Comment les médias occidentaux se sont trompés sur les manifestations en Iran
Depuis que des protestations éparses ont éclaté en Iran la semaine dernière, le président américain Donald Trump a pris le temps dans son agenda chargé, occupé qu’il est à menacer la Corée du Nord d’anéantissement nucléaire, de bombarder Twitter de qualifications éloquentes du genre « L’Iran, l’État numéro un de la terreur commanditée ».
Dans les grandes lignes, voilà comment Trump analyse la situation : « Le peuple iranien agit enfin contre le régime iranien brutal et corrompu. Les gens n’ont pas grand-chose à manger, subissent une inflation importante et leurs droits ne sont pas respectés. Les États-Unis observent ! ».
Une vue réductrice
Peu importe que les Iraniens pro-gouvernement organisent d’énormes manifestations. Peu importe, puisqu’on parle de nourriture, que les États-Unis soutiennent en ce moment-même la famine forcée au Yémen imposée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – deux entités qui, visiblement, ne nécessitent pas autant qu’on les « observe ».
Comme d’habitude, les consciencieux médias occidentaux ont laborieusement œuvré à maintenir une vision réductrice de l’Iran, un pays longtemps resté dans le viseur des États-Unis pour son insistance à défier les dessins impérialistes pour la région.
Dans un article publié le 30 décembre sur le site Jadaliyya, Eskandar Sadeghi-Bouroujerdi, un historien de l’Iran contemporain basé à Oxford, relève la vitesse à laquelle les observateurs occidentaux concernés s’y collent joyeusement, s’emparant du moindre gazouillis de mécontentement public dans la République islamique.
« En l’espace de 24 heures [à partir du début des manifestations], presque tous les grands médias occidentaux ont eu tendance à assimiler les expression légitimes de détresse socio-économique et les revendications pour une plus grande transparence dans la gouvernance à une question de ‘’changement de régime’’ ».
Les manifestations des Iraniens contre le chômage ou d’autres doléances domestiques légitimes, poursuit Sadeghi-Bouroujerdi, sont invariablement décrites comme « une question fondamentale de légitimité pour le système, laquelle ne pourra être résolue que lorsque le système en question sera entièrement balayé. »
Et il y a, semble-t-il, différentes manières de réussir à balayer les systèmes.
Une approche possible est évoquée dans The Iran Wars, un livre écrit par l’ancien correspondant du Wall Street Journal, Jay Solomon, qui compile certains détails historiques concernant la collaboration secrète d’Israël avec la célèbre Organisation des moudjahidine du peuple iranien (MEK), classée comme organisation terroriste par les États-Unis jusqu’en 2012.
Agitation néoconservatrice
Dans la période préparatoire à l’invasion de l’Irak en 2003, écrit Solomon, les services de renseignements et de sécurité israéliens s’étaient inquiétés du fait que l’Iran était injustement ignoré. « Ils ne plaisantaient pas si subtilement quand ils disaient que l’administration Bush avait mal interprété leurs commentaires et se préparait à attaquer le mauvais pays du Moyen-Orient, dont le nom commençait par la lettre I ».
C’est alors qu’entre en scène Alireza Jafarzadeh, que Solomon définit comme « le représentant américain » de l’OMPI à l’époque, et qui a obligeamment médiatisé le spectre d’un Iran nucléaire au profit de son public à Washington.
C’est le même Jafarzadeh qui est apparu début janvier sur Fox News en appelant, à nouveau, à la lumière des manifestations, à un changement de régime en Iran soutenu par les États-Unis.
Et alors que la prolifération de radotages, sur Fox, est normale, le journal de référence américain, a lui aussi joué sa part en fournissant un piédestal à l’agitation néoconservatrice.
Dans une tribune écrite dans le New York Times, Reuel Marc Gerecht, chercheur principal à la Foundation for Defence of Democracies, un groupe pro-israélien, salue la série de tweets de Trump au sujet des manifestations et prescrit l’apport par les États-Unis d’un « soutien rhétorique et matériel » américain pour les Iraniens qui demandent dans les rues la « mort » de leurs dirigeants.
Gerecht conclut que « la pire de toutes les choses que les États-Unis puissent faire au peuple iranien est de garder le silence et de ne rien faire ».
Pour sûr, le refus américain de garder le silence en Iran s’est toujours traduit par des choses merveilleuses pour la population du pays, comme l’a montré le coup d’État de 1953 orchestré par la CIA contre le Premier ministre démocratiquement élu, Mohammad Mossadegh.
Le silence assourdissant des États-Unis
En revanche, dans d’autres régions du monde que les États-Unis chérissent davantage, le silence américain a été positivement assourdissant. À Bahreïn, par exemple, pays qui accueille la Cinquième flotte de l’US Navy, la répression mortelle contre les manifestants chiites et l’étouffement des droits de l’homme par la monarchie lui ont valu non pas des railleries de Trump sur Twitter indiquant que « les États-Unis observent », mais plutôt des ventes d’armes.
De plus, le massacre régulier de Palestiniens et autres atteintes à la dignité humaine commis par Israël ont rapporté à l’État d’apartheid des milliards et des milliards de dollars d’aide américaine annuelle, tandis que les formes palestiniennes de protestation contre la brutalité sont criminalisées à tous les niveaux.
Le cas d’Ahed al-Tamimi, la vaillante adolescente de 16 ans actuellement emprisonnée pour avoir giflé un soldat israélien après que son cousin a été touché au visage par un tir de balle en caoutchouc, en est une parfaite illustration.
Si Tamimi était iranienne, on pourrait facilement imaginer les médias occidentaux faire des pieds et des mains pour se livrer à un hommage passionné.
Aujourd’hui, alors que des dizaines de milliers d’Iraniens seraient descendus dans les rues pour soutenir le gouvernement, de nombreux médias semblent réticents à laisser tomber le discours convenu, comme le suggèrent des gros titres tels que « Les protestations en Iran semblent se calmer – mais elles sont un signe que le régime s’affaiblit ».
Dans le même temps, les faits sur le terrain contredisent depuis longtemps la simplification excessive et dévouée du panorama iranien faite par les médias.
Au cours de mes récents voyages en Iran, j’ai rencontré beaucoup d’Iraniens qui, manifestement, n’ont pas été informés qu’ils ont besoin d’un « soutien rhétorique et matériel » des États-Unis pour concrétiser leurs aspirations individuelles ou nationales.
Le peuple iranien
À Ispahan, par exemple, à la fin de l’année 2016, j’ai discuté avec Hadi, un libraire qui, malgré son enthousiasme limité pour le concept de théocratie, avançait que le gouvernement iranien était au moins mieux intentionné que le gouvernement américain lorsqu’il s’agissait de répondre aux besoins publics fondamentaux.
L’année précédente, à Téhéran, j’ai échangé avec le père de Mostafa Ahmadi Roshan, un doctorant et scientifique nucléaire tué par une voiture piégée en 2012, à l’âge de 32 ans. Selon son père, qui méprise le gouvernement américain mais pas son peuple, comme il me l’a indiqué, Ahmadi Roshan croyait en un programme d’énergie nucléaire pacifique en tant que moyen d’assurer la souveraineté iranienne.
Quoi qu’il en soit, ces hommes ne représentaient clairement pas « le peuple iranien » que les États-Unis savent si bien détecter.
Dans des propos relayés par Reuters le 2 janvier, la porte-parole du département d’État Heather Nauert a réitéré le soutien des États aux Iraniens face aux restrictions contre les réseaux sociaux en Iran. « Quand une nation réprime les réseaux sociaux, Google ou encore des sites d’information, nous posons la question suivante : "De quoi avez-vous peur ?" », a-t-elle déclaré.
Bien évidemment, la même question pourrait être posée au pays qui emprisonne et torture les lanceurs d’alerte coupables d’avoir révélé les atrocités commises par les États-Unis – ou qui menace ses citoyens d’une peine d’emprisonnement de plus de 60 ans pour avoir protesté contre l’investiture de Trump.
En revanche, tout individu sensé devrait prendre peur en constatant que le président américain n’est censuré ni sur les réseaux sociaux, ni dans la vraie vie et que des commentateurs obséquieux dans les médias traditionnels continuent de prendre plaisir à défendre et à justifier la violence américaine à l’étranger.
La foule favorable à un changement de régime peut jurer tout ce qu’elle souhaite que « la pire de toutes les choses que les États-Unis puissent faire au peuple iranien est de garder le silence et de ne rien faire ». Mais il y en a beaucoup qui souhaitent voir les États-Unis rester assis et se taire.
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des étudiants iraniens courent pour se protéger des gaz lacrymogènes lors d’une manifestation à l’université de Téhéran, le 30 décembre 2017 (AFP)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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