Les liens israélo-égyptiens qui survivront à Sissi
Le mois prochain, Vienne accueillera la 60e conférence générale annuelle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la plus haute instance décisionnaire de l’ONU en matière de surveillance nucléaire.
Au cours des trois dernières décennies, sur une base annuelle, la Ligue arabe dirigée par l’Égypte a déposé à plusieurs reprises une résolution condamnant Israël pour son refus d’adhérer au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et visant à forcer le pays à ouvrir son réacteur nucléaire de Dimona aux inspections de l’AIEA.
La résolution a toujours été rejetée après l’intervention d’une coalition d’États membres dirigée par les États-Unis, venant au secours d’Israël.
Cette année, Israël n’aura probablement pas besoin de l’aide américaine. Selon des sources au sein du ministère israélien des Affaires étrangères et de la Commission israélienne de l’énergie atomique (IAEC), l’Égypte a accepté de ne pas déposer ou faire avancer la résolution, une démarche sans précédent.
La décision surprise du Caire est le résultat de la récente visite à Jérusalem du ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri et de sa rencontre avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou, qui est responsable de l’IAEC et de la politique nucléaire d’Israël.
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Le changement d’état d’esprit de l’Égypte vis-à-vis du programme nucléaire d’Israël n’est qu’un aspect public des relations clandestines beaucoup plus profondes entre les deux pays.
« Paix et tranquillité »
En Israël, les relations avec Le Caire sont définies comme une « alliance stratégique » et leur importance pour les intérêts de sécurité nationale israéliens n’est devancée que par le lien intime entre Israël et les États-Unis.
Le traité de paix entre les deux pays, signé en 1979 avec le parrainage des États-Unis sous le mandat du président égyptien Anouar el-Sadate et qui a survécu à de nombreux bouleversements au cours de l’ère de son successeur, le président Hosni Moubarak, est un élément essentiel de la sécurité nationale d’Israël.
La paix et la tranquillité le long de la frontière de 200 kilomètres entre les deux pays a libéré l’armée israélienne du fardeau représenté par le déploiement de troupes nombreuses dans le sud. Israël a alors pu muscler ses forces pour faire face aux défis sur le front septentrional avec la Syrie et le Liban, mais aussi déployer des troupes pour des missions de police en Cisjordanie occupée.
En ce sens, le président Abdel Fattah al-Sissi est un allié important. Depuis son arrivée au pouvoir il y a trois ans, les liens militaro-sécuritaires entre les deux pays, fondés sur des perceptions et des intérêts communs, ont atteint de nouveaux sommets, beaucoup plus élevés que durant les années Moubarak.
Les deux gouvernements considèrent le mouvement islamiste palestinien du Hamas basé à Gaza comme un ennemi commun. Lors de la dernière guerre entre Israël et le Hamas à l’été 2014, ce sont Sissi et ses généraux qui ont bloqué presque toutes les idées pour mettre fin aux hostilités si celles-ci contenaient le moindre soupçon de réussite pour le Hamas.
Ainsi, il s’agissait plus d’un entêtement égyptien que d’un désir israélien de prolonger la guerre et les souffrances des civils pendant 51 jours.
Depuis la guerre, l’Égypte a rarement ouvert le passage frontalier de Rafah. Le fardeau de l’aide humanitaire et des approvisionnements quotidiens pour Gaza repose sur les épaules israéliennes.
En réalité, Gaza subit bien plus un siège égyptien qu’un siège Israélien. C’est l’Égypte qui refuse l’utilisation de son port d’al-Arich, dans le nord du Sinaï, pour les marchandises et le commerce avec Gaza, laissant au port israélien d’Ashdod le rôle de porte principale pour le transport des marchandises à destination de Gaza.
Un coup de main dans le Sinaï
Mais plus que toute autre chose, les liens intimes entre Israël et l’Égypte sont enracinés dans la guerre contre le groupe terroriste Ansar Baït al-Maqdis, basé dans le Sinaï. Ce groupe, principalement concentré dans le nord de la péninsule, a émergé au crépuscule du régime de Moubarak et prospéré sous la présidence de Mohamed Morsi.
Lorsque Sissi est arrivé au pouvoir, il a déclaré la guerre au groupe qui a depuis prêté allégeance au chef du groupe État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, et changé son nom pour devenir la « Province du Sinaï » de l’État islamique. D’après les agences de renseignement israélienne et égyptienne, le groupe a été soutenu par la branche militaire du Hamas, financée et équipée quant à elle par l’Iran.
La guerre contre l’État islamique dans le Sinaï n’est pas très bien passée auprès des services de sécurité et de l’armée égyptiens. Elle a entraîné la mort d’au moins 500 soldats égyptiens, la déstabilisation du Sinaï et des pertes financières considérables dues à la forte baisse du tourisme.
Pour améliorer et élargir sa guerre, l’Égypte a dû demander de l’aide extérieure. Des agences de renseignement américaine (NSA), britannique (GCHQ) et française ont accepté de lui venir en aide.
L’intérêt de survivre à Sissi
Mais ce n’était pas suffisant. L’Égypte a également demandé aux services de renseignement et à l’armée israéliennes de prêter main forte. Israël a accepté volontiers – non seulement parce que cela permet d’élargir les relations secrètes, mais aussi parce que cela sert les intérêts sécuritaires d’Israël, consistant à déloger de sa frontière méridionale la menace terroriste représentée par l’État islamique.
Selon les services de renseignements égyptiens et israéliens ainsi que le major-général israélien Yoav Mordechai, qui est en charge de la coordination des activités du gouvernement israélien dans les territoires de l’Autorité palestinienne et à Gaza (COGAT), les terroristes de l’État islamique ont tiré par le passé des roquettes contre le port israélien d’Eilat, sur les bords de la mer Rouge, mais aussi infiltré le territoire israélien et attaqué des avant-postes militaires pour le compte du Hamas.
Dans les deux pays, l’assistance israélienne a été tenue confidentielle jusqu’à ce qu’elle soit récemment révélée par des médias internationaux. Selon leurs rapports, l’unité 8200 (SIGINT) des services de renseignement militaire israéliens aide les services de renseignement égyptiens en interceptant et en surveillant des conversations et communications terroristes, tandis que des drones israéliens sont parfois appelés pour participer à des attaques contre les terroristes de l’État islamique dans le Sinaï.
Cette coopération étroite est coordonnée lors de rencontres régulières entre officiers militaires dans les deux pays, ainsi qu’entre agents de renseignement. Les chefs du Mossad ont rencontré occasionnellement leurs homologues égyptiens au Caire ou à Tel Aviv au cours des deux dernières décennies.
Il est naturel de voir le personnel militaire et de renseignement israélien en charge du maintien et du développement des relations suivre de très près les rapports portant sur les problèmes économiques, sociaux et politiques auxquels Sissi est confronté.
S’il est contraint de démissionner par une pression intérieure ou extérieure, ce serait une grande perte pour Israël.
Cependant, les responsables israéliens sont également confiants quant au fait que si Sissi démissionne, celui qui le remplacera – très probablement un autre homme issu de l’armée ou soutenu par l’armée – poursuivra plus ou moins cette même politique.
La guerre contre l’État islamique dans le Sinaï revêt assurément un grand intérêt pour l’Égypte.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des gardes-frontières égyptiens (à droite) sont postés sur une tour de guet tandis que leurs homologues israéliens supervisent la construction d’une barrière le long de la frontière israélo-égyptienne, près de la station balnéaire d’Eilat bordant la mer Rouge, en février 2012 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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