La montée de l’hystérie anti-palestinienne
Haptom Zerhom, un demandeur d’asile érythréen, n’avait rien à voir avec le conflit israélo-palestinien. Pourtant, le dimanche 18 octobre, il se trouvait dans la gare routière de Beer-Sheva, dans le sud d’Israël, au moment où un Palestinien armé y est entré. Zerhom s’est enfui, mais un groupe d’Israéliens armés a vu en lui, peut-être en raison de la couleur de sa peau, l’assaillant palestinien.
Zerhom a été blessé par balles, s’est effondré, mais ce ne fut pas là la fin de son calvaire. Des agents de sécurité israéliens ont continué à lui tirer dessus alors qu’il était au sol et les passants lui ont asséné des coups de pied et l’ont frappé avec des chaises et des bancs, l’insultant et souhaitant sa mort. Zerhom est décédé des suites de ce lynchage dont les auteurs sont désormais recherchés par la police.
Mercredi, il s’est avéré que les Palestiniens, ou les Palestiniens présumés comme Zerhom, ne sont pas les seules victimes de ce genre d’exécutions extrajudiciaires. Un juif israélien, lui-même vétéran de l’armée israélienne, a été abattu par deux soldats à Jérusalem après une altercation dont les raisons sont obscures. La foule autour a crié « terroriste, terroriste » et les soldats ont tiré et l’ont tué.
Ces deux incidents donnent évidemment du crédit aux assertions palestiniennes selon lesquelles certains, sinon la plupart, des Palestiniens abattus ou blessés après avoir agressé des civils ou des soldats israéliens depuis le début de la dernière vague de violence ne portaient pas d’armes ou avaient été abattus alors qu’ils ne représentaient aucun danger.
Cependant, la facilité avec laquelle les agresseurs présumés sont tués et même lynchés de nos jours en Israël est l’expression d’un phénomène plus large. La société israélienne juive est en grande partie régie par l’hystérie collective, amenant même les citoyens ordinaires à participer à ces événements meurtriers.
Les chiffres en eux-mêmes ne peuvent pas expliquer cette hystérie collective. Au moins cinquante Palestiniens et huit Israéliens, en plus des deux cas d’« erreur sur la personne » à Beer-Sheva et Jérusalem, ont été tués depuis que les violences ont commencé début octobre. Cela peut sembler un lourd tribut, mais par rapport aux précédents conflits israélo-palestiniens, cela ne l’est pas. Pendant la Seconde Intifada, plus de 100 Israéliens et 250 Palestiniens avaient été tués rien qu’en mars 2001, le mois le plus meurtrier. Pourtant, même à ce moment-là, Israël n’avait pas été emporté par une telle vague de haine.
Cette atmosphère de haine n’est pas dirigée uniquement contre des agresseurs palestiniens présumés. La minorité palestinienne en Israël subit une vague sans précédent de crimes haineux. À Modiin, un chauffeur de bus a été contraint de descendre de son bus par des juifs israéliens armés pour le simple fait d’être Palestinien. Il a été relaté qu’une Palestinienne d’Haïfa, souffrant probablement de troubles mentaux, a été maintenue au sol et frappée à la tête après une altercation verbale avec un juif israélien.
Des groupes d’extrême droite comme Lehava (Flamme) ou La Familia (groupe de fans du Bietar Jerusalem FC) organisent régulièrement des manifestations dans les villes mixtes judéo-palestiniennes comme Jérusalem, Haïfa ou Lyd, où ils scandent « Mort aux Arabes » et chassent les passants palestiniens. De nombreux Palestiniens israéliens disent avoir peur de se rendre dans les villes juives ou même de prendre le bus.
Des politiciens de premier plan, comme l’ex-ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, ont appelé au boycott des entreprises appartenant aux Palestiniens, et ces appels ont été largement suivis. Les clients juifs ont pratiquement déserté Nazareth, Jaffa et les autres centres urbains palestiniens en Israël.
« Le leadership politique de Lieberman, Eli Yishai (ex-ministre de l’Intérieur) et d’autres fomente la rhétorique anti-arabe et motive les voyous anti-arabes », explique Ron Gerlitz, co-directeur de Sikui (Chance), une organisation judéo-arabe pour la promotion de l’égalité en Israël. « Les réseaux sociaux contribuent également à propager la haine. Un post disant en substance ‘’Mort aux Arabes’’ aura des dizaines de milliers de mentions J’aime. »
Gerlitz suggère que ce déferlement de discours et de crimes de haine tient en partie au fait que la minorité palestinienne en Israël devient plus forte, sur le plan à la fois économique et politique. Ces juifs qui ont peur de perdre leur monopole du pouvoir, explique Gerlitz, réagissent par la colère et la violence.
Tandis que la génération de Gerlitz (né en 1973) a grandi avec l’accord de paix avec l’Égypte en 1979, puis les accords d’Oslo en 1993, la génération actuelle a grandi à l’ombre de la violence de la Seconde Intifada et des opérations militaires répétées contre Gaza. C’est la seule réalité qu’elle connaît.
Pourtant, il y a un autre élément important. Depuis la fin de la Seconde Intifada en 2005, la plupart des Israéliens ont accepté l’hypothèse que le statu quo – le maintien de l’occupation et des colonies sans véritables négociations pour y mettre fin – est non seulement possible, mais également souhaitable. Il semble que certains Israéliens sont persuadés que même les Palestiniens finiront par accepter ce statu quo en raison de ses avantages économiques présumés.
Cette confortable conviction a volé en éclats du fait même que les violences qui ont débuté il y a environ trois semaines ne sont pas un soulèvement organisé, que tout Palestinien pourrait être le prochain attaquant et que cette attaque pourrait se produire n’importe où, à Jérusalem aussi bien qu’à Tel Aviv ou dans les colonies en Cisjordanie. Les appels lancés par les haut responsables, y compris le maire de Jérusalem, demandant à ce que les citoyens israéliens soient armés leur a montré que leur gouvernement ne se porte plus garant de leur sécurité et qu’ils devraient prendre eux-mêmes les choses en main.
Cette atmosphère mène la société israélienne juive dans des sphères dangereuses. Dans un sondage récent, 58 % des électeurs juifs interrogés ont soutenu l’idée du « transfert volontaire » des Palestiniens de Cisjordanie. Une idée considérée autrefois comme appartenant aux extrémités du spectre de la politique israélienne a été adoptée par le courant dominant. « Certains jeunes juifs israéliens croient sincèrement qu’Israël peut expulser les Palestiniens et résoudre le problème », explique Gerlitz.
« [Le Premier ministre Benyamin] Netanyahou a réussi à convaincre la société juive en Israël que tous les Arabes sont contre eux », explique le Dr Thabet Abu Ras, un géographe politique et co-directeur du Fonds Abraham. « La menace pour l’existence d’Israël était incarnée par l’Iran, Netanyahou a transféré tout cela sur les Palestiniens. C’est sa dernière carte. »
Ainsi, on comprend mieux les remarques apparemment incohérentes de Netanyahou concernant l’implication supposée de Haj Amin al-Husseini, un des plus importants leaders palestiniens pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans le développement de la « solution finale » pour les juifs sous le régime nazi.
« À l’époque, Hitler ne voulait pas exterminer les juifs, il voulait les expulser. » Tels sont les propos tenus par Netanyahou devant le Congrès sioniste mondial à Jérusalem mardi dernier, en référence à la rencontre entre Hitler et al-Husseini en novembre 1941 à Berlin. « Et Haj Amin al-Husseini est allé voir Hitler et lui a dit : ‘’Si vous les expulsez, ils vont tous venir ici [en Palestine].’’ Hitler lui a demandé : ‘’Que dois-je faire d’eux alors ?’’ Le mufti a répondu : ‘’Les brûler’’. »
Ces remarques ont valu à Netanyahou des critiques provenant exceptionnellement de tous les horizons de la société juive israélienne. Non seulement parce qu’elles sont contraires à toutes les preuves historiques, lesquelles démontrent qu’Hitler a commencé à planifier l’extermination des juifs dès 1923 et que, avant cette réunion en novembre 1941, les nazis avait déjà tué au moins un demi-million de juifs. Mais aussi parce qu’il absout pratiquement Hitler et le régime nazi de leur responsabilité dans l’Holocauste, faisant de Netanyahou un nouveau type de négationniste.
La scène dans laquelle la chancelière allemande Angela Merkel, lors d’une conférence de presse conjointe avec Netanyahou, a déclaré que le peuple allemand et ses dirigeants étaient responsables de l’Holocauste tandis que Netanyahou insistait sur la responsabilité des Palestiniens dans la Shoah est certainement l’une des plus étranges qu’Israël, censé être l’État des juifs, ait jamais vues.
Il se peut que l’image de Netanyahou soit ternie suite à ces remarques étranges et infondées. Pourtant, une logique se cache peut-être derrière cette folie. Netanyahou « a essayé d’incriminer les Arabes d’aujourd’hui au moyen des actes des Arabes d’hier », a déclaré le professeur Moshe Zimerman, l’un des plus éminents chercheurs israéliens en histoire allemande.
Et tandis que les nuages des remarques de Netanyahou vont se dissiper, ses allégations selon lesquelles les Palestiniens étaient en grande partie responsables du pire des crimes perpétrés contre le peuple juif resteront peut-être. Un tel sentiment aidera certainement Netanyahou à convaincre les Israéliens que les Palestiniens sont leurs ennemis éternels, avec lesquels aucun accord politique n’est possible. On comprend aisément pourquoi un nombre croissant de juifs israéliens pensent que, dans ces circonstances, le transfert n’est qu’une solution logique.
- Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des partisans de l’extrême droite israélienne manifestent contre les Palestiniens devant l’une des portes de la vieille ville de Jérusalem, le 3 octobre 2015.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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