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Le gouvernement marocain est aussi vulnérable que son programme économique

À l’image de ses auteurs, le programme gouvernemental est inaudible, il dit tout et son contraire. Les Marocains méritaient mieux, tellement mieux

Six mois et trois semaines après l’officialisation des résultats des élections et la nomination d’un (premier) chef de gouvernement, le Maroc a enfin son gouvernement. 

Plus de la moitié d’une année de négociations, de rebondissements, d’intrigues, et surtout d’attente pour qu’au final, la montagne finisse par nous accoucher d’une souris. 

Politiquement, la scène nationale s’est trouvée acculée aux négociations de couloirs, victime de ses intrigues

Les Marocains méritaient mieux, tellement mieux.

Ces six derniers mois ont beaucoup coûté au Maroc. Économiquement, l’absence de visibilité due à la crise gouvernementale a conduit au scepticisme de plusieurs investisseurs internationaux, à tel point que la Coface (société d’assurance-crédit pour le commerce extérieur) a fini, en mars, par augmenter le niveau de risque pour les investissements au Maroc.  Elle a également entraîné un gel des investissements nationaux, causé par l’absence totale d’une stratégie de « gouvernement » durant cette période, avec les conséquences que nous connaissons au niveau social et au niveau de l’emploi.

Samedi 25 mars, soit une semaine à peine après sa nomination, le chef du gouvernement marocain Saâdeddine el-Othmani annonce la formation de la coalition gouvernementale (AFP)

Politiquement, la scène nationale s’est trouvée acculée aux négociations de couloirs, victime de ses intrigues, en perdant par la même le peu de crédibilité qu’elle avait aux yeux des citoyens, et a fini par avoir raison de leur patience et de leur bonne foi.

Capitulation ou manque d’ambition pour le pays ?

Et au bout des six mois de négociations, les six partis de la coalition gouvernementale ont pris six jours pour préparer un projet pour le Maroc des cinq ans à venir.

La lecture des 90 pages du « programme gouvernemental » s’apparente à un long chemin de croix, et si le citoyen qui s’y attèle espérant y trouver une sorte de guide des cinq prochaines années, des réponses à ses questions, un « cap », il finira sa lecture dans une confusion totale, perdu. 

Ce « programme gouvernemental » souffre d’une faiblesse structurelle : il n’en est pas un

À l’image de ses auteurs, le texte gouvernemental est inaudible, il dit tout et son contraire, et finalement, conduit le lecteur à comprendre qu’il ne dit rien, et ne veut surtout rien dire.

Une longue dissertation, beaucoup de lyrisme, une générosité dans les grands mots et les grandes phrases, mais pas de visibilité, aucun aiguillage : les auteurs du programme gouvernemental ont confondu vitesse et précipitation : ces cinq années, ou ce qui en reste, seront longues, très longues !

Ce « programme gouvernemental » souffre d’une faiblesse structurelle : il n’en est pas un. 

Au mieux, il serait une déclaration de capitulation ; au pire, un manque d’ambition pour le pays, une mise à pied de l’ambition nationale.

En mars dernier, le Premier ministre Abdelilah Benkirane, qui n'a pas réussi à former un gouvernement, est remercié par le roi (AFP)

Sa lecture nous en fait la démonstration de bout en bout. Le « programme » annonce une croissance à 4,5 % en 2021. Peu ambitieuse, cette « annonce » porte en elle cette contradiction qui en fait même, peut-être, une volonté irréaliste, car si le gouvernement d’Othmani s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur, son programme manque cruellement d’idées, d’innovation et de volonté.

Othmani endigue son gouvernement dans un rôle de gestion des affaires courantes, dépourvu de tout esprit d’initiative, pourtant partie intégrante de ses prérogatives constitutionnelles, et réussit l’exploit de faire de cet objectif peu ambitieux, un doux rêve peu réalisable.

Une véritable bombe sociale

Au rayon des prises de positions, la décompensation (le Maroc souhaite lever les subventions sur plusieurs matières premières) brille par sa persévérance. Othmani en a fait un gage de continuité : elle interpelle surtout la cohérence de ses anciens adversaires passés alliés. Il y a quelques mois, ils faisaient de sa suppression le fer de lance de leur campagne, et le 26 avril la votent : triste spectacle.

Cette mesure révèle que ce gouvernement poursuit sa politique ultralibérale autant que faire se peut, que s’il y a bien un levier sur lequel il est intransigeant (et ils ne sont plus nombreux), c’est le « tournant ultralibéral ». La subvention est remplacée par une hypothétique « aide directe », dont la rapidité de la mise en place est inversement proportionnelle à celle de l’application des mesures de décompensation. 

Cette fois, Othmani et ses alliés sont décidés à franchir un palier : le sucre, la farine et le gaz butane. Une véritable bombe sociale qui aurait mérité d’être mieux gérée, mieux accompagnée. Mieux pensée, surtout.

La décompensation s’attaque de manière directe au pouvoir d’achat des Marocains, sans distinction (MEE/Rik Goverde)

Les bénéficiaires de « l’aide ciblée » proposée par les deux chefs de gouvernements islamistes dans leurs programmes ne sont pas précisés. Dans une économie marquée par un secteur informel foisonnant, et un taux de bancarisation encore faible, il apparaît chimérique de pouvoir un jour en dessiner les contours.

Encore une fois, cette mesure s’attaque de manière directe au pouvoir d’achat des Marocains, sans distinction, prolongeant le libéralisme sauvage et faisant le lit d’une crise sociale majeure – et ne s’accompagne que d’une série de slogans, populistes mais de moins en moins populaires.

Un financement par la dette

Sur le volet social, qui occupe une bonne partie de la dissertation gouvernementale votée au parlement ce 26 avril, les auteurs évitent soigneusement, et avec beaucoup de réussite, de glisser sur le terrain du concret.

Ils se contentent de généralités (un plus grand accès aux infrastructures routières, accès au logement, réduction de la mortalité infantile), sans jamais expliquer les moyens qui seront mis en œuvre pour l’atteinte de ces objectifs, et dont le financement est une grande inconnue, notamment à l’aune d’une fiscalité faible, et d’un système de répartition des richesses défaillant. 

Ces mesures, au cas où elles verraient le jour, seront donc financées par la dette, poursuivant l’embourbement de l’économie marocaine dans le cercle vicieux de l’endettement, dans le sillage de l’héritage légué par son prédécesseur. 

En définitive, le citoyen marocain se retrouve devant 90 pages d’une profession de foi, ou une déclaration d’intention, peu ambitieuse, ne définissant aucun cap et laissant libre court au hasard, et perpétuant la dépendance de l’économie nationale à deux facteurs exogènes : la pluviométrie et la conjoncture internationale. 

Le gouvernement marocain est aussi vulnérable que son programme économique. Et son programme gouvernemental consacre ce qu’est sa majorité : disparate, incohérente et contradictoire. 

- Mehdi Bensaid est l’ex-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense nationale, des Affaires islamiques et des Marocains résidant à l’étranger. Membre du Parti authenticité et modernité (PAM), il a également présidé l’Union des jeunes parlementaires africains (UJPA) et a été membre de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le 19 avril au parlement, le Premier ministre Saâdeddine el-Othmani présente le programme du gouvernement (AFP).

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