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Emparons-nous de la Maison Blanche, pour commencer : Steve Bannon, l’étoile montante des États-Unis

Leonard Cohen aurait savouré l’histoire de ce quasi-inconnu qui joue le rôle d’un boulet de canon résolu à abattre l’ordre mondial existant

Quel dommage que Leonard Cohen soit mort la semaine de l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche et de l’onction de Stephen Bannon qui devient le premier conseiller du nouveau président. Cohen aurait savouré ce scénario et je ne peux m’empêcher de me demander quelle sorte de chanson le poète qui était aurait produite.

Je ne peux m’enlever de la tête les paroles de sa chanson, un grand succès en 1988, « Emparons-nous de Manhattan, pour commencer » (« First We Take Manhattan ») : « Ils m’ont condamné à vingt ans d’ennui / Pour avoir tenté de changer le système de l’intérieur / Aujourd’hui, me voilà, je leur porte leur récompense / Emparons-nous de Manhattan pour commencer, ensuite ce sera le tour de Berlin ». On lui a demandé un jour quel était le message de cette chanson, et il a répondu : « C’est un projet géopolitique. On me demande ce que ça signifie ? Ça signifie exactement ce que je dis ».

En substance, Bannon est un self-made man. Il s’est sorti d’une enfance misérable pour devenir incontestablement le deuxième personnage le plus puissant du monde

Qu’on me permette par conséquent de penser que Bannon possède un grand nombre des caractéristiques que Cohen aurait trouvées fécondes pour en jouer à sa façon – férocement drôle et  sinistrement satirique.

Le président du conseil exécutif, 63 ans, est issu de Breitbart News. Il est devenu le premier stratège de campagne de Donald Trump et vient d’être promu stratège en chef de la Maison Blanche auprès du président élu. Le mantra de Bannon ne saurait être plus simple : « les faits emportent l’adhésion, les opinions sont balayées d’un haussement d’épaules ».

Quelques faits : en août 2016, Bannon a pris le contrôle d’une campagne Trump en pleine capilotade et l’a infléchie pour lui faire prendre la direction qui allait finalement s’avérer décisive pour remporter la victoire électorale étourdissante que l’on sait. Oublie les attaques contre musulmans et Mexicains, martèle sans cesse qu’Hillary Clinton est malhonnête.

Bannon a fourni aux médias traditionnels des informations sur Hillary Clinton qui allaient avoir un impact infiniment plus puissant que si elles étaient passées sur Breitbart (AFP)

Taper sur Hillary

Il savait que Clinton était vulnérable parce que cela fait des années que Breitbart News, sous la direction de Bannon, fouine dans les relations souvent douteuses entre les Clinton et la fondation qui porte leur nom. Ces recherches ont été conduites par une filiale, le Government Accountability Institute (GAI, Institut pour la responsabilité gouvernementale), qui dispose d’une redoutable équipe de journalistes d’investigation. Bannon a fourni sur Clinton des informations reprises par les médias établis, entre autres le New York Times, Time Magazine, 60 Minutes sur ABC – organes de presse à l’égard desquels il ressent un mépris notoire.

Il avait bien compris que les soupçons de prévarication impliquant les Clinton auraient un impact infiniment plus fort s’ils paraissaient dans les organes communément appelés « respectables », « traditionnels » plutôt que sur Breitbart News

Malgré tout son mépris, il avait deviné que les affaires de malversations impliquant les Clinton auraient un impact infiniment plus fort si elles paraissaient dans les soi-disant organes de presse respectables, traditionnels, plutôt que sur Breitbart News – souvent, et légitimement associé aux milieux d’extrême-droite, antisémites, suprématistes blancs, nationalistes néo-fascistes et islamophobes.

Un dernier fait : Bannon a eu raison de voir en Nigel Farage le vrai visage de la campagne en faveur du Brexit. Nombre d’électeurs, dont certains tenants du Brexit, le trouvaient infréquentable et scandaleux, mais il n’en reste pas moins que c’est lui qui a fait émerger le vote anti-européen, anti-immigration et anti-musulman. Bien avant le Brexit, le bureau de Breitbart News à Londres s’était mué en club de majorettes ovationnant Farage bien avant le Brexit, mais Bannon trouvait à son goût la tactique de Farage, capable de provoquer « choc et effroi », de mélanger faits, fiction et mensonges pendant la campagne, dont le point culminant fut son infâme affiche : « Breaking Point » (Point de rupture).

Bannon eut le flair de repérer Nigel Farage (ici le 10 novembre à la Trump Tower en compagnie du président élu) – le vrai représentant de la campagne en faveur du Brexit, infréquentable et scandaleux aux yeux de beaucoup (AFP)

Premier coup de fil : réservé à Farage

Et c’est pourquoi la première personnalité politique britannique avec qui Donald Trump a condescendu à parler fut Nigel Farage. Les milieux médiatiques et politiques britanniques, élitistes et traditionnels y ont vu un horrible présage : Farage se pavanait comme un coq, chantant sur ITV, « J’ai effectivement des rapports d’amitié avec (Trump) et une partie de son équipe. Quant à moi, j’ai un vaste réseau et suis prêt à me mettre à son service ». L’ancien chef d’UKIP a déploré la réponse du gouvernement à une offre aussi amicale, et ajouté : « Le bon sens veut que, si quelqu’un vous ouvre la porte, on ne la lui claque pas au nez ».

On peut parier à coup sûr que le stratège en chef de Donald Trump veillera à offrir au Front national de Marine Le Pen le même genre de couverture dithyrambique réservé à Farage par Breitbart il n’y a pas si longtemps

C’est ainsi que Farage, si souvent ridiculisé, se retrouve de nouveau sous les feux de la rampe, visiblement ravi de tant d’attention, livré à la vindicte des uns mais faisant surtout régulièrement les gros titres, au point de mettre vraiment mal à l’aise Theresa May et son groupe indécis de partisans du Brexit. C’est précisément le genre de réactions dont se délecte Steve Bannon.

Nigel Farage n’est pourtant pas le seul politicien populiste à avoir attiré l’attention de Trump de ce côté-là de l’Atlantique. Breitbart News ouvrira bientôt des bureaux à Berlin et à Paris. Et il y a fort à parier que le stratège en chef de Donald Trump veillera à ce que le Front national de Marine Le Pen reçoive une couverture aussi dithyrambique que celle offerte par Breitbart à Farage. Dans la même veine, le bureau de Berlin va harceler Angela Merkel, qui a bien du mal à garder le contrôle de son parti et sa fonction de chancelière, pendant qu’au même moment Breitbart News prend fait et cause pour le parti anti-musulman et eurosceptique Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Steve Bannon, issu d’un milieu défavorisé, ouvrier, a servi quelques temps dans la marine américaine ; on le retrouve ensuite banquier à Wall Street puis producteur hollywoodien : il a donc toujours su garder recul et vision d’ensemble. Lors de sa première rencontre à Los Angeles avec Andrew Breitbart, fondateur de Breitbart News, il tournait des documentaires d’actualité – entre autres sur un certain Ronald Reagan.

Comme l’a noté Joshua Green, dans un portrait publié par Bloomberg, Bannon « a toujours été bluffé par l’intuition viscérale que possède Breitbart pour repérer les cycles d’information et sa capacité à façonner la couverture des événements ». Il rapporte avoir entendu Bannon dire, « Notre vision – la vision d’Andrew plus exactement – a toujours consisté à construire un site d’information mondial, ancré au centre droit, populiste et anticonformiste ». Quand une crise cardiaque emporta Breitbart en 2012 (il avait 43 ans à peine), Bannon prit le contrôle de Breitbart News et le propulsa au rang de voix prédominante de l’ultra-droite conservatrice au service des Américains en colère d’avoir été laissés sur le bord du chemin.

L’outsider

Au cours de sa carrière, la chance ne l’a pas oublié, comme le jour où il acheta les droits de syndication et une part des paiements de redevance collectés par Seinfeld, comédie américaine à succès, à laquelle une sensibilité de gauche libérale new-yorkaise conférait un côté branché. (Cohen se serait amusé d’une telle ironie). Fondamentalement, cependant, Bannon c’est ce self-made man qui, issu d’une famille déshéritée, a réussi à devenir sans nul doute le deuxième plus puissant personnage du monde. C’est la version grandiose du destin d’un Horatio Alger (auteur du mythe du passage de la misère à la richesse).

Bannon voit poindre un nouveau récit global, qui déconstruit de bases vieillies du pouvoir : les élites côtières des États-Unis, le monde des initiés de Washington ou l’Union européenne

C’est un candidat improbable qui ressent une attirance pour les autres outsiders de son acabit, des compagnons de voyage de la trempe d’une Le Pen, d’un Farage ou de l’extrémiste hollandais Geert Wilders, dont le Parti pour la liberté s’attend à remporter le plus grand nombre de sièges au parlement hollandais – et, cela va de soi, d’un Donald Trump, milliardaire vulgaire, qui s’est invité dans le cercle de l’élite libérale et de l'établissement politique républicain, et prend maintenant ses quartiers à la Maison Blanche.

Pour Bannon, ils incarnent un nouveau récit global, qui déconstruit les bases archaïques du pouvoir, les élites côtières des États-Unis ou le monde exclusif des initiés de Washington ou de l’Union européenne (UE) ainsi que Bruxelles à sa tête. Ce sont eux les ennemis, et « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».

Ainsi, comme son patron, Bannon adore Vladimir Poutine et ne serait pas fâché que Bachar al-Assad fasse partie du plan de paix. Il n’hésite pas non plus à provoquer l’Arabie saoudite en exprimant de vives critiques au sujet de ce proche allié de l’Amérique pendant ses émissions radio sur Sirius XM Patriot, n’hésitant pas à accuser le conseiller d’Hillary Clinton, Huma Abedin, d’être un espion à la solde des Saoudiens.

Quand je le vois arpenter les couloirs du Bureau ovale, je crois l’entendre fredonner « Nous nous sommes emparés de la Maison Blanche pour commencer, bientôt, le monde sera à nous »

Le stratège en chef de Donald Trump joue le rôle de boulet de canon, animé qu’il est d’une soif fanatique de démolir l’ordre mondial en place. Ce qui nous attend, s’il devait mettre en application son récit, c’est un nouvel ordre mondial, mu par le patriotisme et un désir féroce de ne prendre soin que des siens ; un néonationalisme qui n’aura de cesse de diffamer les musulmans et s’efforcera de remonter le temps pour enfermer de nouveau libre-échange et globalisation dans leur boîte de Pandore, un monde où la puissance militaire risque de prendre le pas sur la diplomatie et le compromis. Un monde où le libéralisme serait jeté hors les portes de la ville.

Ne vous y trompez pas, le stratège en chef de Trump, cet iconoclaste de l’ancien ordre du monde est animé par une vision globale. Le souci c’est qu’elle s’annonce aussi sombre qu’inquiétante, et Steve Bannon est le mieux placé pour la concrétiser. Quand je le vois arpenter les couloirs du Bureau ovale, je crois l’entendre fredonner, « Pour commencer nous nous sommes emparés de la Maison Blanche, bientôt, le monde sera à nous ».

- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @billlaw49.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo. Le jour de l’élection à Devos Place, le 8 novembre 2016 : Steve Bannon, directeur général de la campagne du candidat républicain à la présidence, Donald Trump (au centre) écoute parler le futur président, lors de son ultime meeting de campagne (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par [email protected].

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