Israël, mettre à mal l’accord sur le nucléaire entre les États-Unis et l’Iran et vilipender les libéraux, en particulier ceux d’origine juive

David Friedman, le nouvel ambassadeur des États-Unis en Israël, est en croisade. Deux semaines avant les élections, il a écrit une tribune libre dans le Jerusalem Post qui révèle sa ferveur inflexible : « Alors que le nombre de juifs américains s’élève environ à six millions d’âmes [...], nous nous sommes vu offrir une occasion dont nos ancêtres n’auraient pas pu rêver. [...] Au lieu de devoir faire face aux défis imposés par des ennemis meurtriers [...], nous nous sommes vu confier un héritage par la plus grande des générations, celle qui nous a précédés, pour veiller à ce qu’Israël survive et s’épanouisse en tant que lumière pour les nations et foyer permanent pour le peuple juif. »

La croisade de Friedman a trois objectifs principaux : fortifier le projet colonial d’Israël, mettre à mal l’accord sur le nucléaire entre les États-Unis et l’Iran et vilipender les libéraux, en particulier d’origine juive.

Les deux premiers objectifs ont été révélés très clairement dans un plan d’action en seize points rédigé par Friedman et Jason Dov Grennblatt en novembre dernier.

Le colonialisme israélien

Tout d’abord, le plan stipule que « les États-Unis reconnaîtront Jérusalem comme la capitale éternelle et indivisible de l’État juif et [que] l’administration de M. Trump déplacera l’ambassade américaine à Jérusalem ». Simultanément, la solution à deux États est présentée comme étant obsolète, non pas en raison de la réalité géographique créée par plus d’un demi-million de colons juifs qui se sont emparés de terres palestiniennes, mais parce que « les Palestiniens ne sont pas prêts à renoncer à la violence contre Israël ou à reconnaître le droit d’Israël d’exister en tant qu’État juif ».

Selon Friedman, le problème est que les deux grands partis politiques palestiniens « font régulièrement la promotion de l’antisémitisme et du djihad ». Ces explications éludent clairement la violence quotidienne vécue par les Palestiniens tout en donnant le feu vert à la poursuite de leur dépossession.

Cependant, le plan en seize points insiste également sur le fait que pour permettre à Israël de poursuivre son projet colonial sans entrave, il est primordial de mettre à mal les institutions internationales qui ont tenté de freiner les politiques israéliennes qui portent atteinte aux droits de l’homme.

Friedman suggère donc que « les États-Unis devraient couper le financement versé au Conseil des droits de l’homme de l’ONU » et « opposer leur veto à tout vote des Nations unies qui isole injustement Israël », tout en travaillant avec l’Union européenne en vue de s’opposer « aux exigences spéciales d’étiquetage des produits israéliens ou aux boycotts des marchandises israéliennes ».

En effet, « les États-Unis devraient considérer l’effort de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) à l’encontre d’Israël comme intrinsèquement antisémite et prendre des mesures fortes, tant diplomatiques que législatives, pour contrecarrer les actions qui visent à nuire aux relations commerciales avec Israël ».

Alors que l’antisémitisme est un trope récurrent dans le lexique du nouvel ambassadeur, qui s’en sert comme d’une arme politique pour détourner les critiques, il est crucial de comprendre que Friedman n’est pas seulement un rhétoricien aguerri, mais aussi un stratège averti. En effet, il n’a pas attendu sa nomination pour se mettre à assister de manière proactive les colons juifs messianiques. Afin de contribuer à racheter la terre d’Israël où le peuple juif « vit [...] depuis 3 500 ans », Friedman a rejoint les Amis américains de Beit El, une ONG qui collecte des fonds pour la colonisation de la Cisjordanie.

En tant que président de l’organisation, il est parvenu à solliciter des fonds à l’association caritative familiale de Jared Kushner, le gendre de Trump, et à solidifier ainsi le lien entre l’administration entrante et les colonies illégales d’Israël.

Mettre à mal l’accord sur le nucléaire iranien

Son deuxième objectif en tant qu’ambassadeur sera d’aider le Premier ministre Benjamin Netanyahou à mettre à mal l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015. Reprenant la réplique de Netanyahou, Friedman dépeint l’Iran dans le document « comme le principal État parrainant le terrorisme, qui met en danger le Moyen-Orient en particulier mais aussi le monde entier en finançant, en armant et en formant des groupes terroristes qui opèrent aux quatre coins du monde ».

Friedman conclut qu’il s’agit d’une violation du Plan global d’action conjoint signé avec l’Iran et que cela justifie la mise en œuvre de « nouvelles sanctions sévères ».

En plus du retrait de l’accord signé avec l’Iran, Friedman recommande que l’administration Trump renforce le « lien indéfectible entre les États-Unis et Israël » en veillant à ce qu’Israël reçoive « une coopération militaire, stratégique et tactique maximale des États-Unis ».

Il recommande donc d’annuler la clause du mémorandum d’entente récemment signé par l’administration Obama et le gouvernement israélien qui empêche le Congrès des États-Unis d’apporter un soutien financier supérieur aux 3,8 milliards de dollars qu’il a déjà promis de fournir annuellement pour les dix prochaines années.

Délégitimer les libéraux juifs

Enfin, le troisième objectif de Friedman est de délégitimer les libéraux ou tous ceux qui s’opposeront à sa croisade. Cet objectif a été aperçu très clairement dans le langage qu’il utilise pour calomnier ceux qui ne sont pas d’accord avec son programme politique.

Il a dépeint les médias tels que le New York Times et le Washington Post comme une cinquième colonne, tandis que le président Barack Obama est décrit comme un antisémite et que les juifs actifs dans le lobby pro-israélien J Street sont considérés comme « pires que des kapos – les juifs qui dénonçaient leurs frères juifs dans les camps d’extermination nazis. »

Pourquoi, pourrait-on se demander, sont-ils pires que des kapos ?

Friedman s’explique : « Les kapos ont affiché une cruauté extraordinaire et qui sait ce que n’importe lequel d’entre nous aurait fait dans ces circonstances pour sauver un être cher ? Mais J Street ? Ce ne sont que des défenseurs arrogants de la destruction d’Israël qui agissent depuis le confort et la protection de leur sofa américain – il est difficile d’imaginer de pires individus. »

Ce qui est particulièrement effrayant à propos de Friedman – comme bon nombre des autres choix de Trump –, c’est qu’il est engagé dans une mission sacrée. Ainsi, quiconque n’est pas d’accord avec ses deux premiers objectifs est défini comme un apostat, antisémite ou djihadiste, ou comme un apologiste de l’un ou l’autre de ces courants, voire des deux.

Du point de vue de quelqu’un qui a été témoin de ce que l’interventionnisme américain a semé au Moyen-Orient depuis l’aube du nouveau millénaire, la nomination de Friedman est non seulement extrêmement effrayante, mais, comme ce fut le cas avec les croisés, elle laisse également présager une grande effusion de sang.

Neve Gordon est l’auteur de Israel’s Occupation et co-auteur de The Human Right to Dominate.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : affiches électorales pro-Trump en Israël (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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