La crise syrienne ne peut être réduite à une nouvelle « guerre contre le terrorisme »
La communauté internationale est en train de perdre de vue le véritable problème en Syrie. Elle réduit le problème au seul terrorisme. Des États rejoignent l’un après l’autre les groupes florissants de pays qui bombardent prétendument Daech en Syrie. Dans l’espace aérien encombré de la Syrie évoluent déjà les avions de chasse de quatorze pays pour soi-disant affaiblir et détruire le terrorisme.
Suivant l’exemple français, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont rejoint la mêlée. Ainsi, quatre des cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies et toutes les grandes puissances européennes survolent le territoire syrien. Et presque tous légitiment leurs actions sur le terrain par la lutte contre le terrorisme. Avant que les terroristes ne s’en prennent à « l’ennemi lointain » beaucoup plus robuste, tous les « ennemis lointains » ont décidé de venir jouer la partie sur le terrain des terroristes.
On oublie de plus en plus pourquoi toute cette pagaille a commencé en premier lieu et ensuite ce qui a fait de la Syrie le nouveau bastion du terrorisme mondial.
Nul doute que le terrorisme est une menace et constitue un grand danger pour la morale et l’humanité. Nul doute qu’il doit être combattu à tous les niveaux : intellectuellement, militairement et financièrement. C’est une longue bataille qui va surtout se jouer dans le monde musulman. Néanmoins, l’approche qui prévaut dans les capitales occidentales, à savoir cette nouvelle guerre contre le terrorisme, comporte de graves lacunes et erreurs.
Tout d’abord, elle traite le terrorisme comme un problème isolé de tout contexte. Son contexte politique et son environnement social ne sont pas du tout pris en compte. L’erreur ne se limite pas à conceptualiser le problème qui nous occupe, elle est également liée au remède prescrit pour guérir ce cancer terroriste. Jusqu’à présent, bombarder les cibles terroristes et compter sur une communauté imaginaire de forces locales pour faire le travail restant sur le terrain est présenté comme le traitement de base. Le langage des décideurs et des spécialistes contient si souvent le vocable « terrorisme », que les expressions « crise syrienne » et « régime d’Assad » figurent rarement dans ce nouveau discours dominant sur la Syrie.
Il s’agit dans une certaine mesure d’un facteur de l’environnement politique international et de la psychologie après les attentats de Paris. L’Occident est obsédé par la lutte contre les « terroristes » et le « terrorisme ». L’assassinat brutal de citoyens par le culte de la mort de Daech à Paris a créé un nouveau sentiment d’indignation et d’urgence. Punir les terroristes est devenu l’état d’esprit caractéristique des élites politiques dans les capitales occidentales. À cet égard, les attentats de Paris sont devenus un nouveau repère dans la guerre contre le terrorisme. Bien que ce soit compréhensible, ce serait un manque de perspicacité de la part des décideurs et des spécialistes occidentaux si cela devient également un repère politique. Cela déforme notre compréhension de la crise syrienne et des moyens de la résoudre.
La multiplication géométrique de la radicalisation et du terrorisme en Syrie depuis le début de la crise dans ce pays montre clairement comment le terrorisme/radicalisme est une conséquence de la débâcle syrienne. Toute tentative visant à l’éliminer qui ne prend pas cela en compte est vouée à l’échec. Après toutes les souffrances, forcer les Syriens à oublier leurs oppresseurs brutaux pour le bien de la lutte contre le nouvel oppresseur est également voué à l’échec. Il est crucial d’accepter qu’il n’y aura pas de raccourcis dans le règlement de la crise syrienne, qui est essentiellement politique, et non pas sécuritaire.
Si on se permet certaines comparaisons, on constate que la guerre civile syrienne est plus compliquée que la guerre civile libanaise ou que les guerres suivant l’éclatement de la Yougoslavie dans les Balkans. Dans ces cas-là, les participants à inviter pour des négociations politiques étaient clairs. L’identité des groupes sub-étatiques opposés (religieux, ethniques ou sectaires) désignait les principaux interlocuteurs. Ce qui manque cruellement en Syrie. Nous sommes témoins de crises qui se déroulent à plusieurs niveaux : des dissensions intergroupes et intragroupes.
Par exemple, les Arabes sunnites n’ont pas un seul représentant. Quand on s’engage avec un groupe sunnite en Syrie, il faut savoir qu’on ne s’engage qu’avec une seule faction de ce groupe d’identité. Cela devrait forcer la communauté internationale à opter pour une solution plus sophistiquée, pas celle qui réduit la Syrie, ou d’ailleurs toutes les autres sociétés orientales, à une question anthropologique pour laquelle on peut aisément utiliser une taxonomie ethnique, religieuse ou sectaire bien définie. Au lieu de cela, nous devrions utiliser une taxonomie reposant sur certaines valeurs politiques. Une politique représentative ou au contraire autoritaire peut être une des valeurs marquant une limite. Et cette division constitue essentiellement le cœur de la crise syrienne.
Avec cela à l’esprit, ni Assad ni Daech ne peuvent faire partie de l’avenir de la Syrie. Toutefois, leur base sociale en sera sûrement.
Outre son attrait théologique, c’est le contexte politique qui aide Daech à se transformer en un formidable réseau transnational et un quasi-État. Pour le dire plus clairement, Daech se développe dans l’environnement politique fourni par un régime génocidaire et la défaillance de l’État qui s’ensuit. Cela soutient son état idéologique révolutionnaire, dont les limites changent constamment en fournissant un certain niveau de gouvernance couplé avec un appel aux valeurs théocratiques. Ce mouvement idéologique ne peut être vaincu qu’en offrant un récit alternatif et un niveau de gouvernance décent. Et aucun d’entre eux ne peut être atteint en donnant son assentiment au régime Assad.
Le régime d’Assad est la source du chaos et de la défaillance de l’État en Syrie en premier lieu. Et le chaos engendre le radicalisme. Le radicalisme en retour alimente davantage le chaos. Cela crée un cercle vicieux. Le radicalisme ne peut être traité qu’une fois que les sources du chaos sont dûment identifiées et traitées.
Si la communauté internationale réduit l’ensemble de la crise syrienne à celle du terrorisme et du radicalisme et voit dans le régime meurtrier d’Assad un partenaire dans cette entreprise de lutte contre le terrorisme, le message se répercutera clairement dans le monde entier : si une dictature génocidaire fait preuve de suffisamment de détermination dans le déchaînement de sa machine de guerre contre son peuple, tuant systématiquement des centaines de milliers de personnes, déplaçant des millions d’autres et ravageant tout le pays, elle sera alors récompensée avec l’assentiment de son pouvoir illégitime.
Nous ne devrions pas accepter le faux choix entre Assad ou Daech. Nous devons rejeter les deux. L’apocalypse théocratique et le totalitarisme laïc forment un drôle de tandem en ce qui concerne leurs visions de l’espace politique et de la citoyenneté active. Tous deux ont des structures qui étouffent l’espace politique et désirent des citoyens qu’ils leur soient totalement soumis et subordonnés. Voilà pourquoi il nous faut une troisième voie, qui est un accord global s’attaquant à la fois au régime d’Assad et à Daech.
- Galip Dalay est directeur de recherche au al-Sharq Forum et chargé de recherche sur la Turquie et les affaires kurdes au Centre d’études d’Al-Jazeera.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un photographe syrien porte un petite fille blessée suite à des frappes aériennes des forces du régime sur la ville d’al-Nashabiyah dans la région de la Ghouta orientale, un bastion rebelle à l’est de Damas, le 14 décembre 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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