Le monde laissera-t-il Ganfouda en Libye devenir le prochain Srebrenica ?
Une grande partie de l'attention du monde – si elle ne s’est pas fixée sur la présidence Trump – a été capturée par le conflit en cours en Syrie et en Irak impliquant l'État islamique et le régime syrien. Cependant, une autre tragédie se déroule, dans l'est de la Libye.
La détérioration de la situation politique en Libye a commencé presque immédiatement après les manifestations du printemps arabe et l’intervention occidentale qui s’en est suivie et qui a contribué à renverser le dictateur de longue date Mouammar Kadhafi en 2011.
« Les enfants semblent n’avoir que la peau sur les os à cause du manque de nourriture et de la mauvaise alimentation »
- Un habitant de Ganfouda
La transition pacifique vers un gouvernement démocratique a échoué et une guerre civile a rempli le vide politique.
Depuis 2014, dans l'est de la Libye où se trouve un des belligérants de la guerre, l'opération Dignité du gouvernement basé à Tobrouk dirigée par le maréchal Khalifa Haftar contre les milices islamistes et les groupes armés de Benghazi, assiège une grande partie de Benghazi, dont, plus récemment, Ganfouda.
Au cours des deux dernières années de combat, les forces de Haftar et les milices et groupes armés qui ont formé une coalition connue sous le nom de Conseil de la choura des Révolutionnaires de Benghazi (SCBR) ont commis de graves violations des droits de l’homme et violé le droit international humanitaire, selon la mission spéciale de l’ONU en Libye (UNSMIL), Amnesty International et Human Rights Watch (HRW).
Le conflit armé à Ganfouda, en effet, étouffe la population civile. Mais les méthodes particulièrement lourdes et les tactiques systématiquement illégales de l'Armée nationale libyenne sous le commandement de Haftar – y compris les frappes aériennes répétées qui ont essentiellement touché les résidents – ont créé une catastrophe humanitaire dans le quartier de Ganfouda.
Des centaines de civils, dont 130 familles libyennes et des ressortissants étrangers assiégés depuis des mois et pris au piège par les combats, risquent de mourir de faim. Ils manquent de nourriture, et la nourriture qu'il leur reste n’est pas comestible. L'eau est contaminée, les nourrissons n’ont pas de lait et les malades manquent de médicaments.
« Les enfants semblent n’avoir que la peau sur les os à cause du manque de nourriture et de la mauvaise alimentation », a déclaré un habitant à Amnesty.
La Cour pénale internationale enquête
Il y a moins de deux semaines, j'ai eu la chance de faire partie d'une délégation comprenant des défenseurs des droits humains et des organisations telles que Human Rights Solidarity, qui s’est rendue à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye pour discuter de ce qui se passe à Benghazi.
Récemment, un représentant de l'opération Dignité a annoncé à la télévision nationale libyenne que chaque homme et chaque garçon de la région serait tué
Des proches des nombreux civils retenus captifs à Ganfouda étaient également présents, et ensemble nous avons pu rendre compte de la tragédie qui s’y déroule.
Nous avons rencontré la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, et l’avons informée de la situation actuelle, notamment l'intensification du bombardement des structures civiles par les forces de l'opération Dignité et leurs alliés étrangers, qui aggrave une crise humanitaire atroce.
Récemment, un représentant de l'opération Dignité a annoncé à la télévision nationale libyenne que chaque homme et chaque garçon de la région serait tué, une déclaration réaffirmée par une offre de l'Armée nationale libyenne de Haftar de libérer seulement les femmes et les enfants de Ganfouda, tandis que toutes les personnes de sexe masculin âgées entre 15 et 65 ans devraient se rendre aux forces de l'opération.
Au cours de nos réunions, un avocat de la CPI qui a enquêté activement sur les atrocités à Benghazi a établi une analogie frappante entre la méthode et le langage utilisés et ce qui s'est passé en Bosnie il y a plus de vingt ans.
C'est vers la fin de ce conflit de trois ans que l’homme politique serbe Radovan Karadzic a orchestré le massacre de 8 000 hommes et garçons musulmans à l'extérieur de l'enclave de Srebrenica. En mars 2016, Karadzic a été poursuivi pour crimes de guerre pour ce massacre et condamné à 40 ans de prison.
L'année dernière, lors d'une réunion des Nations unies marquant le 20ème anniversaire du massacre de Bosnie, le vice-secrétaire général, Jan Eliasson, a déclaré que ces atrocités resteraient une tache sur l'organisation internationale.
« Nous nous rassemblons dans l’humilité et le regret », avait déclaré Eliasson, « pour reconnaître l'échec de l'ONU et de la communauté internationale à prévenir cette tragédie ».
Intervention du Conseil de sécurité des Nations unies
Début novembre, dans un briefing aux quinze membres du Conseil de sécurité des Nations unies, Bensouda a expliqué que la Libye serait une priorité en 2017 en raison de « la violence généralisée, l'anarchie et l'impunité dans le pays, un désir de rendre justice aux victimes des crimes du Statut de Rome ». Bensouda a également annoncé que son bureau avait l'intention de demander de nouveaux mandats d'arrêt et espérait s’en servir dans un avenir proche.
Aujourd'hui, la Mission spéciale de l'ONU en Libye, dirigée par Martin Kobler, doit prendre des mesures opportunes en fournissant une aide d'urgence aux familles captives. Ensuite, l'ONU doit assurer la sortie en toute sécurité de l’ensemble des civils de Ganfouda.
Cette semaine a également vu la nomination de l'Irlandaise Valle Ribeiro comme nouvelle représentante spéciale adjointe de l'ONU pour la Libye, et sa principale priorité doit être de faire ces deux choses pour Ganfouda. Tous doivent travailler pour empêcher une répétition des erreurs passées.
Mais voici le dernier pan de cette tragédie : même si l'ONU réussissait à respecter son engagement envers la Libye, l'implication de l'armée française, qui selon certains rapports bloque l'accès de toute aide par les ports, ainsi que les frappes aériennes des Émirats arabes unis sur des civils, représentent un obstacle majeur.
Les États membres de l'ONU ne peuvent être divisés quand sont en jeu la vie de civils, des crimes de guerre et des catastrophes humanitaires. Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait intervenir pour demander un cessez-le-feu immédiat à Benghazi par toutes les parties – étrangères ou nationales. Le Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad al-Hussein, devrait condamner les actions de toutes les parties impliquées dans le conflit armé, qui ont entraîné la crise de Ganfouda.
Nous appelons également les gouvernements des États-Unis et du Canada à condamner les atrocités commises à Ganfouda et ailleurs en Libye, et nous avons soulevé ces questions directement avec le président Obama et le département d'État américain, ainsi qu'avec le Premier ministre Justin Trudeau et les membres du parlement canadien.
Laissez partir les gens
Si la situation à Ganfouda est vraiment similaire au cauchemar qui s'est déroulé en Bosnie dans les années 90, alors une attention internationale urgente est nécessaire. Le monde doit obliger le gouvernement basé à Tobrouk et les dirigeants de l'opération Dignité à cesser leurs crimes sanglants, car ils n'ont montré aucun signe qu’ils étaient prêts à le faire d’eux-mêmes.
Bien qu'ils aient récemment annoncé qu'ils seraient prêts à laisser les femmes et les enfants échapper au siège de Ganfouda, ces mots ne veulent rien dire et le plus probable est qu’ils aient été prononcés pour détourner l'attention internationale tout en vaquant à leurs sanglantes occupations.
Tout ce que nous voulons, c'est la justice et la sécurité pour les civils libyens. Diffamer quiconque ou agir sur une autre base que la seule vérité ne nous intéresse pas. La population de Ganfouda devrait être autorisée à partir en toute sécurité par voie maritime sous la protection de l'ONU.
Si la communauté internationale, dirigée par les puissances mondiales et les organisations internationales, est sérieuse quand elle dit ne pas vouloir répéter les erreurs du passé, elle doit agir au sujet de la crise en Libye.
Ignorer Ganfouda, c'est ignorer la tragique leçon que les morts de Srebrenica nous ont enseignée.
- Le Dr AbdelRahman Ali est un militant des droits de l'homme et l'un des fondateurs de Voices of Liberty et Justice for Ganfouda.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Les enfants de Ganfouda demandent de la nourriture et du lait (MEE/Familles à Ganfouda)
Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.
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