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Élections libanaises : plus de promesses creuses, toujours le même système corrompu

Protéger le statu quo tout en manifestant un intérêt de pure forme pour les exigences des électeurs : telle est la règle du jeu des élections législatives libanaises de 2018

Après près d’une décennie de reports multiples qui ont bloqué le processus politique national et privé les citoyens de leur droit de vote, les élections législatives libanaises auront lieu le 6 mai prochain sous un nouveau cadre juridique.

Adoptée en juin 2017, la nouvelle loi électorale remplace le système majoritaire par un système de représentation proportionnelle plurinominale divisant le Liban en quinze districts, où les électeurs peuvent voter à la fois pour une liste présentée dans leur district et pour un candidat de la liste dans leur sous-district.  

La stabilité du Liban

Une série de réformes du droit électoral portant notamment sur le vote à l’étranger, les bulletins pré-imprimés pour réduire les achats potentiels de votes et la représentation proportionnelle – augmentant théoriquement les chances de succès des indépendants – sont présentées par les élites politiques comme des avancées réformistes, dans la mesure où elles contribuent à préserver la stabilité du Liban dans une région secouée par les turbulences depuis plusieurs années.

À travers d’autres promesses en matière de lutte contre la corruption et le chômage et de fourniture de services de base, les élites font savoir aux observateurs nationaux et internationaux qu’ils tournent une nouvelle page. Mais ce n’est pas le cas.

Même la nouvelle loi électorale est, en substance, une loi créée pour et par l’élite politique traditionnelle

Les informations faisant état d’achats de votes, d’une utilisation abusive de portefeuilles ministériels à des fins électorales, de violations dans le financement des campagnes et de pots-de-vin s’accumulent. Le Comité libanais de surveillance électorale a publié le 19 avril un communiqué condamnant l’intervention de hauts fonctionnaires dans la campagne.

Néanmoins, l’organe manque d’impartialité et d’indépendance et n’a pas le pouvoir d’appliquer directement des sanctions consécutives à des violations. Même la nouvelle loi électorale est, en substance, une loi créée pour et par l’élite politique traditionnelle.

Les plans dévoilés lors de récentes conférences internationales de donateurs ne devraient pas pouvoir se concrétiser sans de véritables réformes structurelles. Quant aux élites, ces dernières ne sont pas intéressées. Même avec l’érosion des blocs politiques du 8 Mars et du 14 Mars et des alliances politiques changeantes, les élites traditionnelles restent d’accord pour conserver le système qui les maintient au pouvoir et continuer de profiter du butin.

Elles évitent ainsi de faire de véritables concessions, telles que de vastes réformes de lutte contre la corruption, tout simplement parce que celles-ci ne feraient que rogner le système et leur emprise sur le pouvoir.

La règle du jeu

La règle du jeu est donc de protéger le statu quo tout en manifestant un intérêt de pure forme pour les exigences des électeurs. Au lieu de développer des plates-formes politiques pour répondre aux préoccupations des citoyens, les élites remplissent leur palmarès creux avec des promesses vides pour engranger des suffrages.

Les propositions de loi d’amnistie générale illustrent on ne peut plus clairement cette tendance. Le projet de loi, relayé par les médias, n’a pas encore été rendu public (si tant est qu’il le soit un jour), mais pourrait entraîner l’amnistie de plusieurs dizaines de milliers d’individus recherchés ou condamnés, originaires par hasard de districts disputés sur le plan électoral, dans les régions majoritairement sunnites du nord et du sud et les régions orientales majoritairement chiites de Baalbek-Hermel.

Une employée marche au siège du Comité de surveillance électorale à Beyrouth, le 11 avril 2018 (AFP)

Les élections municipales de 2016 ont révélé plusieurs nouvelles tendances politiques susceptibles de menacer l’emprise totale des élites sur ces régions. Le Premier ministre Saad Hariri et son Courant du futur sont confrontés à une concurrence électorale avec la montée d’adversaires à sa droite, comme l’ancien ministre de la Justice Achraf Rifi qui tente de tirer parti du mécontentement de la population sunnite libanaise pour réaliser des gains électoraux à Tripoli. 

Quant au Hezbollah, sa marge de victoire a été limitée par une concurrence féroce dans certaines régions, provenant notamment de chefs tribaux locaux de la Bekaa et de Hermel. La crise économique l’a contraint à réduire encore ses services sociaux locaux à destination de la communauté chiite, ce qui pourrait nuire à son attrait populaire.

Après des années d’instabilité, les électeurs se concentrent désormais de plus en plus sur les problématiques élémentaires et sur l’incapacité des élites à tenir parole

Maintenant que la question de l’amnistie a probablement été reléguée au second plan jusqu’au lendemain du vote, certains citoyens menacent de boycotter les élections. Ils soutiennent que leurs communautés méritent la justice et voient l’amnistie comme le seul moyen de l’obtenir dans le système de justice pénale détraqué du Liban.

Excédés par des élites qui « jouent avec leurs nerfs » et brandissent une « fausse amnistie » pour « se moquer d’eux », les habitants espèrent toujours que, pour une fois, ces élites seront capables de leur prouver le contraire. À leurs yeux, la justice n’est qu’un autre service que le gouvernement se montre incapable de fournir. Les retards persistants enregistrés dans les réformes en matière d’électricité, de lutte contre la corruption et d’élimination des déchets ne contribuent pas à accorder aux dirigeants politiques libanais la crédibilité dont ils manquent cruellement.

Les questions fondamentales

Après des années d’instabilité, les électeurs se concentrent désormais de plus en plus sur les problématiques élémentaires et sur l’incapacité des élites à tenir parole. Les listes et les candidats indépendants espèrent tirer parti de cela et insuffler un nouvel élan au système à travers le développement de plates-formes politiques abordant les problèmes économiques et mettant l’accent sur des questions fondamentales telles que la laïcisation de l’État, la primauté du droit, les droits de l’homme et l’égalité de l’accès aux services, dans l’espoir de réformer le système de l’intérieur.

Le paysage politique libanais a radicalement changé depuis les dernières élections (Reuters)

Selon certains experts politiques libanais, les réalités sur le terrain ouvrent la voie à de nouveaux membres et à de nouvelles règles au sein du gouvernement – si ce n’est pas pour ces élections, ce sera pour les suivantes.

Le caractère changeant des alliances politiques traditionnelles a entraîné des bouleversements inattendus, puisque certains partis peuvent être en concurrence dans un district et unir leurs forces dans un autre. Dans ce nouvel environnement électoral, les candidats négocient district par district et mettent davantage l’accent sur les listes que sur les allégeances à des partis, ce qui aboutit à une campagne motivée par les gains électoraux plutôt que par les alliances de campagne. La forme que cela prendra dans l’environnement post-électoral reste à observer.

Les spécialistes des élections demeurent néanmoins pessimistes. Selon un analyste libanais, même si des candidats indépendants étaient élus, le poids du système confessionnel s’avérerait trop lourd à supporter et ils seraient contraints de s’aligner avec les partis traditionnels pour ne pas être évincés.

Les élites désirent sauver le système et veulent écraser tout contre-discours susceptible de déstabiliser leur pouvoir. Pendant ce temps, la communauté internationale ne proteste pas contre cet effort déployé pour privilégier la stabilité avant toute autre chose.

Clientélisme et sectarisme

Bien qu’ils aient peu de choses à concéder aux électeurs, les liens communautaires et sectaires sont un outil d’affirmation de soi, de sécurité et de préservation et certains électeurs affirment qu’ils n’ont pas d’autre choix que de soutenir « leurs dirigeants ». Ils voient que le sort de leurs dirigeants est directement lié à leur accès aux services en tant que communauté. Le butin du système est souvent considéré comme l’objet d’un jeu à somme nulle.

« Je ne suis pas content de la situation mais je ne peux pas ne pas voter, même si je suis contrariée par le fait qu’il n’y ait pas encore eu d’amnistie. Nous [les partisans du Hezbollah] sommes attaqués de toutes parts par des candidats dans d’autres districts. Nous devons nous défendre et voter », a déclaré une femme originaire de Baalbek.

À LIRE ► Liban : une loi électorale en trompe l’œil

Un activiste sunnite de Saïda s’est engagé à soutenir Hariri, même s’il pense que l’amnistie et l’amélioration du système de justice pénale ne se concrétiseront pas après les élections. « Il nous a menti avant et il nous mentira encore. Mais Hariri et le Courant du futur ont encaissé des pertes lors des élections municipales de 2016 et nous devons l’aider maintenant […] pour assurer notre avenir », a-t-il indiqué.

En effet, comme l’a déclaré un spécialiste des élections libanaises, « les élections n’ont jamais eu pour but de répondre aux besoins des citoyens et de développer des programmes : il est question de clientélisme et de sectarisme. »

– Haley Bobseine est une auteure, chercheuse et analyste avec plus de huit ans d’expérience de terrain au Moyen-Orient. Locutrice de la langue arabe, elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en histoire moderne du Moyen-Orient de l’Université Brown, aux États-Unis. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @haleybobseine 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une photo prise le 3 avril 2018 montre des affiches de campagne pour les prochaines élections législatives libanaises dans le quartier de Tariq el-Jdideh, à Beyrouth (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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