Législatives en Algérie : l’obsession de la participation
Les Algériens sont appelés à voter, le 4 mai, pour un nouveau parlement alors que seules les obsèdent la santé du président et l’explosion des prix sur les marchés. Le gouvernement, lui, a une autre obsession : la participation des votants qu’il désire « massive ».
Au point que les menaces fusent contre les partis qui appellent au boycott. Le wali (préfet) d’Alger a traité les boycotteurs de h’raymiyya (malhonnêtes), un député islamiste les a qualifiés de « mécréants », et le ministre de la Communication leur a interdit toute expression dans les médias.
Les membres de l’Exécutif et leurs relais parlent carrément du boycott comme d’une « grave atteinte à la stabilité » de l’Algérie. D’ici peu, on appellera à crucifier sur la place des Martyrs à Alger tous ceux qui rejettent ces élections !
D’ici peu, on appellera à crucifier sur la place des Martyrs à Alger tous ceux qui rejettent ces élections !
Car, au-delà des résultats, c’est le taux de participation qui décidera du succès ou non de ces législatives. Pour les autorités, il est impératif de dépasser le taux de 43,13 % enregistré lors des dernières élections parlementaires de 2012, dont le président Bouteflika disait à l’époque qu’elles étaient « aussi importantes que le déclenchement de la Révolution de 1954 ».
Et encore, il s’agit là des chiffres officiels. Ce taux de participation aux législatives était en réalité le plus faible depuis l’indépendance de l’Algérie. Optimiste, le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique), Djamel Ould Abbès, a même prévu une participation à plus de 50 %. C’est lui aussi qui a annoncé, fin 2016, que le président Abdelaziz Bouteflika pourrait bientôt remarcher sur ses deux jambes.
Se réinventer une légitimité
Même dans l’opposition, les partis comme le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïque) ou le Mouvement pour la société de la paix (MSP, islamiste) concentrent leur campagne sur la nécessité d’aller voter pour « renforcer la légitimité » du prochain parlement.
Pour le sociologue Nacer Djabi, le système algérien « exagère son attachement aux élections comme solution politique, sans pour autant créer les conditions de dialogue politique et de consensus indispensables avant des élections. C’est pour cela que les élections ne servent qu’à procurer une fragile légitimité au système destinée à l’étranger ».
« Les élections ne servent qu’à procurer une fragile légitimité au système destinée à l’étranger »
- Nacer Djabi, sociologue
L’élection est un moment important, non pas pour les candidats ou les électeurs, mais pour le système politique : il peut ainsi se réinventer une légitimité, s’inscrire dans la normalité d’un État qui fonctionne selon des règles démocratiques… le temps d’une campagne électorale !
Car entre deux campagnes électorales, les médias étatiques et les espaces publics sont interdits « de facto » à l’opposition. C’est un moment de test pour le système aussi car il jauge, même de manière artificielle puisque les chiffres sont souvent exagérés dans les limites du possible, l’adhésion de la masse à son projet politique. Or, à l’exception de l’électorat senior et de la communauté algérienne à l’étranger (qui vote beaucoup plus pour affirmer son « algérianité »), la base politique s’amoindrit de plus en plus.
Cette obsession des chiffres de participation trouve donc son origine dans le déficit de légitimité des gouvernants. Et les manipulations des taux qu’opère souvent l’Administration, au risque de s’exposer aux critiques internes et internationales, sont nécessaires.
« Pourquoi voter ? »
C’est pour cela que le fichier électoral, outil qui permet de recalculer les pourcentages des votants, reste un secret d’État qu’aucune autorité de surveillance, aucun parti, ni aucun observateur mandaté de l’ONU ou de l’UE ne peut consulter.
Et ce ne sont pas là des accusations gratuites : l’ex-Premier ministre Mokdad Sifi, a témoigné sur un site d’information en mars dernier sur les fraudes électorales de la fin des années 1990, annonçant par la même occasion que les prochaines législatives de mai « ne seront ni propres, ni honnêtes » !
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Par un effet pervers, donc, la participation chute, et la fraude, qui tente d’en donner des taux acceptables pour les autorités, renforce l’abstention. Mais ce n’est guère le seul motif pour déserter les bureaux de vote.
« La dernière fois que les Algériens ont vraiment voté, on leur a dit qu’ils avaient mal voté et le pouvoir a tout simplement annulé les élections », nous rappelle un éditorialiste algérois évoquant les législatives annulées de 1991 qui ont failli donner le pouvoir au Front islamique du salut (FIS, dissous en 1992). « Alors pourquoi voter ? », appuie le commentateur politique.
Pire, « les législatives ont de tout temps été présentées comme l'occasion de régler les problèmes sociaux de la population. En présentant le parlement comme un pouvoir exécutif, on en présente une fausse image. Alors qu’au regard des législatives passées, les électeurs comprennent que cela ne changera rien à leur vécu », explique le sociologue Zoubir Arous.
Une fiction pour un nouvel écosystème politique
De plus, la majorité de la population algérienne, en particulier les jeunes générations, ne se retrouvent pas dans les programmes chimériques des partis : ces mêmes partis sont convaincus que l’alternance politique est impossible dans un système semi-autoritaire, perdant ainsi la crédibilité nécessaire pour s’adresser aux électeurs.
Cette obsession des chiffres de participation trouve donc son origine dans le déficit de légitimité des gouvernants
En fait, les pouvoirs publics tentent de se battre contre une abstention qu’ils ont eux-mêmes favorisée. C’est un cercle vicieux où se débat la scène politique algérienne depuis des décennies. Depuis que « le seul souci du système est de créer des fictions qui remportent l’adhésion d’une classe politique intéressée par la rente et de partenaires étrangers permissifs au nom de l’anti-islamisme », selon les propos confidentiels d’un ancien Premier ministre.
Une « fiction » qui ne sert, in fine, qu’à créer un nouvel écosystème politique suffisamment varié et capable d’absorber le choc que provoqueraient les scénarios présidentiels : brutale disparition du chef de l’État ou, incongruité totale pour le moment mais toujours envisageable, un cinquième mandat pour un président si physiquement diminué.
Cet écosystème projeté, avec une nouvelle Assemblée nationale populaire (parlement) dont sera issu un « gouvernement d’union nationale », aura besoin d’une « légitimité » populaire forte afin de créer l’illusion d’un consensus national autour des plans décidés pour l’après-Bouteflika, ou pour Bouteflika éternellement.
- Adlène Meddi est un journaliste et écrivain algérien. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a signé deux thrillers politiques sur l’Algérie et co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese. Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : la participation est l’un des enjeux des élections législatives du 4 mai prochain en Algérie. Lors des dernières législatives, en 2012, elle était de 43 % (MEE).
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