L’étrange cas de Jared Kushner et du lobby israélien
Avant même de prendre ses fonctions, Donald Trump avait nommé Jared Kushner en tant qu’interlocuteur sur les relations américaines avec le Moyen-Orient. Ce dernier a été spécifiquement chargé de forger un plan de paix israélo-palestinien que Trump, dans son extravagance caractéristique, a décrit comme l’« accord ultime ».
Des dirigeants de la région et des analystes qui ont consacré une grande partie de leur vie à la quête de cet objectif ont été stupéfaits de voir les États-Unis charger un jeune homme sans expérience préalable, excepté dans la négociation de transactions commerciales dans le secteur immobilier, de résoudre l’un des problèmes les plus insolubles au monde.
Kushner, dont la famille a accordé des dons importants aux colonies israéliennes, était déjà connu pour son approche fortement pro-israélienne ; il a ainsi déterminé que les Saoudiens étaient la clé pour débloquer la partie arabe de l’équation.
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Par conséquent, il a effectué trois visites dans le royaume saoudien l’an dernier. Il y a amené son beau-père à l’occasion de son premier voyage à l’étranger en tant que président, afin de rendre visite au roi Salmane et au prince héritier Mohammed ben Salmane.
Il s’agissait là d’un tournant étonnant dans les relations entre le royaume et les États-Unis, [lesquels] entretiennent une relation conflictuelle depuis le 11 septembre 2001
L’objectif était de flatter la famille royale saoudienne pour l’inciter à « emmener » les Palestiniens et le reste du monde arabe vers cet accord de paix « ultime ». Il s’agissait là d’un tournant étonnant dans les relations entre le royaume et les États-Unis ; en effet, même si les Saoudiens sont en principe des alliés de Washington, les deux pays entretiennent une relation conflictuelle depuis le 11 septembre 2001.
Ceci est dû en partie au fait que quinze des dix-neuf pirates de l’air étaient des ressortissants saoudiens et que de riches mécènes saoudiens ont massivement financé Oussama ben Laden et al-Qaïda. Le « revirement » de Trump et Kushner en faveur de l’Arabie saoudite s’accorde avec une adhésion similaire des Israéliens à la cause de la maison des Saoud en raison de l’ennemi commun des deux États : l’Iran.
De cette manière mais pas seulement, Kushner associe étroitement la politique des États-Unis au Moyen-Orient à Israël. Cela laisse assurément les Palestiniens, entre autres, à la porte.
Une violation de la loi Logan
De nombreux analystes s’intéressant à la région se demandent s’il est sage pour les États-Unis de tout miser sur les Saoudiens, compte tenu de l’impopularité de ce régime autocratique et théocratique à la fois dans la région et dans le monde.
Fin novembre, le Wall Street Journal a rapporté un nouvel élément dans l’enquête du conseiller spécial Robert Mueller : Jared Kushner a-t-il commis une violation de la loi Logan après avoir fait pression sur des membres du Conseil de sécurité de l’ONU afin qu’ils sabotent une résolution dénonçant les colonies israéliennes ?
Cette loi remonte aux premiers jours de la république. En 1799, les États-Unis n’en étaient qu’à leurs balbutiements et étaient extrêmement sensibles à l’ingérence étrangère dans leurs affaires. Les grandes puissances de l’époque n’étaient que trop désireuses de s’ingérer dans les affaires intérieures et extérieures d’États plus faibles si cela était dans leur intérêt.
Traduction : « Je me demandais ce que Trump essayait de dissimuler ! "Les procureurs de Mueller auraient interrogé Jared Kushner au sujet d’une rencontre avec la Russie" »
Pour cette raison, les législateurs américains ont adopté la loi Logan qui interdit aux citoyens ordinaires de devenir des agents d’États étrangers en essayant d’influencer la politique étrangère américaine.
La loi, telle qu’elle a été mise en œuvre, est devenue une sorte d’arme à double tranchant, dans la mesure où elle permettait au parti politique au pouvoir de cibler toute personne de l’opposition qui exerçait son droit de faire pression en faveur d’une politique particulière à l’égard de divers États étrangers.
Finalement, pratiquement tout le monde s’est rendu compte qu’une arme utilisée contre un adversaire pouvait être retournée contre une personne une fois que celle-ci n’était plus au pouvoir. La loi est ainsi tombée dans l’oubli. Un seul individu a été accusé de l’avoir enfreinte et ce dernier n’a jamais été poursuivi.
Les intérêts américains mis à mal
Néanmoins, les soupçons selon lesquels Kushner aurait violé cette loi ont soulevé des problèmes intéressants. Bien que de nombreux responsables politiques américains aient été accusés de faire la promotion d’Israël et malgré l’emprise du lobby israélien sur un nombre énorme de législateurs, et même si de nombreux Américains ont été reconnus coupables d’espionnage au nom d’Israël, personne n’a jamais été reconnu coupable d’avoir nui aux intérêts américains au nom d’Israël.
En réalité, le cri de ralliement du lobby est qu’il n’y a pas de différence entre les intérêts israéliens et américains. En d’autres termes, lorsque l’on travaille au nom des intérêts d’Israël, on fait également avancer les États-Unis. Bien sûr, ce postulat est absolument absurde. Il transforme les deux pays en frères siamois maladroitement unis.
Kushner associe étroitement la politique des États-Unis au Moyen-Orient à Israël. Cela laisse assurément les Palestiniens, entre autres, à la porte
C’est certainement ce que Kushner a fait dans ce cas précis : Netanyahou, qui a initié la demande en faveur d’une d’intervention de Trump dans l’affaire étudiée par l’ONU, voulait repousser la résolution à tout prix. Cette résolution a été initialement avancée par l’Égypte.
Comme Israël exerce une influence énorme sur le gouvernement militaire égyptien au niveau du partage de renseignements sur les islamistes du Sinaï, mais aussi en raison d’attaques israéliennes menées dans le Sinaï qui ont tué des militants en nom de l’Égypte, le dirigeant israélien est parvenu à persuader le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi de faire marche arrière.
Mais cette stratégie a échoué, quatre autres États membres parrainant la résolution. Netanyahou a ensuite cherché à faire pression sur les Russes et les Chinois, qui se sont également montrés impassibles. N’ayant plus de cartes à jouer, Netanyahou s’est tourné vers le bras droit de Trump, Kushner.
Puis le camp de Trump a commencé à faire chauffer les téléphones.
Une limite franchie
Il était clair que l’objectif de toute la hiérarchie, à commencer par Netanyahou et Trump, était de détruire la résolution, qui bénéficiait du soutien tacite de l’administration Obama.
Bien que les États-Unis se soient finalement abstenus, l’administration Obama n’a manifestement rien fait pour arrêter la résolution – ce qui signifie qu’elle l’a tacitement soutenue. Par le passé, elle avait en réalité opposé son veto à des propositions pratiquement identiques du Conseil de sécurité.
L’abstention était alors une initiative assez audacieuse de la part des États-Unis. Par conséquent, en intervenant pour tuer la résolution, Kushner a franchi la ligne entre le fait d’utiliser son droit de s’exprimer librement sur la politique du gouvernement garanti par le Premier Amendement et le fait de subvertir la politique étrangère officielle des États-Unis. Il s’agit là d’un terrain juridique encore inexploré.
L’inclusion de la loi Logan dans une liste d’accusations contre Kushner ne serait pas seulement un fait nouveau : cela avertirait en effet le lobby israélien qu’une ligne rouge a été franchie. Et qu’une fois que cette ligne est franchie, on a affaire à un comportement criminel. Ce serait là une première. Un coup de semonce choquant qui ferait vaciller le lobby.
Cependant, on peut douter que Mueller fasse de la loi Logan un élément clé de sa stratégie juridique. Lorsque l’on poursuit un président des États-Unis, on préfère ne pas s’essayer à des théories juridiques non éprouvées ou ésotériques.
À LIRE : Le plan de paix de Trump au Moyen-Orient : un projet mort-né ?
Néanmoins, inclure une violation de la loi Logan reviendrait à ajouter une musique d’ambiance pour donner le ton de l’acte d’accusation global. En d’autres termes, nous parlons ici de crimes et de délits graves, et non d’accusations ordinaires.
Comme un espion qui trahit son pays, Kushner a agi contre le meilleur intérêt des États-Unis. Ce serait certainement un délit passible de destitution s’il venait un jour à toucher Trump lui-même.
Kushner a enfreint une règle cardinale de la vie américaine : il a fait preuve d’une double loyauté. C’est un bobard que les antisémites avaient l’habitude de lancer contre les juifs. Mais aujourd’hui, compte tenu de l’emprise du lobby israélien sur certains aspects de la politique américaine, la double loyauté est une fois de plus une accusation lancée (cette fois-ci valablement) contre les juifs américains qui, comme Kushner, placent les intérêts d’Israël au-dessus de ceux de leur pays.
Un acte d’accusation prononcé par le conseiller spécial Robert Mueller contre Kushner, moteur du plan de paix de Trump au Moyen-Orient, pourrait nuire considérablement à cet effort. Cela pourrait signifier qu’un plan qui est déjà décrié par les Palestiniens, qui le jugent désespérément partial et favorable à Israël, pourrait finalement mourir dès sa naissance.
- Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Jared Kushner, conseiller et gendre du président américain (Reuters).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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