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« Des inconnues inconnues » : ce que Trump signifie pour la Syrie

Trump, qui est perçu comme isolationniste, s’est très peu exprimé sur la Syrie, mais ce qu'il a dit a sonné l'alarme

L'ancien secrétaire américain à la défense Donald Rumsfeld a déclaré un jour dans une remarque devenue célèbre que, tout au long de leur histoire, les États-Unis ont fait face à des « inconnues inconnues » : ce que nous savons ne pas savoir. Essayer de prévoir comment le président élu Donald Trump abordera la politique étrangère en général et la crise syrienne en particulier semble tomber dans cette catégorie.

Le triomphe invraisemblable de Trump consternera ceux qui espèrent un rôle plus affirmé des États-Unis en Syrie

Tandis que les analystes pouvaient se baser sur le bilan public d’Hillary Clinton ou sur ses innombrables déclarations pour esquisser ce à quoi sa politique syrienne aurait pu ressembler, Trump ne leur donne guère plus que de vagues phrases-choc aux relents populistes.

Le triomphe invraisemblable de Trump consternera ceux qui espèrent un rôle plus affirmé des États-Unis en Syrie. Lorsqu’elle était secrétaire d'État, Hillary Clinton s’était forgée une réputation de faucon, ayant favorisé l’armement des groupes rebelles syriens en 2012 et appelé à l’instauration de zones d’exclusion aérienne pour faire face au président Assad et à son allié russe pendant la campagne présidentielle.

Nombreux sont ceux qui dans la communauté de la politique étrangère de Washington DC espéraient qu'une victoire de Clinton provoquerait un plus grand activisme des États-Unis, récemment souligné dans des documents de politique qui seront à présent révisés à la hâte, voire jetés aux oubliettes. De même, les alliés régionaux traditionnels des États-Unis, notamment l'Arabie saoudite, la Turquie et Israël, espéraient qu’Hillary Clinton, considérée comme une amie, orienterait la politique apparemment détachée du président Obama au Moyen-Orient davantage en leur faveur, en particulier en ce qui concerne la Syrie.

Au lieu de cela, ils doivent maintenant traiter avec un homme qui a rarement mentionné la Syrie pendant sa campagne présidentielle, et dont les propos à ce sujet ont sonné l'alarme.

Pas d’armes pour les rebelles

Lors du deuxième débat présidentiel, Trump a insinué que sa priorité était de lutter contre le groupe État islamique (EI) et non pas de défier la Russie ou Assad, déclarant : « Je n'aime pas du tout Assad, mais Assad tue l’ISIS [l’EI] ».

Tout en reconnaissant qu’une catastrophe humanitaire est en cours dans la moitié orientale d'Alep, contrôlée par les rebelles et assiégée par le régime syrien, Trump a soutenu que la ville était « fondamentalement » déjà tombée. Il a par ailleurs vivement critiqué l'idée d'armer les rebelles syriens, affirmant qu'ils « sont pires au final », et s’est montré hostile envers les réfugiés syriens.

Des Syriens transportent leurs affaires alors qu'ils quittent la ligne de front au sud-ouest d'Alep le 30 octobre, troisième jour d'une offensive rebelle visant à briser un siège du régime qui dure depuis trois mois (AFP)

Ailleurs, Trump a parlé de Poutine avec admiration et des princes saoudiens avec mépris. Il est en outre célèbre, bien sûr, pour ses politiques anti-musulmans. Ceci, parallèlement à ses remises en question des institutions multilatérales telles que l'OTAN et des accords commerciaux internationaux, a conduit de nombreux observateurs à craindre qu'il n’adopte une position plus isolationniste : éloignant toujours plus les États-Unis du Moyen-Orient et de la Syrie et cédant peut-être le terrain à Moscou.

Retour à la réalité

Toutefois, une certaine prudence est de mise. Tout d'abord, le changement qu’aurait pu opérer Hillary Clinton sur la Syrie ne devrait pas être exagéré. Elle aurait dû faire face aux mêmes contraintes structurelles qui ont empêché Barack Obama de jouer un rôle plus prononcé : la réticence à engager des « bottes sur le terrain », la dissuasion exercée par les forces russes déjà présentes en Syrie, et la difficulté de savoir à quels rebelles « modérés », si tant est qu’il y en ait, il serait possible de confier des armes américaines supplémentaires.

En outre, à l’instar de Trump et de tout président nouvellement élu, au début de son mandat Hillary Clinton aurait probablement donné la priorité aux préoccupations nationales et se serait méfiée des aventures à l’étranger. Si, sous une présidence Clinton, la rhétorique concernant la Syrie aurait peut-être été plus affirmée, les choix politiques seraient restés limités.

Il est possible, en fonction de qui sera nommé, que l'approche de Trump sur la Syrie ne représente pas la rupture radicale que craignent certains

Deuxièmement, la politique syrienne de Trump demeure inconnue. Tant qu’il n’a pas composé son administration et nommé son secrétaire d'État, l'approche de Trump au Moyen-Orient reste incertaine. Est-ce que ces nominations ajouteront de la substance à ses déclarations de campagne isolationnistes ou est-ce que, à sa prise de fonction, il se modèrera quelque peu et puisera dans le socle d'experts en politique étrangère de Washington ?

La clé de tout cela peut résider dans la façon dont Trump gèrera le parti républicain. Bien qu'il se soit opposé aux républicains pendant sa campagne, ces derniers contrôlent maintenant les deux chambres du Congrès et pourraient ainsi construire des ponts avec leur vainqueur improbable.

Dans un tel scénario, les dirigeants de l'ère Bush qui préconisent une vision du Moyen-Orient non dissimilaire à celle de Clinton pourraient revenir au gouvernement. Il est donc possible, en fonction de qui sera nommé, que l'approche de Trump sur la Syrie ne représente pas la rupture radicale que craignent certains.

Des options américaines limitées

Mais le plus important peut-être, c’est que les États-Unis ne sont pas le seul grand acteur externe dans la guerre civile syrienne, au grand dam de certains think tanks de Washington.

Tout vainqueur de l'élection présidentielle aurait eu des difficultés à changer cette dynamique car cela aurait exigé un capital politique et militaire qu'aucun candidat n'était prêt à consacrer

Depuis le début du soulèvement en Syrie, l'administration Obama a limité son soutien politique et armé aux rebelles, alors que d'autres États ont joué un rôle plus décisif. Aujourd'hui, les États les plus influents sont les alliés d'Assad, la Russie et l'Iran, tandis que les alliés anti-Assad de Washington, à savoir la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar, se sont révélés à certains moments plus influents que les États-Unis.

Tout vainqueur de l'élection présidentielle aurait eu des difficultés à changer cette dynamique car cela aurait exigé un capital politique et militaire que, sans nul doute, aucun candidat n'était prêt à consacrer.

De fait, de nombreux commentateurs ont suggéré que la position d’Hillary Clinton en faveur d’une zone d’exclusion aérienne était largement rhétorique, dans la mesure où pour mettre en œuvre une telle décision il aurait fallu attaquer les positions russes, au risque d’une escalade contre laquelle avaient vivement mis en garde les responsables du Pentagone, y compris les chefs de l'état-major interarmées.

De la fumée s’élève de la zone de front à Dahiyet al-Assad suite à une attaque rebelle contre les forces du régime syrien à Alep le 29 octobre (AFP)

Nulle part la réalité de ceci n'est plus visible qu'à Alep aujourd'hui. Indépendamment de l'hystérie entourant les élections américaines, Moscou se prépare pour un assaut total sur l'est de la ville tenu par les rebelles. La Russie avait préparé cette attaque en vue de faire une percée décisive avant un changement d'administration aux États-Unis, peu importe l’identité du nouveau président. Poutine se réjouit peut-être de la victoire de Trump au détriment de Clinton, mais il est peu probable qu’il s'écarte de ce plan puisqu’il ignore toujours à quoi ressemblera le prochain gouvernement américain.

Le futur président des États-Unis demeure une « inconnue inconnue » pour Poutine, les Syriens et d'autres observateurs de ce conflit : imprévisible et incohérent, et donc potentiellement inquiétant pour tous.

- Christopher Phillips est maître de conférences à Queen Mary, Université de Londres, et chercheur associé à Chatham House. Son dernier livre, The Battle for Syria: International Rivalry in the new Middle East, est actuellement en vente.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une Syrienne emmène un enfant à l'hôpital al-Razi dans le district al-Jamiliyeh d’Alep contrôlé par le gouvernement, suite à des bombardements sur le quartier al-Sayed Ali le 16 octobre 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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