Le message du hadj n’a guère d’effet sur l’Arabie saoudite
Alors que la semaine du hadj, le pèlerinage annuel de l'islam à La Mecque, s’est terminé, l’ONU a annoncé l’imminence d’une troisième vague de choléra au Yémen. Selon les estimations de l’ONU, cette maladie a déjà tué 2 300 personnes et en a infecté 1,1 million, une catastrophe sanitaire à tous points de vue.
On ne peut s’empêcher de se demander si les autorités saoudiennes, actuellement en train d’évaluer les gains et les pertes d’une nouvelle semaine de pèlerinage, ont pris la peine de faire une pause dans leurs comptes pour avoir une pensée pour cette tragédie, causée entièrement par la guerre injuste de leur pays contre le Yémen.
Prestige et légitimité
Le hadj, obligatoire pour 1,5 milliard de musulmans dans le monde au moins une fois dans leur vie, confère de nombreux avantages à ses administrateurs. Grâce à ce rituel et à leur statut de gardiens des lieux saints, les dirigeants de l’Arabie saoudite acquièrent prestige et légitimité dans le monde islamique. De plus, le hadj est une source considérable de revenus pour l'Arabie saoudite, juste derrière l'industrie pétrolière.
Personne ne connaît avec certitude le montant exact de ce que leur rapporte le hadj, mais une estimation depuis 2014 situe ce revenu à 8,5 milliards de dollars (7,2 milliards d’euros) pour cette seule année-là. D’autres citent un chiffre annuel moyen compris entre 12 et 20 milliards de dollars (10 et 17 milliards d’euros), qui prend en compte la oumra, c'est-à-dire un pèlerinage de moindre importance, qui peut avoir lieu à n’importe quel moment de l’année.
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Bien que le hadj implique un certain nombre de rituels, il s'agit essentiellement d'un événement profondément spirituel.
En 2017, Arab News, reprenant plusieurs experts économiques, a prédit que les pèlerinages rapporteraient à l’Arabie saoudite 150 milliards de dollars (128 milliards d’euros) d’ici 2022. Le grand nombre de pèlerins a nécessité la construction d’hôtels, de centres commerciaux, de routes et d’autres infrastructures, générant des milliers d'emplois.
Compte tenu de ces intérêts économiques, il est peu probable que l’Arabie saoudite renonce à la propriété de l’administration du hadj, même si rien ne lui confère plus de droits qu’à tout autre État islamique.
Il y a plusieurs décennies, ont été présentées des propositions visant à remplacer l’administration du hadj par un organe international de représentants des États islamiques sous les auspices de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), mais elles sont restées lettre morte.
Quoi qu’il en soit, l’Arabie saoudite restera responsable du hadj dans un avenir prévisible, ne serait-ce que parce qu’elle est propriétaire des terres où se trouvent les deux villes saintes.
Un événement spirituel
Cet heureux accident de l'histoire a-t-il conféré un sentiment d'enrichissement spirituel aux dirigeants saoudiens ? Ont-ils compris le véritable message du hadj qu’ils administrent ? Bien que le hadj implique un certain nombre de rituels, dans son essence, il s’agit d’un événement profondément spirituel.
Les pèlerins disent éprouver un renouvellement de soi et un sentiment d’unité et d’harmonie, à travers lequel, en présence de Dieu, tous les musulmans se retrouvent sur un pied d’égalité, sans distinction de richesses ou de race, et sont exclues alors colère et dissidence.
Cette spiritualité trouve son apogée dans les rituels du deuxième jour du hadj : les pèlerins font alors le voyage jusqu’au mont Arafat, colline à vingt kilomètres de La Mecque, où le prophète Mohammed aurait délivré son dernier message peu avant sa mort. Ici, ils passent la journée dans la contemplation et l’adoration, méditent sur leurs péchés passés et se repentent.
À cette occasion, le deuxième jour du hadj, les dirigeants de l’Arabie saoudite seraient bien inspirés de réfléchir sur les péchés passés et présents de leur pays. Gardiens de La Mecque et de Médine, les rois saoudiens ont trahi l’histoire et la culture uniques des villes saintes qui leur sont confiées.
L’Arabie saoudite s’aligne de plus en plus étroitement sur Israël, pays le plus belliciste de la région et véritable ennemi des Arabes
Par observance de leur sinistre interprétation wahhabite de l’islam, qu’ils ont propagée au préjudice de toutes les sociétés islamiques qu’ils ont converties, les Saoudiens ont déjà démoli 90 % des quartiers anciens de La Mecque et de Médine, leurs mosquées, tombeaux, sanctuaires et maisons historiques.
Toutes les maisons et tombes de la famille du prophète et des califes les plus pondérés ont disparu ; la maison de sa première femme, Khadija, sert maintenant de toilettes publiques, et celle de son oncle, Hamza qui remontait à près de 1 400 ans, a été démolie. Le tombeau du Prophète était le prochain sur la liste des monuments promis à la destruction, mais le tollé international fut tel qu’ils se sont arrêtés.
Péchés saoudiens
La Mecque d’aujourd’hui est une ville sans âme, hérissée de gratte-ciels, de centres commerciaux, d’hôtels de luxe construits si haut qu’ils éclipsent la Kaaba, et elle est parcourue par un réseau de nouvelles routes. Aucune de ces deux villes n’est protégée par l’UNESCO et se retrouvent à la merci de la famille régnante saoudienne.
Loin de l’unité et de l’harmonie qu’inspire l’esprit du hadj, l’Arabie saoudite est profondément impliquée dans guerres et conflits. Depuis 2015, elle est le fer de lance d’une guerre dévastatrice contre le Yémen, faisant des ravages dans la population civile : en 2017, ce conflit a causé la mort de 50 000 enfants (estimations de l’UNICEF) et la destruction d’une grande partie de l’infrastructure du pays.
Les ports du Yémen sont bloqués, provoquant famine et maladies. Et pourtant, l’Arabie saoudite et ses alliés continuent la guerre, réduisant à un dénuement total un pays déjà pauvre, sans aucun avantage apparent.
Pendant ce temps, les Saoudiens ont inutilement prolongé le conflit meurtrier en Syrie, en finançant sans discernement d’infâmes groupes djihadistes qui ne pouvaient que ravager la population syrienne. Parallèlement, les Saoudiens s’enferrent dans une position vainement belligérante contre l’Iran sans pouvoir le vaincre, ce qui ne fait que déstabiliser la région.
Par ailleurs, ils ont soumis leur proche voisin, le Qatar, à un blocus d'un an, se privant ainsi de l’indispensable unité du Golfe contre l’Iran qu’ils prétendent craindre.
Plus sérieusement, l’Arabie saoudite s’aligne de plus en plus étroitement sur Israël, pays le plus belliciste de la région et véritable ennemi des Arabes. Le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, visiblement peu au fait du conflit israélo-palestinien, s’est allié à Jared Kushner et Jason Greenblatt, sionistes américains impitoyables qui veulent éliminer définitivement la cause palestinienne.
Le retrait du soutien aux Palestiniens en faveur de leur usurpateur et oppresseur n’est pas seulement un acte de folie et d’injustice, mais aussi la recette d’un conflit sans fin et d’une instabilité permanente au Moyen-Orient.
Chacun de ces actes est un péché, que les dirigeants de l’Arabie saoudite auraient dû méditer et dont ils auraient dû se repentir sur le mont Arafat cette semaine.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des fidèles musulmans regardent d’autres fidèles tourner autour de la Kaaba, le sanctuaire le plus saint de l'islam, le 17 août 2018, à la grande mosquée de La Mecque, en Arabie saoudite, la ville sainte, avant le début du pèlerinage annuel du hadj (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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