Le couscous, au cœur de l’identité maghrébine
En 2018, l’Algérie s’apprêterait à déposer un dossier auprès de l’UNESCO pour inscrire le couscous maghrébin au patrimoine culturel mondial. Mondial, ce mets l’est déjà dans la pratique. Pourtant, la variété des lieux de production, des modes de fabrication et de cuisson, tout autant que celle des lieux de consommation sèment le doute sur ses origines, en réduisent et dénaturent le sens, pour mieux alimenter la confusion et valider moult contrefaçons.
Dès lors, pour mieux faire connaître et protéger le véritable couscous maghrébin, quoi de plus efficace que de s’en remettre à l’UNESCO. En effet, le couscous, ou seksu en langue berbère, n’est pas qu’un simple plat de semoule diversement agrémenté et disponible aux quatre coins de la planète. Il est une réalité maghrébine vivante et pluridimensionnelle.
Pour ceux, nombreux, qui ont eu à le déguster, il constitue d’abord un savoureux mets, désormais au menu de tout restaurant international qui se respecte, selon une variété incroyable de recettes. Malgré cette multitude de recettes, le couscous reste cependant basé sur des règles précises et codifiées par la pratique depuis des siècles.
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D’une part, le couscous est confectionné à partir de semoule, principalement de blé dur, et parfois d’orge. D’autre part, les grains de couscous sont cuits, plusieurs fois, à la vapeur, dans ce qu’on appelle un couscoussier, puis enrobés de diverses matières grasses. Enfin, le couscous peut être préparé sous deux versions : salée ou sucrée.
En plat principal, lorsqu’il est salé, les grains de couscous sont servis agrémentés d’une sauce généreusement épicée, accompagnée de divers légumes et, le plus souvent, de viandes rouges ou blanches, voire de poissons. En entremets, lorsqu’il est sucré, les grains sont nappés de miel, d’épices et autres fruits secs.
Pour identifier un véritable couscous maghrébin, quatre éléments fondamentaux sont à retenir
En tout état de cause, pour identifier un véritable couscous maghrébin, quatre éléments fondamentaux sont à retenir : l’utilisation de semoule de céréales (blé et orge) obtenue par broyage des céréales ; à partir de la semoule, le roulage, le tamisage et le séchage des grains de couscous ; la cuisson de ces grains par la vapeur dans un couscoussier ; l’enrobage de ces grains à l’aide d’huiles d’olive, d’argan, ou de beurre.
Au-delà, la diversité des couscous tient à la multiplicité des sauces, des épices, des légumes, et des viandes qui l’agrémentent.
Mais, avant d’être ce plat aujourd’hui internationalement reconnu et à la carte de chefs cuisiniers prestigieux, le couscous est, depuis des siècles, un des marqueurs essentiels de l’identité culturelle de tous les pays du Maghreb. Pour plusieurs raisons.
Né dans le Sahara
Les historiens et les archéologues nous rappellent que le couscous est probablement né dans le Sahara bien avant qu’il ne devienne un désert.
Des fouilles dans la région du Tassili des Ajjers ont mis au jour diverses graines céréalières sauvages et des ustensiles de broyage des céréales (meules plates, pilons et autres moulins de pierre). Puis, après la désertification, vers 18 000 ans avant J-C, les populations alors appelées protoberbères, ont pris la décision de migrer.
Les unes vers les régions subsahariennes du Sahel, où elles ont cultivé le mil et le millet et consommé la semoule et le couscous correspondant. Les autres vers le nord du Maghreb, jusqu’à l’île de Siwa (en Égypte) au nord-est et jusqu’à la côte atlantique au nord-ouest.
Dans cette Afrique du Nord que les Romains appelèrent alors la Berbérie (ou la Tamazgha, en langue berbère, c’est-à-dire la terre des Imazighen ou « hommes libres ») la semoule et le couscous à base de blé dur et d’orge devinrent la base de l’alimentation de la population.
D’autres découvertes confirmèrent cette évolution. Dans des sépultures datant de l’époque du roi Massinissa (IIe siècle avant J-C), on trouva divers ustensiles et couscoussiers en pierre ou terre cuite.
Au début du XVe siècle, Ibn Khaldoun, le génie maghrébin, pouvait alors affirmer : « le Maghreb commence là où les populations portent le burnous et s’arrête là où l’on ne consomme plus le couscous. »
Le couscous fait désormais l’objet de thèses de doctorat au Maghreb et en France
Cette formule daterait en fait du XVIIe siècle, sous la plume de l'historien marocain Lahsen el-Youssi, dans son ouvrage Al Mouhadarât, il définit ainsi l'homme berbère et son espace : « halq el rouous, akl el couscous, lebs el burnous : crânes rasés, mangeurs de couscous, porteurs de burnous ».
Pourtant, dès cette époque, le couscous sort de « ses frontières naturelles » et poursuit sa migration. Il accompagne d’abord les conquêtes berbéro-arabes en Andalousie, dans le sud de la France et en Sicile. Ainsi, dès 1532, Rabelais parle-t-il du « coscosson » dans son roman Pantagruel. Depuis cette date, le couscous est présent dans de nombreux romans, récits de voyage et contes pour enfants. Il fait désormais l’objet de thèses de doctorat au Maghreb et en France.
Quant à la Sicile, le couscous y représente toujours un des fondamentaux de la tradition culinaire locale. Au point que le village de San Vito do Capo y organise, depuis plusieurs années, un « championnat du monde du couscous » auquel participent une dizaine de chefs de divers pays. En 2017, un chef angolais a remporté le titre, succédant à un chef palestinien victorieux en 2016.
Un des trois plats salés préférés des Français !
Ce faisant, depuis les origines, ce mets a été au cœur de tous les évènements heureux et malheureux. Symbole d’hospitalité, de partage et de convivialité entre les tribus et les communautés, il accompagne depuis toujours la plupart des fêtes familiales (mariages, naissances) et divers rituels (deuils et autres célébrations).
Pendant longtemps, dans une société maghrébine marquée par le patriarcat, la transmission, de la mère à ses filles, du savoir-faire en termes de préparation du couscous était incontournable. Ce savoir-faire constituait alors un élément « immatériel » essentiel de leur dot.
Pour autant, dès le début du XXe siècle, avec l’industrialisation du processus résultant des innovations de la famille Ferrero, des Italiens installés en Algérie où ils implantèrent deux moulins industriels à Blida et Bou Saâda, ce savoir-faire s’est progressivement estompé.
Le couscous a cependant poursuivi son périple. D’abord, grâce aux premières vagues migratoires maghrébines vers l’Europe (principalement la France et la Belgique) au moment de la Première Guerre mondiale. Ensuite, lors du retour des populations coloniales (pieds-noirs) vers leurs pays d’origine après la décolonisation du Maghreb.
En moins de 50 ans, le couscous s’imposa comme un des trois plats salés préférés des Français !
Dès lors, en moins de 50 ans, le couscous s’imposa comme un des trois plats salés préférés des Français ! Plus récemment, mondialisation oblige, la production et la consommation du couscous ont finalement conquis toute la planète.
Le groupe espagnol EBRO, propriétaire des marques Danone, Panzani et Ferrero, est devenu leader mondial de la fabrication du couscous, loin devant l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc. Du couscous « made in China » est désormais disponible. Il en fut même exporté … vers l’Algérie !
Pire, depuis quelques années maintenant, les malfaçons se multiplient. Ainsi, une entreprise de Tel Aviv distribue, sous la marque commerciale « couscous israélien », un produit fabriqué à base de gros grains de semoule et de farine grillés plutôt que séchés, que l’on fait cuire, sans vapeur ni couscoussier, en quelques minutes, et que l’on peut consommer en salade !
On est là, à l’évidence, plus proche de la mystification que de la modernisation d’un produit. C’est dire que le couscous risque d’y perdre définitivement ses racines et son identité ! Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, il est plus que temps de transmettre à l’humanité, la réalité historique, culturelle et culinaire de ce plat millénaire. Dans son unité et sa diversité. Et de souhaiter plein succès à la démarche de protection envisagée auprès de l’UNESCO.
-Smaïl Goumeziane est docteur en économie et diplômé de sociologie. Après avoir été directeur au ministère des Industries légères, il assura la direction générale de deux entreprises nationales spécialisées dans la production, la distribution et l’importation de produits céréaliers (pâtes, semoules et couscous). Il fut secrétaire général du ministère de l’Industrie lourde (1988-1989), puis ministre du Commerce (1989-1991). Professeur et maître de conférences à l’Université Paris Dauphine (1994-2006), il y enseigna l’économie du développement et les relations internationales. De 2006 à 2016, il fut professeur associé à l’Institut supérieur de management (ISM) de Dakar-Sénégal. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont L’Islam n’est pas coupable (EDIF2000 et Non Lieu, Alger et Paris, 2016), L’Algérie et le nouveau siècle (EDIF2000 et Non Lieu, Alger et Paris, 2013), Ibn Khaldoun, un génie maghrébin (EDIF2000 et Non Lieu, Alger et Paris, 2006), La tiers mondialisation (Charles Corlet, Paris 2005) et Le pouvoir des rentiers (EDIF2000 et Paris-Méditerranée, Alger et Paris, 2003).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Des petits Libyens mangent un couscous traditionnel préparé avec du mouton, des oignons, des pois chiches et du potiron, dans une maison à Tripoli (AFP).
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