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L’Arabie saoudite récolte ce qu’elle a semé

Après des opportunités gaspillées et des gaffes à gogo, la politique étrangère du royaume se retourne contre lui dans toute la région ; et ce n’est qu’un début

Il y a eu deux signes du desserrement de l’emprise de Riyad sur ses voisins.

Le premier a été un missile longue portée tiré par les Houthis contre l’aéroport de Djeddah, à l’ouest de La Mecque. Le second a été l’élection de Michel Aoun en tant que président libanais, qui était garantie par le soutien de Saad Hariri, l’homme d’affaires que les Saoudiens avaient autrefois financé. Aoun est soutenu par le Hezbollah et Damas, qu’il avait combattu en tant que général.

Imaginez ce qui aurait pu se produire si l’Arabie saoudite avait déversé cet argent dans la région pour soutenir des gouvernements démocratiquement élus

Chacun de ces événements est une sorte de retour de flammes pour l’Arabie saoudite. Chaque voisin arabe a sa propre histoire à raconter sur les fluctuations violentes d’une girouette qui porte le nom de la politique étrangère de Riyad. En cette époque, ils ont commis trois erreurs stratégiques.

Prenez l’Irak. L’Arabie saoudite a accordé à Saddam 25 milliards de dollars de prêts à faible taux d’intérêt pour l’aider à mener sa guerre de huit ans contre l’Iran. En 1990, deux ans après la fin de la guerre, Saddam était criblé de dettes et Riyad et le Koweït l’ont ébranlé en refusant de réduire la production pétrolière, ce qui a été une des raisons de l’invasion du Koweït. Ils ont versé en outre 30 milliards de dollars aux États-Unis pour la première guerre en Irak en 1991.

Après l’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990, le roi Fahd d’Arabie saoudite tient la main du président égyptien Hosni Moubarak lors de son arrivée pour un Sommet arabe d’urgence (AFP)

En 2003, le royaume a joué dans les deux sens. Le prince héritier de l’époque, Abdallah, a mis en garde Bush contre les conséquences de l’invasion de l’Irak et le ministre saoudien des Affaires étrangères a déclaré que l’Arabie saoudite n’autoriserait pas l’utilisation de ses bases. En pratique, c’est le contraire qui s’est produit. Le territoire et les bases militaires de l’Arabie saoudite sont devenus essentiels pour les forces de la coalition.

Le renversement de Saddam, la débaasification et le vide au pouvoir que ceci a créé se sont transformés en une invitation sur un plateau d’argent pour l’Iran. Le pays a d’abord été un fournisseur de services sociaux pour le sud sous domination chiite. Il s’est transformé en un commanditaire politique majeur, avant de devenir finalement une puissance militaire contrôlant ses propres milices intermédiaires chiites.

Prenez le Yémen. Pendant des décennies, l’homme des Saoudiens au Yémen était son dictateur, Ali Abdallah Saleh, auquel des médecins saoudiens ont sauvé la vie lorsqu’il a été gravement brûlé dans un attentat à la bombe. Comme je l’ai signalé à l’époque, les Saoudiens, avec les Émiratis, ont pris contact avec les Houthis et les ont encouragés à avancer vers la capitale yéménite, Sanaa.

Des partisans des Houthis brandissent leurs armes lors d’un rassemblement à Sanaa, en 2015 (AFP)

Le plan était de provoquer une bataille contre al-Islah, les islamistes yéménites. Cela s’est retourné contre eux de façon spectaculaire lorsque les Houthis sont entrés dans Sanaa sans opposition et ont avancé vers Aden. Ce n’est qu’alors que les Saoudiens se sont rendu compte de l’erreur qu’ils avaient commise en offrant une nouvelle ouverture à l’Iran. Il ne leur restait plus beaucoup d’options.

Le résultat est une campagne de bombardement saoudienne qui a rasé le pays, mais qui n’a pas permis jusqu’à présent de reprendre Sanaa, ni d’empêcher qu’un missile soit tiré vers Djeddah ou La Mecque.

Prenez l’Égypte. Ici, on ne peut pas reprocher au défunt roi Abdallah de ne pas avoir fait de choix stratégique. Il en a fait un. Il a décidé de contrer la révolution égyptienne, ce qui a été la plus grande erreur que l’Arabie Saoudite a pu commettre.

Avec les Émiratis et les Koweïtis, les Saoudiens ont dépensé plus de 50 milliards de dollars pour un homme qui n’a pas réussi à stabiliser l’Égypte et qui courtise désormais l’ennemi des Saoudiens, l’Iran. Dès le départ, sa relation avec l’Arabie Saoudite portait sur l’argent liquide. Sissi a hésité pendant trois mois en 2013 quant à savoir s’il fallait trahir son président, Mohamed Morsi.

Comme une source me l’a indiqué et comme je l’ai rapporté auparavant, il ne l’a fait qu’après avoir obtenu la promesse de recevoir 12 milliards de dollars des États du Golfe. Qu’est-ce que les Saoudiens ont reçu en retour pour leur argent ?

Un échange de places

La prise de bec actuelle entre l’Arabie saoudite et l’Égypte est peut-être exagérée. Certains soutiennent que les Saoudiens hésiteront à abandonner Sissi au vu de l’ampleur de l’investissement qu’ils lui ont consacré.

Cependant, dans l’état actuel des choses, l’Égypte n’a pas fourni de troupes aux Saoudiens pour le Yémen et a voté en faveur d’un projet de résolution russe pour Alep qui a provoqué la colère les Saoudiens. L’Égypte a intégré les pourparlers en Suisse après la demande formulée par l’Iran pour faire contrepoids aux pays opposés au régime syrien et a tissé des liens avec le Hezbollah et les Houthis.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (à droite) discute avec Mohammed ben Salmane, vice-prince héritier et ministre de la Défense saoudien, lors d’une cérémonie de remise de diplômes d’une académie militaire au Caire, en juillet 2015 (AFP)

Selon des diplomates égyptiens, le but est de mettre fin à la guerre au Yémen par le biais d’une médiation et de soutenir l’État syrien à Alep. Par conséquent, cependant, Riyad a suspendu l’approvisionnement de 700 000 tonnes de produits pétroliers par mois à destination de l’Égypte.

À la suite de ces trois gaffes, l’Iran et l’Arabie saoudite ont échangé leur place. Alors que l’Iran semblait isolé avant les guerres en Irak et que les Saoudiens jouissaient d’une influence dans la région, l’Arabie saoudite est désormais encerclée par des conflits et par des États en plein effondrement. Le royaume connaît la guerre au nord et au sud.

Son ennemi juré, l’Iran, est en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, et revendique le contrôle de quatre capitales arabes. L’Arabie saoudite a consacré des dizaines de milliards de dollars à ses interventions à l’étranger et la région est plus instable que jamais. La crise du leadership sunnite est plus présente que jamais, alors que des millions de personnes sont forcées de quitter les villes pour des camps de réfugiés ou de fuir à l’étranger. Personne ne les protège.

Entre alliés temporaires et bafouillages stratégiques

La stabilité interne de l’Arabie saoudite est également affectée. Celle-ci était basée sur un pacte plutôt cru : « Nous vous payons et vous vous taisez. » Après l’effondrement du prix du pétrole et la levée de certaines subventions étatiques, les Saoudiens inversent la maxime tacite en se demandant : « Si l’État ne peut pas nous payer, pourquoi nous taire ? »

Le royaume se considère comme un leader du monde arabe sunnite. Pour être leader, il vous faut une vision, non seulement pour vous-même ou votre famille régnante, mais aussi pour votre peuple. L’Arabie saoudite n’est pas en mesure d’en apporter une.

Contrairement à l’Iran, l’Arabie saoudite n’a pas construit patiemment et calmement son réseau d’alliés locaux. Bien que celui-ci puisse être synonyme de désastre pour Alep ou Mossoul, où ses efforts donnent lieu à une division sectaire, on ne peut toutefois pas reprocher à l’Iran de ne pas avoir de plan. Son but est de modifier le contrôle géopolitique et la composition ethnique de la région. Son espoir est de dominer la région de l’Iran à la Méditerranée.

Pour cela, l’Iran crée des alliés stratégiques sur le long terme. Les alliances nouées par les Saoudiens sont toutes temporaires, avec des États ou avec leurs dirigeants, comme le Liban en a été la preuve cette semaine.

Mohamed Morsi, alors président égyptien, et le prince héritier saoudien de l’époque Salmane ben Abdelaziz, à Djeddah, en juillet 2012 (AFP)

Lorsque l’Arabie saoudite a eu un choix stratégique à faire, elle a fait le mauvais. Ce choix a été présenté par les soulèvements arabes en Tunisie et en Égypte. Mohamed Morsi a été assez clair dans sa proposition adressée à l’Arabie saoudite, destination de la première visite à l’étranger de son unique année de mandat.

« Je déclare par la présente que le Royaume d’Arabie saoudite a besoin de sa grande sœur égyptienne et que la grande Égypte a besoin du Royaume d’Arabie saoudite, a-t-il déclaré. Si ces deux partenaires sont d’accord, si ces deux pays sont d’accord, si ces deux peuples sont d’accord, il y aura une véritable renaissance dans tout le [monde] arabe et même à travers le [monde] musulman. Si Dieu le veut, cela arrivera. Si le Royaume d’Arabie saoudite est le gardien du projet sunnite, dominant et modéré, le projet de la majorité sunnite, alors l’Égypte est le protecteur de ce projet. »

Entre aubaines et crises

Le roi Abdallah avait déjà pris sa décision. Il a réagi personnellement au renversement de son allié Hosni Moubarak en s’imaginant dans la peau de Moubarak. Du 3 juillet 2013 jusqu’à la mort d’Abdallah survenue l’an dernier, l’islam politique est devenu la menace stratégique pour le royaume.

Encore une fois, les Saoudiens ont été pris au dépourvu et sont confrontés à une vente en catastrophe de leurs actifs à des prix très bas

Ce fut une erreur fatale. Les soulèvements arabes auraient pu être une opportunité pour les Saoudiens. Morsi a proposé un pacte dans lequel l’Arabie saoudite aurait été en première ligne du nouveau statu quo arabe tandis que l’Égypte aurait été son protecteur. C’est exactement ce dont les Saoudiens ont besoin aujourd’hui et ce que Sissi ne peut pas leur offrir.

L’écrasement de l’islam politique a ouvert la voie au groupe État islamique. Le Sinaï est passé d’un problème local à un problème régional. Pour le royaume, l’état de guerre quasi permanent a été une catastrophe économique, bien que cela ait été une aubaine pour des fournisseurs d’armes tels que BAE Systems.

Après les États-Unis et la Chine, l’Arabie saoudite est le troisième pays au monde en termes de dépenses militaires. Le pays dépense 56 milliards de dollars, soit 25 % de son budget. De ce montant, 1,14 milliard de dollars sont entrés directement dans les caisses de BAE pour la livraison de l’avion de chasse Eurofighter Typhoon. Bien que cela soit difficile à croire au vu de la terrible campagne de bombardement au Yémen, l’Arabie saoudite dispose d’une des forces militaires les mieux financées et les plus modernes de la région.

L’Amérique a été une autre destination pour les fonds saoudiens. Ces actifs d’État sont aujourd’hui menacés par l’adoption du « Justice Against Sponsors of Terrorism Act » (JASTA), qui permet aux victimes américaines du 11 septembre d’engager plus facilement des poursuites civiles contre le Royaume devant les tribunaux américains. D’après des informations communiquées par des sources, je comprends que les Émirats arabes unis ont déjà retiré leurs actifs des États-Unis. Encore une fois, les Saoudiens ont été pris au dépourvu et sont confrontés à une vente en catastrophe de leurs actifs à des prix très bas.  

Imaginez ce qui aurait pu se produire si l’Arabie saoudite avait déversé cet argent dans la région pour soutenir des gouvernements démocratiquement élus en Égypte et au Yémen, quel que soit le vainqueur.

À ce jour, l’Égypte aurait été bien engagée dans sa transition démocratique. La menace représentée par Saleh et les Houthis aurait reculé. Il y aurait toujours eu une insurrection au Sinaï, mais elle aurait été moins virulente. Les islamistes à travers le monde arabe auraient eu un modèle non violent et fructueux à suivre. Le soutien aux djihadistes aurait décliné, comme cela avait déjà commencé à se dessiner après la révolution de janvier 2011.

La prétention des Saoudiens à être le banquier du monde arabe, à devenir dans la région ce que l’Allemagne est devenue en Europe, ne souffrirait aujourd’hui d’aucune contestation. La famille royale serait bien placée pour entamer le processus de réforme politique à l’intérieur du pays, en augmentant la transparence politique, en organisant des élections et en se transformant en monarchie constitutionnelle.

Elle n’aurait pas perdu sa richesse, mais elle ne serait pas non plus dans la position dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, contrainte de demander aux Saoudiens de se serrer la ceinture tandis que les princes desserrent la leur.

David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un Yéménite recouvre un corps calciné au milieu des décombres d’une maison funéraire détruite suite à des attaques aériennes qui auraient été menées par des avions de la coalition saoudienne contre la capitale Sanaa, le 8 octobre 2016 (AFP)

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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