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Le déclin de la stratégie iranienne en Syrie

Que l’Iran accepte ou non de coopérer avec la Russie dans le conflit, la République islamique commence à être à court d’options en Syrie

L’Iran a investi d’importantes ressources dans le conflit syrien depuis les premiers jours de l’insurrection en 2011. Ce soutien consiste moins à appuyer le président Bachar al-Assad qu’à préserver les intérêts iraniens au Levant. Après tout, la Syrie est la bouée de sauvetage du Hezbollah, l’allié de l’Iran : sans passage sûr à travers le pays, les armes envoyées par l’Iran, qui forment l’ossature du pouvoir politique à base militante du Hezbollah, ne pourraient être acheminées vers le groupe au Liban. Toutefois, bien que la stratégie de l’Iran à l’égard de la Syrie ait certainement contribué à maintenir Assad au pouvoir, celle-ci n’a permis ni d’éradiquer ses ennemis, ni de gagner les cœurs et les esprits des partisans du régime. Avec l’escalade actuelle représentée par l’intervention russe en Syrie, la stratégie syrienne de l’Iran est confrontée à des défis encore plus importants qu’auparavant.

Même si le déploiement par l’Iran du major général Qasem Soleimani, chef de la Force al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI), dans le but de mettre en œuvre des moyens créatifs pour soutenir l’armée syrienne, a permis de l’aider à combattre les groupes rebelles, les méthodes utilisées par l’Iran en Syrie ne sont ni tout à fait originales, ni totalement fructueuses. La répression que l’Iran a conseillé à Bachar al-Assad d’employer contre des manifestants pacifiques en 2011 était une réplique de la façon dont l’Iran avait procédé avec ses propres dissidents en 2009, mais celle-ci n’a pas permis de réprimer le soulèvement syrien. Plus tard, l’Iran, qui a appelé le Hezbollah à combattre en Syrie lorsque les troupes d’Assad ne sont pas parvenues à écraser ce qui était devenu une opposition militarisée, a tenté de créer en parallèle une version syrienne du Hezbollah ; toutefois, les deux composantes ont subi des pertes importantes au sein de leurs rangs lors de leurs batailles contre les rebelles syriens.

L’Iran a également joué la carte sectaire en initiant un processus de chiisation interne de la Syrie dans le but de cultiver la loyauté populaire dans un pays qui, à la différence du Liban, n’a pas une importante communauté chiite. Ce processus a été associé à une intensification de la propagande portant sur la montée de ce que l’Iran a qualifié de groupes sunnites « djihadistes takfiri » et la sur menace qu’ils représentent pour la stabilité au Moyen-Orient. Bien que des groupes tels que l’État islamique constituent en effet un risque en matière de sécurité, l’invocation de ces groupes par l’Iran était davantage destinée à légitimer son intervention en Syrie et à couvrir ses attaques contre l’opposition syrienne modérée.

La Syrie a également vu apparaître une réplique vague du modèle du Bassidj iranien lorsque l’Iran a commandité la création des Forces de défense nationale (FDN), des milices civiles fidèles au régime d’Assad. Les FDN comportent des connotations confessionnelles dans la mesure où la majorité de leurs membres sont issus de communautés non sunnites.

La sectarisation de la Syrie par l’Iran s’est poursuivie avec des tentatives de transferts de population. L’Iran a proposé de déplacer les habitants chiites des villages de Kefraya et al-Foua, dans la province d’Idleb, vers la ville frontalière de Zabadani, tout en transférant la population sunnite de Zabadani dans des zones à majorité sunnite telles que Hama. Comme Idleb est en grande partie sous le contrôle de groupes islamistes sunnites et comme Zabadani se situe à la frontière avec le Liban, un tel transfert de population contribuerait à consolider l’emprise de l’Iran sur ce qu’il considère comme des zones clés, c’est-à-dire les zones qui sont des bastions du régime ou dont la localisation géographique en fait des voies d’approvisionnement essentielles pour le régime et ses alliés.

Avoir des fidèles inconditionnels en tant qu’habitants de ces zones permettrait à l’Iran d’exercer le genre d’influence que le Hezbollah exerce actuellement dans le sud du Liban. Dans cette région, alors même qu’aucune politique de transfert de population n’a été activement poursuivie, et malgré la persistance de communautés issues de milieux chrétiens, druzes et sunnites ainsi que de chiites non affiliés au Hezbollah, la faction dominante du sud du Liban est aujourd’hui la population chiite pro-Hezbollah.

Pour contrer les associations négatives liées au sectarisme de cette approche, l’Iran a ensuite essayé de créer une version syrienne des « Saraya al-Moukawama » (« brigades de la résistance ») du Hezbollah. La version syrienne de ces milices, appelées « Keshab », engagent des jeunes à la fois sunnites et alaouites, ainsi que des membres d’autres communautés. Cependant, les Saraya al-Moukawama se sont avérées être un effort peu convaincant pour présenter le Hezbollah comme étant favorable à l’intégration de tous les Libanais.

Si la stratégie de l’Iran en Syrie continue de faire écho au modèle libanais, on peut alors supposer que l’Iran n’aura pas d’intérêt à ce que les institutions de l’État syrien soient fortes. Au Liban tout comme en Irak, le parrainage des acteurs non étatiques par l’Iran a été un moyen de faire pression sur le gouvernement, même si le gouvernement lui-même est pro-iranien. L’intensification du sectarisme entraînera également la Syrie vers une fragmentation, en particulier dans la mesure où les groupes extrémistes tels que l’État islamique capitalisent sur les divisions sectaires pour accroître leur pouvoir.

La stratégie de l’Iran n’a été que partiellement fructueuse. Jusqu’à présent, le soutien de l’Iran a été fondamental pour garder le régime d’Assad en vie. Cependant, en dépit de tout son investissement, l’Iran n’a pas été en mesure de faire tourner à son avantage la trajectoire du conflit dans son ensemble. En outre, les fidèles d’Assad sont pour la plupart laïcs. Pour eux, il y a peu d’attrait dans l’approche sectaire de l’Iran et dans la façon dont celle-ci planterait le décor de l’avenir de la Syrie. De plus, l’approche de la Russie en Syrie est pour sa part basée sur le maintien d’institutions publiques solides.

L’accentuation de l’intervention militaire russe en Syrie a donc été bien accueillie par la plupart des partisans du régime. De leur point de vue, une présence accrue de la Russie en Syrie ne signifie pas un changement de mode de vie, d’autant plus qu’il existe des liens de longue date entre l’armée syrienne et la Russie, qui remontent à l’époque de l’Union soviétique, au cours de laquelle un grand nombre d’officiers syriens ont été formés à Moscou et sont même retournés en Syrie avec des épouses russes.

Les Syriens favorables au régime avaient toléré l’alliance avec l’Iran avant 2011, car elle était jugée bénéfique, et avaient consenti par nécessité au changement de la dynamique du pouvoir entre Damas et Téhéran après 2011. Bien que l’intervention russe soit également mal conçue et susceptible d’entraîner la Russie dans une voie regrettable, celle-ci présente aux Syriens une alternative plus attrayante. En outre, malgré le fait que l’Iran a fait appel à la Russie l’été dernier pour une aide accrue, reconnaissant au passage l’échec de sa propre stratégie, la Russie n’a pas cherché à garantir pleinement les intérêts iraniens en Syrie. Jusqu’à présent, dix-huit officiers haut-gradés iraniens ont été tués au total en Syrie, le plus récent étant le général de brigade Hossein Hamedani, qui avait dirigé l’initiative « Keshab ».

L’Iran commence à être à court d’options en Syrie. S’il coopère avec l’intervention militaire russe en apportant des troupes au sol pour soutenir l’armée de l’air russe, cela entraînerait encore plus de pertes humaines iraniennes. S’il ne se coordonne pas avec la Russie, l’Iran se retrouvera marginalisé par la Russie et par les partisans d’Assad. Dans les deux cas, en dépit de la fragmentation de l’opposition syrienne, celle-ci continue d’exercer une forte pression sur le régime et ses alliés. En bref, la stratégie de l’Iran en Syrie est sur le déclin.

- Lina Khatib est associée de recherche à l’École des études orientales et africaines (School of Oriental and African Studies – SOAS) de l’université de Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les frappes aériennes russes en Syrie pourraient être en train de changer la dynamique entre Damas et Téhéran (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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