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En Syrie, la Russie est gagnante sur toute la ligne

La Russie souhaite pouvoir influencer le gouvernement de transition syrien, et le sort d’Assad lui importe peu

De récents rapports ont confirmé que Moscou a fourni du matériel à la Syrie pour construire une base militaire à Lattaquié, sous prétexte de combattre l’expansion des miliciens du groupe État islamique (EI). Mais il ne s’agit pas d’une simple affaire d’aide militaire supplémentaire visant à renforcer le régime de Bachar al-Assad. Davantage, il s’agit d’une manœuvre politique destinée à sauvegarder les intérêts actuels et futurs de la Russie en Syrie, sans égard pour Assad.

La manœuvre de la Russie est peut-être osée mais Moscou a bénéficié en cela de l’absence de stratégie occidentale pour mettre un terme au conflit syrien. La persistance de l’EI qui en a résulté a permis à la Russie de dépeindre son implication en Syrie comme une manière de combattre cette menace.

Cependant, si la Russie considère l’EI comme une menace, il faut se demander pourquoi Moscou n’a pas – selon certaines sources – répondu aux demandes répétées des forces aériennes syriennes de leur envoyer les pièces de rechange dont elles ont besoin pour leurs avions de chasse à la base militaire aéroportuaire T4 près de Palmyre, et ce au moment où l’EI était en passe de prendre le contrôle de la zone. Ceci indique que lorsque la Russie évalue le pour et le contre en ce qui concerne l’existence de l’EI, c’est le pour qui l’emporte.

Les acteurs régionaux de la lutte contre l’EI ont répondu à la montée en puissance du groupe extrémiste en renforçant diverses factions rebelles syriennes – des islamistes au nord et des laïcs au sud –, lesquelles sont en compétition les unes vis-à-vis des autres. Ceci a accentué les divisions au sein de l’opposition.

L’EI a également contribué à affaiblir l’opposition syrienne dans la mesure où la milice continue à s’en prendre principalement aux rebelles et non pas au régime d’Assad. La Russie aussi se sert de l’EI comme d’une excuse pour s’impliquer dans des zones dans lesquelles les rebelles syriens progressent. Selon certaines sources, l’aide militaire russe récemment envoyée en Syrie aurait eu pour destination Hama, une zone qui pourrait éventuellement tomber entre les mains des rebelles.

Assad ne peut pas gagner

Cela dit, la Russie peut constater que même avec un soutien militaire accru, le régime d’Assad ne peut pas gagner la guerre. Par conséquent, la concentration du matériel militaire envoyé par Moscou dans la région du Sahel – un bastion du régime – s’explique par des considérations politiques et une planification sur le long terme.

Le timing de l’envoi de cette aide est important. Après une série de tentatives infructueuses d’amener l’opposition et le régime à s’entendre sur des mesures visant à établir la confiance mutuelle – telles que des cessez-le-feu locaux qui ne se sont jamais matérialisés –, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan di Mistura, a élargi l’étendue de ses discussions bilatérales et multilatérales avec des figures du régime et de l’opposition ainsi qu’avec des acteurs internationaux impliqués dans le conflit syrien. Ces discussions se sont multipliées alors qu’approche l’Assemblée générale des Nations unies à la fin du mois. Bien qu’un accord sur la Syrie ne soit toujours pas en vue, di Mistura a fait preuve de sérieux dans sa tentative de trouver une solution.

Ses activités ont également coïncidé avec la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien. Même si l’Iran n’est pas encore prêt pour des discussions avec l’Occident en ce qui concerne la Syrie, l’accord sur le nucléaire a ouvert la voie à de tels pourparlers. L’aide militaire de la Russie est donc un outil préventif destiné à faire pression sur ses opposants politiques tant à l’ONU que lors de future négociations sur le conflit syrien afin de s’octroyer un poids significatif dans son solutionnement. Elle pourrait aussi permettre à la Russie de présenter une feuille de route pour la résolution du conflit, laquelle assurerait que ses intérêts soient sauvegardés.

La nature de la solution importe plus à la Russie que le sort d’Assad. Bien que la Russie continue d’exprimer publiquement son soutien à ce dernier, elle est davantage intéressée par le fait de disposer d’une influence sur le gouvernement de transition syrien, peu importe ce qu’il adviendra de la personne d’Assad.

Aujourd’hui, Bachar al-Assad bénéficie de l’aide fournie par la Russie à son appareil militaire car il a nommé des loyalistes comme interlocuteurs entre l’armée syrienne et Moscou. C’est au travers de ces interlocuteurs que des contrats militaires sont établis et que l’aide est déployée. Mais l’armée syrienne ne s’effondrera pas si le rôle de Bachar al-Assad arrive à son terme, dans la mesure où l’armée est dirigée par un certain nombre d’officiers alaouites qui ont la capacité de maintenir en état ce qu’il reste de cette institution du régime.

Ces officiers ont une relation forte avec la Russie, et ils opèrent en dehors des bastions du régime dans le Sahel et à Damas. Moscou n’est donc ni otage de la figure d’Assad, ni limité aux frontière de l’État syrien tel qu’il se présente actuellement.

Conserver un point d’appui

Ce qui compte le plus pour Moscou est avoir un point d’appui politique au Levant en s’assurant l’existence d’un allié dans la région, peu importe ce qu’il arrive à Assad ou à la carte de la Syrie.

L’envoi d’aide à Lattaquié plutôt qu’à Palmyre indique bien que la Russie se satisferait d’un territoire réduit qui serait sous le contrôle d’un allié militaire et peuplé d’alaouites, d’autres minorités et des loyalistes de Moscou parmi les sunnites. L’exode de masse de réfugiés et de migrants syriens contribue à rendre de tels territoires plus aisément gouvernables. L’intérêt de la Russie en Syrie est géopolitique plutôt que géographique.

Dès lors, toute aide à l’armée syrienne n’est pas destinée à permettre au régime syrien de reprendre le contrôle de la Syrie, mais a pour objectif de renforcer la relation de Moscou avec cette institution militaire.

Si Assad venait à être sacrifié dans le cadre de négociations à venir sur le conflit syrien, ou s’il était victime d’un coup d’État en interne, disposer du soutien de l’armée syrienne permettrait de maintenir l’influence de la Russie en Syrie. Et ce pas uniquement parce que l’armée pourrait au final jouer un rôle politique dans la résolution du conflit, mais aussi parce que tout gouvernement de transition post-Assad aurait à unifier l’armée syrienne et à lui donner les moyens d’agir.

Par conséquent, l’aide militaire croissante de la Russie est une manœuvre avisée qui lui permettra de garantir ses intérêts lorsqu’aura lieu une résolution du conflit, et pourrait bien être la première étape vers une tentative russe d’« appropriation » de la résolution de la crise en l’absence d’initiatives de la part de la communauté internationale.
 

- Lina Khatib est la directrice du Carnegie Middle East Center à Beyrouth. Auparavant, elle était co-fondatrice du Program on Arab Reform and Democracy (ARD) au Center on Democracy, Development, and the Rule of Law de l’université de Stanford.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des comédiens d’Avaaz portant des masques de Bachar al-Assad et de Vladimir Poutin et recouverts de faux sang protestent devant les locaux du Conseil de sécurité de l’ONU le 24 janvier 2012 (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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