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La condamnation de Radovan Karadžić est porteuse de leçons pour la guerre en Syrie

La situation délicate de la Bosnie-Herzégovine depuis la guerre est de mauvais augure pour la Syrie de l’après conflit ethnique

Jeudi dernier a pris fin une longue et interminable bataille pour les victimes de la guerre civile meurtrière de Bosnie avec le verdict de culpabilité enfin prononcé contre Radovan Karadžić. L’ancien dirigeant des Serbes de Bosnie a supervisé quelques-unes des pires atrocités commises durant les quatre années de violences qui ont déchiré la République fédérale socialiste multi-ethnique de Yougoslavie.

« Son jugement est symboliquement puissant – avant tout pour les victimes des crimes commis pendant les guerres de Bosnie-Herzégovine et d’ex-Yougoslavie, mais aussi pour les victimes de par le monde », a déclaré dans un communiqué le responsable des droits de l’homme de l’ONU, Zeid Raad al-Hussein, suite à la condamnation de Karadžić à une peine de 40 années d’emprisonnement pour génocide et crimes de guerre.

« Peu importe combien ils sont puissants, peu importe à quel point ils s’imaginent intouchables, peu importe dans quel continent ils vivent, les auteurs de tels crimes... n’échapperont pas à la justice. »

Sans doute, beaucoup de personnes en Syrie ont observé le procès qui s’est déroulé au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) avec à l’esprit l’idée de faire subir le même sort à leurs propres criminels de guerre, que ce soit Bachar al-Assad ou Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’EI.

La mémoire et la justice sont deux thèmes souvent évoqués lorsque l’on parle de conflits – la façon dont les conflits sont commémorés et les questions de sanction et de réconciliation sont cruciales pour rétablir une société cohésive.

Beaucoup de troubles qui affligent l’Europe et le Moyen-Orient aujourd’hui ont leurs racines dans le conflit bosniaque. Pourtant, presque aucune attention n’a été portée au pays dans les années consécutives à la guerre.

Près de 100 000 personnes ont été tuées durant les quatre ans du conflit bosniaque, qui a débuté en 1992 lorsque, suite à un referendum pour faire sécession de la Yougoslavie, le pays a plongé dans une guerre inter-ethnique entre Serbes, Croates et musulmans (ou Bosniaques).

Karadžić et ses forces serbes ont pendant longtemps été considérés comme responsables des pires violences – en dépit d’atrocités commises de tous côtés –, culminant dans le brutal massacre de Srebrenica en 1995 au cours duquel plus de 8 000 musulmans, garçons et hommes, furent massacrés en plein champ de vision des forces de maintien de la paix de l’ONU. 

Les horreurs de la guerre de Bosnie ont eu un énorme retentissement à l’international et ont été peut-être plus cruciales que tout autre événement – avec la possible exception de la guerre entre Soviétiques et Afghans des années 1980 – dans l’élaboration des notions de solidarité et identité musulmanes mondiales qui ont joué un rôle majeur dans les conflits du Moyen-Orient.

Des organisations comme la Fondation turque pour le secours humanitaire (IHH), qui fournit maintenant de l’aide en Syrie, ont été établies pour apporter de l’aide aux musulmans bosniaques, tandis que des millions de dollars ont été déversés par des donateurs et pays comme l’Arabie saoudite.

À l’instar de la Syrie aujourd’hui, des centaines – potentiellement des milliers – d’étrangers se sont rendus en Bosnie pour rejoindre les moudjahidin et protéger les musulmans bosniaques des forces serbes de Bosnie. Au milieu de la violence, des djihadistes salafistes radicaux ont commencé à formuler et adopter leur théorie d’un conflit mondial entre civilisations.

« Il y a une guerre entre l’Occident et l’islam », a déclaré un volontaire saoudien, Aimen Dean, à la BBC l’année dernière.

« La Bosnie a fourni ce raisonnement au mouvement djihadiste contemporain. C’est le berceau. »

Les musulmans de Bosnie sont parmi les plus laïcs au monde et la capitale cosmopolite de Sarajevo – musulmane à 77 % – peut se révéler être un choc culturel contre-intuitif pour quiconque a de l’islam une image composée de foules d’hommes barbus hurlant « Allahu Akhbar ».

Néanmoins, Karadžić et ses partisans ont probablement jeté les bases de l’islamophobie européenne avec leurs programmes radiophoniques alarmistes sur la menace à l’encontre des valeurs chrétiennes supposément exercée par des musulmans déterminés à créer une république islamique de style iranien.

Alex Alvarez, dans son livre Governments, Citizens, and Genocide: A Comparative and Interdisciplinary Approach, cite un exemple typique de peurs serbo-bosniaques relatives à la menace démographique représentée par les musulmans de Bosnie :

« Un bon musulman est seulement un musulman mort. Leurs femmes sont des salopes et des putains. Elles élèvent leurs enfants comme des animaux, plus de dix par femme... là-bas, ils sont en train de combattre pour un territoire unique qui s’étendra depuis ici jusqu’à Téhéran, où nos femmes porteront des châles, où la bigamie sera permise. »

Il est difficile de ne pas voir de parallèles entre un tel langage et celui adopté aujourd’hui par des démagogues antimusulmans en Europe, en Inde, à Myanmar et en Amérique.

En 2013, je me suis rendu à Prijedor, au nord de la Bosnie, où avait été découvert un autre charnier de victimes essentiellement musulmanes et croates des atrocités serbes commises pendant la guerre.

Dans un entrepôt à proximité, les corps exhumés étaient allongés sur le sol tandis que des enquêteurs de la Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP) relevaient des échantillons pour tenter de vérifier les identités des personnes tuées. Les informations rassemblées lors de l’exhumation ont joué un rôle important dans les procès en cours au TPIY.

Plus choquant que tous les détails horribles du dossier a été le silence qui a entouré la découverte du charnier de Tomasica.

Prijedor se trouve dans la Republika Srpska (République serbe de Bosnie), l’entité découpée par les Serbes bosniaques durant la guerre – dès lors, il n’existe peu voire aucun mémorial en hommage aux musulmans tombés pendant les combats, encore moins de monument commémorant le nettoyage ethnique qui a eu lieu. En revanche, il y a de nombreux mémoriaux en hommage aux soldats serbes.

Juste à la sortie du charnier de Tomasica se trouvent plusieurs maisons appartenant à des Serbes bosniaques. Les corps de Tomasica ont seulement été découverts en 2013 – et ces personnes ont clairement vécu là à une époque où les cadavres devaient être transportés par les soldats serbes jusqu’au site.

« Ce sont les premières maisons à avoir été construites ici, elles appartiennent à des Serbes », m’a dit un activiste bosniaque musulman sur le site.

« Comment auraient-ils pu ne pas savoir ? »

Des conflits pour le contrôle de la version de l’Histoire persistent en Bosnie, comme ils le feront certainement en Syrie. Or, ils ont détourné l’attention des problèmes sociaux.

Le système établi pour le partage du pouvoir ethnique par les accords de Dayton, bien qu’ayant empêché un retour de la violence, a paralysé le gouvernement du pays. Il a échoué à créer un sens d’unité ou de régénération nationale et a laissé le pays dans l’incapacité d’aller de l’avant. 

La Bosnie a actuellement l’un des taux de chômage les plus élevés d’Europe, de l’ordre de 43 %. Les partis politiques sont dominés par l’identité ethnique et continuent d’être obsédés par les répercussions de la guerre, laquelle domine toujours les débats au détriment des réformes sociales et économiques plus générales.

La corruption et le népotisme sont répandus, et Transparency International a décrit le système de gouvernance comme étant « structurellement corrompu ».

En outre, les menaces de demande d’indépendance du mini-État agitées par le président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, ont suscité l’incertitude quant à l’avenir pacifique d’une Bosnie unie.

En 2014, la colère a débordé et des manifestants sont descendus dans les rues pour condamner le système corrompu et demander une nouvelle politique antinationaliste. Bien que les manifestations aient fini par s’épuiser, l’agitation continue dans le pays illustre le problème de la reconstruction d’après-guerre et des solutions de fortune rapidement élaborées pour faire face aux tensions ethniques sous-jacentes en ignorant les facteurs économiques et sociaux au-delà de la politique identitaire.

Quand la poussière retombera en Syrie, et dans l’éventualité où les criminels de guerre survivraient assez longtemps pour être assignés en justice, le travail de reconstruction et de réconciliation sur le long terme commencera. Ce n’est pas parce qu’un homme a été condamné par la justice à La Haye aujourd’hui que l’exemple de la Bosnie-Herzégovine, divisée et dans une situation économique périlleuse, devrait être pris pour modèle de référence.

- Alex MacDonald est journaliste à Middle East Eye. Vous pouvez le suivre sur Twitter @alexjaymac

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : l’ancien dirigeant serbe de Bosnie Radovan Karadžić dans la salle d’audience du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie lors de la lecture du verdict (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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