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Les implications régionales de la crise de la présidence du Kurdistan irakien

Les développements locaux et régionaux depuis le début de la crise laissent à penser que Massoud Barzani restera au pouvoir

Le gouvernement régional du Kurdistan irakien (KRG) est empêtré dans un violent conflit concernant l’élection – ou la réélection – de son président. Le mandat de Massoud Barzani, président du KRG depuis 2005, a expiré le 19 août 2015. Depuis lors, savoir ce qui doit advenir à présent est un sujet très controversé, souvent conflictuel et violent.

La permanence du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani à Souleimaniye a été attaquée début octobre par des manifestants pro-opposition de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) et du Mouvement pour le changement (Gorran). Cela a conduit le PDK à prendre des mesures contre Gorran en particulier, notamment en empêchant le président du parlement Yousif Mohammed Sadiq (de Gorran) d’entrer dans la capitale du KRG, Erbil, et en congédiant tous les ministres appartenant à ce parti.

Non seulement cette question a divisé la scène politique kurde, mais certains acteurs régionaux se sont également étroitement impliqué dans l’affaire. Pour l’heure, Barzani occupe toujours le fauteuil présidentiel, alors que la controverse fait rage au sujet de possibles ramifications nationales et régionales.

Genèse des désaccords

En l’absence de directives constitutionnelles claires, deux discours s’opposent quant à la façon de procéder. Tout d’abord, l’opposition affirme que, lorsque le mandat de Barzani est arrivé à son terme, le président du parlement aurait dû assumer son rôle jusqu’à l’élection du prochain président par le parlement. L’accent mis sur le rôle du parlement est important, car il s’agit d’une question controversée, liée au mode de gouvernance du KRG : régime présidentiel contre système parlementaire.

En revanche, le camp pro-Barzani, dirigé par le PDK, soutient que Barzani devrait rester en fonction jusqu’à l’élection d’un nouveau président par le peuple. L’accent mis sur le peuple est aussi important. Le camp pro-Barzani fait valoir que c’est le peuple qui devrait élire le président tandis le groupe anti-Barzani soutient que ce pouvoir devrait revenir au parlement. Le premier est en faveur d’un système présidentiel alors que le second privilégie un système parlementaire et, par conséquent, une réduction des pouvoirs du président.

La controverse sur la présidence a mis fin à l’optimisme ressenti plus tôt vis-à-vis de l’indépendance du KRG, ce que Barzani a souligné à plusieurs reprises, appelant à un référendum sur le sujet.

Outre ces considérations d’ordre national, le différend a une dimension régionale, jouant comme une rivalité ouverte entre la Turquie et l’Iran pour savoir qui devrait être l’acteur régional principal influençant le KRG en particulier et la politique régionale kurde en général.

Implications régionales

Depuis l’invasion de l’Irak en 2003, la Turquie estime avoir largement perdu l’Irak face à l’Iran. En dépit du malaise initial, elle est parvenue à la conclusion qu’elle doit former une coalition alternative.

Pour ce faire, depuis 2007-2008, la Turquie a tenté d’établir les bases de son influence en Irak en s’appuyant principalement sur deux forces : les sunnites et les Kurdes irakiens menés par Barzani, ce qui restreint l’influence iranienne dans une certaine mesure. Son engagement préalable auprès des Turkmènes, qui constituent une petite mais importante minorité en Irak, n’a pas payé. Mis à part le fait qu’ils soient peu nombreux, la majorité d’entre eux est chiite et ils se sont alliés avec les principaux partis chiites sur le plan politique. En conséquence, ils sont tombés dans la sphère d’influence iranienne.

En outre, la marginalisation des sunnites dans la politique nationale irakienne s’est aggravée avec le temps, à la consternation de la Turquie, sa sphère d’influence s’étant ainsi rétractée. Aujourd’hui, la principale sphère d’influence de la Turquie en Irak se résume essentiellement à la zone dirigée par Barzani. En d’autres termes, la Turquie voit le KRG dirigé par Barzani comme un contrepoids au gouvernement central dominé par les chiites et comme un moyen de limiter l’influence de l’Iran dans le nord du pays.

Sur le plan de la politique intra-kurde, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le PDK se disputent la suprématie et le contrôle sur la politique régionale kurde. Ils s’opposent en Syrie, où le PKK s’est avéré victorieux sur le PDK, et possèdent tous deux des organisations sœurs en Iran.

Le PKK, en étroite collaboration avec l’ennemi juré du PDK, l’UPK, et le nouveau et dynamique Gorran, tente de limiter l’influence du PDK au sein du KRG. Les récits radicalement différents fournis par le PDK et le PKK lors de la libération récente de Sinjar occupée par Daech illustre bien cette grande rivalité. Le PDK a promptement souligné que la libération de la ville était exclusivement l’œuvre des peshmergas irakiens, tandis que le PKK a également affirmé avoir joué un rôle majeur dans cette victoire, ce que le PDK n’était pas disposé à concéder.

Étant donné que le PKK mène une lutte armée contre la Turquie depuis plus de 30 ans, la perspective de sa victoire sur le PDK inquiète Ankara.

Par conséquent, la Turquie s’est empêtrée dans cet imbroglio, après avoir estimé le niveau de danger que pourrait poser le départ de Barzani pour la Turquie.

Alors sous-secrétaire d’État du ministère des Affaires étrangères et actuel ministre des Affaires étrangères turc, Feridun Sinirlioğlu s’est rendu en juillet au Kurdistan irakien, à la fois à Erbil et à Souleimaniye, afin de transmettre le point de vue de la Turquie et de faire du lobbying pour le compte de Barzani à l’apogée de la crise sur l’avenir de la présidence du KRG.

De même, la Turquie a invité les représentants du camp anti-Barzani à Ankara pour les avertir des répercussions possibles du départ de Barzani sur leurs relations. Après les élections législatives du 1er novembre en Turquie, Sinirlioğlu s’est à nouveau rendu au Kurdistan pour y rencontrer le président Barzani et d’autres hauts fonctionnaires.

Perspectives

Les développements locaux et régionaux depuis le début de la crise relative à la présidence kurde laissent à penser que Massoud Barzani restera au pouvoir pour diverses raisons. Tout d’abord, toute offensive visant à éliminer Barzani du bureau présidentiel risque de provoquer une sanglante guerre civile au sein du KRG, rappelant les luttes intestines des années 90. Il est peu probable qu’un quelconque parti ne s’engage sur une telle voie.

Deuxièmement, la Turquie et les États-Unis ont clairement et ouvertement soutenu la prorogation du mandat de Barzani, et l’opposition kurde ne peut guère se permettre de ne pas y prêter attention.

Troisièmement, la lutte contre Daech bénéficie des efforts de Barzani pour rester au pouvoir. Les importants décideurs internationaux s’intéressant à la vie politique kurdes et irakienne sont généralement convaincus que, à un moment où il est absolument indispensable de former une coalition internationale contre Daech, et dans la mesure où la participation locale dans cette lutte est nécessaire, le KRG ne peut se permettre de perdre son temps et son énergie sur des querelles de politique nationale.

Néanmoins, ces facteurs ne signifient pas que Barzani connaîtra un mandat présidentiel sans heurts. L’opposition kurde, éventuellement avec le soutien moral et politique de l’Iran, va maintenir la pression sur Barzani et tenter d’entraver et de réduire son pouvoir et son influence au sein du KRG et de la politique régional kurde.

En d’autres termes, l’opposition kurde à Barzani peut ouvrir la voie à une sorte de « Libanisation » de la politique du KRG, c’est-à-dire que le KRG sera empêtré dans de longs débats sur la présidence avec tous les effets néfastes qui s’ensuivent sur la question de la gouvernance du KRG.

En conséquence, la perspective de l’émergence de facto de zones d’influence et de quasi-souveraineté entre les différents groupes politiques kurdes est réelle, mettant en danger les gains politico-économiques et le prestige international qui ont résulté de la formation d’un gouvernement d’union nationale suite à l’invasion de l’Irak par les États-Unis.

Galip Dalay est directeur de recherche au al-Sharq Forum et chargé de recherche sur la Turquie et les affaires kurdes au Centre d’études d’Al-Jazeera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le leader kurde irakien Massoud Barzani annonce la libération de la ville de Sinjar dans la province de Ninive (au nord de l’Irak) des mains du groupe État islamique au cours d’une conférence de presse organisée à la périphérie de la ville, le 13 novembre 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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