Légitimer le racisme en Israël en dix étapes
1e étape : Un scoop est né
Le 29 mars, un journaliste a révélé que certaines maternités israéliennes séparent les mères juives des mères arabes après l’accouchement. Dans certains hôpitaux, le personnel évoque cette pratique de façon codée, se référant aux mères juives en utilisant l’expression « les nôtres », comme dans : « Je transfère l’une des nôtres de la salle d’accouchement au service de maternité ». Les Arabes sont appelées des femmes « parlant A [arabe] », par exemple : « J’amène au service une femme parlant A ».
2e étape : Remercions Dieu pour le raciste
La réaction a été le choc et le dégoût – dans l’ensemble. Or, Bezalel Smotrich, le vice-président de la Knesset, n’y a rien vu de mal parce que, selon ses mots, « après avoir donné naissance, ma femme veut se reposer, elle ne veut pas de visiteurs bruyants ni de fêtes ». Pour ceux qui douteraient du sens de ses propos, il a ensuite clarifié en disant : « ma femme n’aimerait pas être allongée près d’une personne qui vient juste de donner naissance à quelqu’un qui voudra assassiner son bébé dans vingt ans ».
3e étape : Le nettoyage
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Une fois ses propos publiés dans la presse traditionnelle, chacun a été horrifié par ce qu’avait dit ce membre raciste de la Knesset et s’est senti content de soi. Nous ne sommes pas racistes, nous ne dirions jamais quelque chose d’aussi dégoûtant. Même le chef de son propre parti s’est déclaré choqué. Il venait de s’occuper à l’hôpital de son père malade, qui était alité près d’un patient arabe. Ils partageaient le même destin et souhaitaient aller mieux.
4e étape : Le déni
À l’hôpital, nous sommes tous égaux, ou ainsi pensons-nous. Les hôpitaux sont vus comme un havre de paix et ils le sont dans une large mesure. Alors que le débat se poursuivait, je craignais que l’attention continue de se concentrer sur les commentaires d’un raciste, lequel serait rejeté par la société, et permette ainsi au reste d’entre nous de se purifier. Se faisant, le débat plus important sur le racisme et la discrimination institutionnels serait négligé.
Il est aisé de parler du « vilain raciste ». Il est plus compliqué de parler du système. Même les professionnels de santé gardent le silence et adhèrent au mythe selon lequel « l’hôpital est un lieu moral ». On ne considère pas cela comme du racisme lorsque les patients demandent à être avec des gens qui sont « comme eux ». Et que dire si un patient juif demande à ne pas être traité par un docteur ou une infirmière arabe ? Est-ce vers là que nous nous dirigeons ?
5e étape : Le rôle des médias
La radio publique a récupéré le débat et ne l’a pas laissé mourir. Les programmes d’information matinaux ont interviewé des professionnels de santé et des activistes des droits de l’homme. Le député raciste a ouvert la porte à une discussion qui a refusé d’être passée sous silence.
6e étape : Apprendre sur la question
La séparation n’est pas une nouveauté. Je l’ai expérimentée quand j’ai accouché il y a vingt ans. Sans le demander, j’ai été amenée dans la « salle juive ». La séparation a été mentionnée dans la presse en 2006, puis à nouveau en 2012, suite à une enquête approfondie. En 2013, l’organisation israélienne pour les droits de l’homme Physicians for Human Rights (PHR) a mené une investigation sur la séparation dans les maternités qui a donné lieu à une plainte officielle auprès de l’Association médicale israélienne. La réponse écrite reçue par PHR a été que l’association avait vérifié auprès des hôpitaux et avait constaté qu’il n’y avait aucune politique de séparation. L’Association médicale israélienne a écrit que les chambres étaient attribuées en fonction des besoins médicaux des femmes et non en fonction de leur identité, qu’elle voyait l’égalité comme une valeur importante dans les services médicaux publics, etc. En mars 2016, PHR a publié un rapport courageux intitulé « Racism in Medicine », qui comprend un chapitre sur les maternités.
Il semble que les institutions de santé ne soient pas près de gérer les informations qu’on leur présente.
La séparation est le symptôme d’un bien plus grand problème : les pratiques racistes dans la médecine publique. Le rapport de PHR décrit le racisme pratiqué en médecine à travers les années. Il mentionne l’implication du personnel médical dans l’enlèvement de bébés juifs yéménites au début des années 1950, dans les pratiques discriminatoires à l’encontre des juives éthiopiennes concernant les méthodes de contrôle des naissances, et d’autres encore.
Contrairement à certaines lois en Israël, dans le secteur de la santé, la lettre de la loi est claire : toute discrimination est interdite. Le problème n’est pas la loi mais l’écart entre la loi et le quotidien. Quand je parle de quotidien, je ne me réfère pas à des incidents malencontreux et marginaux mais à des pratiques continues et tues.
La raison pour laquelle la question de la séparation a émergé spécifiquement au sujet des maternités est que les hôpitaux sont en compétition entre eux pour attirer les femmes enceintes. Elles constituent une bonne entrée d’argent pour les hôpitaux et, dans leurs efforts pour attirer plus de « clientes », ceux-ci essaient de satisfaire tous les désirs des femmes, dont celui d’avoir une chambre séparée.
7e étape : Séparées mais pas égales
Qu’avons-nous appris ? Que « séparées mais égales » ne fonctionne pas. Cela n’a jamais fonctionné, c’est un mythe. L’image qui a ainsi été exposée est la partie submergée d’une discrimination plus profonde. Dans sa recherche sur l’inégalité dans le secteur de la santé publique, le Dr. Nihaya Daoud montre comment en Israël, comme dans tout autre pays développé, des écarts ethniques existent dans le secteur des soins de santé entre le groupe majoritaire et les groupes minoritaires, qu’ils soient autochtones, immigrants ou autre. Elle suggère comme première étape de reconnaître ces écarts, puis d’essayer de les réduire et de les combler.
Sa recherche montre qu’en Israël, la santé des citoyens arabes s’est améliorée au cours de la dernière décennie mais que dans le même temps, les écarts entre citoyens juifs et arabes se sont élargis. Ceux-ci sont particulièrement importants en ce qui concerne la mortalité infantile, les maladies chroniques et l’espérance de vie.
8e étape : Un peu de reconnaissance
Le raciste de la semaine a aidé. Une semaine après la dispute, le ministère de la Santé annonçait qu’il allait convoquer les directeurs d’hôpitaux pour organiser une réunion sur cette question. Deux semaines après la tempête, un comité parlementaire organisait une réunion d’urgence sur ce thème. C’est alors que nous avons appris que non seulement les femmes juives demandent à ne pas être installées avec des femmes arabes, mais que les femmes arabes demandent également des chambres séparées parce qu’elles ont peur des femmes juives. Les juives religieuses demandent à être séparées des juives laïques, et les juives blanches demandent à ne pas être avec des femmes noires. L’idée que l’on retire de cette discussion est que, puisque tout le monde le veut, ce n’est pas du racisme.
9e étape : Activisme local
Un mois plus tard, PHR et une organisation de plaidoyer pour le changement social et politique ont installé un panneau d’affichage contre la séparation dans un hôpital spécifique. Après 24 heures, le conseil municipal de la ville où se trouve l’hôpital en question a demandé à ce qu’il soit retiré car jugé « offensant ».
10e étape : Admission
Il ne fait aucun doute que, cette fois-ci, la discussion est allée plus en profondeur et a duré plus longtemps.
Le ministère de la Santé pourrait avoir réalisé quelque chose au sujet des symptômes, mais il n’a toutefois pas admis le problème. Si l’État pratique la discrimination, il est peu probable que les services de santé restent immunisés contre l’atmosphère toxique ambiante. Il semble que le ministère attende sagement que la question se meure d’elle-même. Vue la profondeur du déni en matière de racisme, le ministère a une bonne raison d’attendre. Nous aurons probablement besoin de plus que d’une bonne enquête, un programme radiophonique matinal et un raciste pour créer un véritable changement.
- Michal Zak est éducatrice politique et spécialiste du dialogue judéo-palestinien. Elle réside dans la communauté judéo-palestinienne de Wahat al-Salam – Neve Shalom, en Israël.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou donne un discours lors d’un événement à Jérusalem le 31 mars 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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