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La vision de Mohammed ben Salmane pour l’Arabie saoudite pourrait provoquer une résistance populaire

Depuis des décennies, les dirigeants saoudiens se servent de la religion pour rester au pouvoir et acquérir une domination régionale. Les efforts de ben Salmane pour faire bouger ce statu quo pourraient avoir de graves conséquences

Le 24 octobre dernier, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a déclaré que son pays évoluait vers une forme d’islam « modérée et ouverte ». Ces propos, qui ont déclenché des réactions mitigées parmi les Saoudiens, reflètent un changement radical sur la question de la religion dans le royaume. 

Beaucoup se sont demandé quel rôle la religion devrait jouer sous le roi Mohammed ben Salmane, en particulier quand on sait que les dirigeants saoudiens ont beaucoup investi pour faire en sorte que le royaume soit perçu comme le seul gardien de la foi musulmane.

La religion comme outil

Depuis la fondation de l’État saoudien – et sa prise de contrôle des sites les plus sacrés de l’islam –, la religion a non seulement servi d’outil interne permettant à l’élite politique d’imposer son autorité, mais également d’outil externe utilisé par l’État naissant pour imposer son leadership et sa domination sur le monde musulman.

Au cours des dernières décennies, l’un des moyens d’atteindre cet objectif consistait à investir des milliards de dollars dans des projets de développement des lieux saints de l’islam et de leurs environs.

Récemment, le gouvernement du roi Salmane a annoncé l’allocation de 100 milliards de dollars pour de nouveaux travaux de construction. Il convient de souligner que ce financement « généreux » intervient dans une période difficile, où des mesures d’austérité économique sont imposées aux citoyens saoudiens, avec la réduction de toutes les subventions gouvernementales et la majoration des prix des produits de base comme le carburant, l’eau et l’électricité.

De plus, le gouvernement poursuit une guerre au Yémen dont les coûts opérationnels s’élèveraient à 200 millions de dollars par jour.  

Un tel déferlement de fonds n’est en aucun cas un investissement innocent ou un investissement qui pourrait être simplement considéré comme une réponse aux besoins de développement. Celui-ci est plutôt motivé par une stratégie de création d’une image dépeignant la monarchie saoudienne comme la gardienne de la foi.

Ceci peut également expliquer ce qui est devenu une tradition saoudienne selon laquelle chaque roi au pouvoir initiait de nouveaux projets pour les lieux saints et essayait même d’allonger la durée de ces projets tout au long de sa vie.

Grues de construction à l’extérieur de la grande mosquée dans la ville sainte de La Mecque (Arabie saoudite), le 17 janvier 2016 (Reuters/Amr Abdallah Dalsh)

Un engagement envers l’islam ?

L’idée est de créer une perception d’un engagement saoudien continu envers l’islam en élargissant sans cesse ses sites les plus sacrés. Ainsi, lorsqu’il a été annoncé que le projet d’extension du mataf (zone de circumambulation) était finalement terminé après trois années de travail durant l’ère du roi Abdallah, son successeur, le roi Salmane, a annoncé le lancement de nouveaux projets, dont l’extension de ce même mataf ! 

De toute évidence, Salmane ne veut pas être considéré comme le roi qui ne respecte pas la tradition. Mais surtout, l’arrêt des projets d’extension pourrait ternir l’image de « gardien de l’islam » que le gouvernement saoudien souhaite conserver. En réalité, cependant, personne ne connaît vraiment l’étendue ni le but final de ces projets.

À LIRE : Économie saoudienne : pourquoi Vision 2030 échouera

Aux yeux de la monarchie, il semblerait qu’il s’agisse du seul moyen pour les rois saoudiens de « s’adjuger » le titre de « Gardien des deux saintes mosquées ». La politisation de ces investissements est également reflétée par la concentration de projets de développement à l’intérieur et autour de la zone d’al-Haram.

Par exemple, la zone urbaine de La Mecque est touchée par toutes formes d’appauvrissement, de sous-investissement et de détérioration des infrastructures. Mais comme ces éléments sortent du radar des pèlerins, le gouvernement se montre on ne plus indifférent face à ces besoins.

Les priorités dans l’allocation de ressources sont uniquement définies par la prise en compte du retour politique anticipé d’un projet donné.

Une femme passe devant un panneau d’affichage lors de la conférence Future Investment Initiative à Riyad (Arabie saoudite), le 24 octobre 2017 (Reuters)

L’achat d’influence

En outre, les dirigeants saoudiens ont traditionnellement utilisé la religion comme un instrument leur permettant d’étendre leur influence sur le monde islamique dans son ensemble. Par exemple, les sièges de l’Organisation de la coopération islamique et de la Banque islamique de développement ne se situent pas en Égypte, en Turquie ou en Malaisie, mais à Djeddah, en Arabie saoudite.

Riyad a toujours cherché à dominer ces institutions en finançant leur budget et leurs programmes en échange de la domination de leur volonté politique. Par exemple, lors du dernier sommet organisé en Turquie, les Saoudiens sont parvenus à faire pression pour que la déclaration finale soit axée sur la condamnation de l’Iran.

Le prince héritier Mohammed ben Salmane semble déterminé à amener le pays à l’autre extrême

Plus récemment, au cours de sa crise avec le Qatar, l’Arabie saoudite a sorti le bâton religieux – comme toujours –, faisant chanter certains pays africains en menaçant de limiter leur quota de visas de pèlerinage s’ils ne rompaient pas leurs liens avec Doha. Le grand mufti d’Arabie saoudite a ensuite apporté sa pierre à l’édifice en accordant « ses bénédictions » à la décision du blocus contre le Qatar.

Ce ne sont là que quelques exemples de la façon dont la maison des Saoud se sert – et abuse – de la religion et de la dépendance du pays à l’utilisation politique de la religion.

La religion est donc une force coercitive permettant de légitimer sa domination interne et un outil d’ingérence extérieure dans les affaires des pays étrangers.

Inspirée des déclarations de Mohammed ben Salmane, la question clé devient alors la suivante : cela devrait-il changer lorsqu’il deviendra roi ? Mohammed ben Salmane a déclaré : « Nous voulons vivre une vie normale. Une vie dans laquelle notre religion se traduit par de la tolérance, par nos traditions de bonté. » De toute évidence, il s’adresse là aux nouvelles générations de Saoudiens.

Un royaume en transition

L’imbrication entre religion et État en Arabie saoudite est sensible et profondément enracinée. Tout effort visant à ébranler cette alliance doit connaître un processus de dialogue public et intellectuel inclusif, bienveillant et libre. Il doit être le fruit d’une demande du public plutôt qu’une contrainte imposée d’en haut. 

Cependant, depuis que le prince Mohammed ben Salmane a pris le pouvoir, la situation de la religion dans le pays est sur le déclin. Mohammed ben Salmane semble déterminé à amener le pays à l’autre extrême.

Il semble œuvrer à dépouiller l’Arabie saoudite de tout ce qui a trait à son héritage religieux. Il pense qu’avec le pouvoir des décrets royaux, il est capable de renverser le statu quo. Cela équivaut à se réveiller un matin pour découvrir que le président américain a signé un décret faisant de la charia la loi du pays.

Dans les faits, il force la laïcité au public au lieu de le persuader d’accepter ce qui a traditionnellement été défini comme des valeurs et des croyances étrangères.

À LIRE : Arabie saoudite : la guerre civile à l’horizon

Par exemple, récemment, le gouvernement a annoncé le « Projet de la mer Rouge », une station de loisirs de style international sur la côte ouest du royaume. Comme je l’ai mentionné dans un article précédent, une société conservatrice et traditionnelle s’est vu signifier que son gouvernement souhaitait créer une station balnéaire où les règles du pays ne s’appliqueraient pas – y compris la ségrégation hommes-femmes et le code vestimentaire « islamique » – à quelques centaines de kilomètres à peine des sites les plus sacrés de l’islam.

Ceci n’est pas le fruit d’une évolution culturelle naturelle au sein de la société, mais d’une décision royale qui, du jour au lendemain, abandonne un fanatisme religieux strict et vide de sens. Cette transition constitue une insulte pour un segment important de la société saoudienne qui a adhéré à la propagande religieuse officielle au fil des décennies.

Des passants font leurs courses dans un centre commercial de Riyad (Arabie saoudite), le 18 octobre 2017 (Reuters/Faisal Al Nasser)

Des leçons d’histoire

Cette approche pourrait avoir de graves conséquences. En plus d’être erronée sur le plan éthique, elle pourrait également apporter une justification à la résistance populaire, ce qui ne serait pas un cas unique dans l’histoire du pays. Le 20 novembre 1979, le premier jour de l’an 1400 du calendrier islamique, la mosquée al-Ḥaram a été prise d’assaut par un groupe bien organisé de 400 à 500 hommes sous la direction de Juhayman al-Otaybi.

Al-Otaybi s’en est pris aux oulémas wahhabites, qu’il a accusés de ne pas avoir protesté contre des politiques qui – selon lui – trahissaient l’islam, d’accepter la domination d’un État infidèle et d’offrir leur loyauté à des dirigeants corrompus en échange d’honneurs et de richesses.

L’histoire pourrait se répéter si les dirigeants actuels sous Mohammed ben Salmane ne parviennent pas à en tirer les leçons. 

Selon moi, la protection de la liberté de pensée et d’expression peut, sur le long terme, constituer un contexte propice à des changements libéraux dans le pays. Cela contribuerait à la création d’un cadre rendant possibles la mutation des idées et l’émergence d’une société tolérante. Permettre l’instauration d’un dialogue public à l’avance au lieu de prendre la société par surprise, comme c’est le cas actuellement, relève du bien commun.

Des messages adressés aux Émirats arabes unis

En outre, l’Arabie saoudite ne devrait jamais autoriser la traduction des discours établissant une contradiction entre ses intérêts et ceux du monde musulman en général en une véritable politique.

Abou Dabi semble ignorer les conséquences de son offensive en faveur d’une laïcisation forcée en Arabie saoudite

Le royaume devrait envoyer un message clair à cet égard, en particulier aux Émirats arabes unis. Les Émirats arabes unis ne parviennent pas à saisir toute la portée de l’importance de la religion dans la composition sociopolitique du royaume. Abou Dabi semble ignorer les conséquences de son offensive en faveur d’une laïcisation forcée en Arabie saoudite

À cet effet, l’Arabie saoudite a récemment arrêté des intellectuels, des écrivains et des activistes dans le cadre de mesures préventives visant à empêcher toute protestation potentielle contre ses politiques. Ces arrestations semblent orchestrées par Abou Dabi.

Enfin, nous devons établir une distinction entre laïcité et liberté. Certains des régimes les plus brutaux et fascistes que le monde ait jamais connus étaient dans les faits laïcs et antireligieux, notamment la Russie de Lénine et l’Allemagne hitlérienne.

Le projet couvé par les Émirats arabes unis pour l’Arabie saoudite n’est en rien différent. L’Arabie saoudite doit définir son chemin vers la liberté en fonction des aspirations de son peuple et non de celles d’un cheikh à Abou Dabi ou d’un prince au palais saoudien al-Salam.

- Nous ne divulguons pas l’identité de cet auteur afin d’assurer sa sécurité.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Mohammed ben Salmane, alors prince héritier d’Arabie saoudite, lors de son arrivée au palais de l’Élysée, à Paris (France), le 24 juin 2015 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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