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Les États-Unis de Trump

Le chemin de Trump vers la victoire nous dit tout ce qu’il y a à savoir de ce que laisse présager son séjour à la Maison Blanche – excepté la façon de l’expliquer à nos enfants

C’est réel. Vous ne l’avez pas imaginé dans un cauchemar : Donald J. Trump, connu pour être un tripoteur, est devenu 45e président des États-Unis d’Amérique.

Chaque spécialiste de ce côté de l’Atlantique et au-delà réfléchit désormais d’arrache-pied afin de comprendre ce qui restera sans aucun doute comme l’une des plus grandes victoires imprévues dans le folklore politique américain.

Aujourd’hui, les États-Unis ne sont plus le pays dans lequel mes parents nous ont amenés, mon frère et moi, depuis l’Égypte il y a plusieurs dizaines d’années. C’est certain. Cette Amérique-là n’avait aucune difficulté à accueillir deux jeunes garçons qui ne parlaient pas un mot d’anglais, mais qui venaient avec leur famille en quête de liberté de pensée et d’une éducation supérieure. Aujourd’hui, des dizaines d’années plus tard, Trump parvient au pouvoir sur les ailes d’une politique anti-immigration.

Tandis que je couche ces mots sur le papier, deux dictateurs en particulier célèbrent leur grande chance : le russe Vladimir Poutine et Abdel Fattah al-Sissi. Dire que la victoire de Trump était inattendue est un euphémisme de taille.

Bien qu’il ait été courtois dans son discours de victoire, des mots ne peuvent effacer et n’effaceront pas des mois de rhétorique clivante, sexiste et raciste par un homme qui pourrait se révéler être le président le plus mal préparé à cette fonction de l’histoire des États-Unis. Son chemin vers la victoire repose, de manière négative, sur un triolisme toxique : race, sexe et genre.

Une face cachée réprimée

Un écrivain pour un journal local de New York a saisi l’humeur de dizaines de millions d’Américains de couleur quand il a dit que Donald Trump « présiderait les États bigots d’Amérique ». Ces mots reflètent la conviction que ces élections reflètent une vérité que beaucoup n’ont que chuchotée pendant des décennies : le pays est divisé en deux.

L’Amérique projetée dans le monde est celle de New York, San Francisco et Chicago, mais sa face cachée, le sud et le Midwest où Trump a dominé la nuit dernière a une tonalité plus abominablement exclusive et nationaliste.

Des militants de l’Organisation nationale pour les femmes (NOW) manifestent devant la tour Trump le mois dernier (AFP)

Dans les endroits où la « race » est mentionnée dans des termes racistes datant d’avant la guerre civile, les hommes blancs non-instruits qui se sentent ignorés d’une façon ou d’une autre dans une nation majoritairement blanche, ont fait président un gars de l’immobilier aimant dégrader les femmes.

Trump ne s’arrêta pas là. Défendant son projet d’interdiction concernant les musulmans, un faux pas évidemment néo-fasciste qui ne fait que renforcer l’(es) État(s) islamique(s) du monde, Trump a osé se comparer à Franklin D. Roosevelt et à sa plus grande erreur d’interner les Nippo-Américains.

Personne n’oubliera ses remarques sur le Mexique et « comment ils envoient des violeurs… et la drogue ». Penser que les Latino-américains, qui se comptent en millions, effaceront leur mémoire avec le lever du soleil d’aujourd’hui ? Cette « logique » a été importante et cohérente tout au long de la campagne décisive de Trump et il a écorné le vernis de la convenance et du politiquement correct de la moitié du pays.

Croire à la poudre de perlimpinpin

Plutôt que de dire clairement ce qui va rendre sa grandeur à l’Amérique (« Make America great again »), Trump est un homme qui excelle à vendre la division des classes et qui dit : nous ne sommes pas eux – comme si, miraculeusement, des dizaines de millions d’Américains démocrates appartenaient tous à l’élite.

Les politiciens, les intellectuels, les journalistes de Washington et l’ensemble du parti démocrate sont devenus l’ennemi afin de se faire bien voir des ouvriers blancs. Trump a joué avec les étincelles de la peur et de la colère, amorçant à la fois sa machine électorale et sa victoire.

Il n’est pas nouveau que les politiciens sont subsumés par le cynisme, mais Donald Trump a atteint de nouveaux sommets – ou en l’occurrence de nouveaux abîmes. Ce n’était pas une surprise lorsqu’ABC News a annoncé, à maintes reprises, que Trump bénéficiait d’un soutien écrasant de 72 % chez les hommes blancs sans éducation supérieure contre 28 % pour Hillary Clinton.

Les faits étaient peu importants dans un tel contexte. Seulement le fait qu’il « s’adressait à des gens auxquels on ne s’était pas adressés ».

On devrait donner du crédit à un milliardaire qui, étonnamment, a donné l’impression à la classe ouvrière qu’il était l’un d’eux. C’est une ficelle que peu, si ce n’est personne, ont tiré avec autant de succès dans les annales de la politique américaine.

En dépit de ses relations d’affaires qui révèlent comment ce qui le motivait était le fait de s’occuper des États-Unis de Trump, et non des intérêts des États-Unis d’Amérique, les électeurs blancs ont cru à sa poudre de perlimpinpin et l’ont fait avec une verve sans précédent.

Un fond autoritaire

Le choix de Trump pour ses partenaires étrangers, à savoir Sissi et Poutine, montre un homme amoureux, non pas de la démocratie américaine, mais d’une autocratie à peine déguisée et d’une dictature flagrante.

Son fond dictatorial, comme en témoignent de nombreux flirts avec la violence contre les femmes, qu’elle soit verbale ou physique, cherche la domination sur les femmes à chaque occasion. Pour le nouveau président élu, comme le montrent les preuves, les femmes sont considérées comme des biens ou un objet à admirer ou à saisir.

Le mois dernier, l’avocate Gloria Allred a tenu une conférence de presse avec Summer Zervos, une ancienne candidate de la saison 5 de l’émission de téléréalité The Apprentice, qui a accusé Donald Trump de comportement sexuel inapproprié (AFP)

Quand il s’agit d’égalité, il quitte la sphère de la logique et frôle fréquemment la justification illogique de l’agression sexuelle. En 2013, il a justifié sur son mur d’expression préféré, Twitter, les 26 000 agressions sexuelles non signalées dans l’armée qui avaient entraîné seulement 238 condamnations : « À quoi s’attendent ces génies quand ils mettent des hommes et des femmes ensemble ? », a-t-il écrit.

Prenez-le comme vous le souhaitez, mais tout homme qui raconte à un « groupe de jeunes filles de 14 ans » qu’il sortirait avec elles dans quelques années a un sens déformé de ce qui est acceptable dans la société civilisée et de ce qui ne l’est pas.

Il ne fait aucun doute que, tôt ce matin, alors que beaucoup d’Américaines vont se coucher, elles doivent remettre en question la raison d’être d’un tel homme à une fonction aussi élevée. Un homme qui, à ce jour, est accusé de multiples agressions sexuelles, plus d’une douzaine.

Des dictateurs qui se ressemblent

Tout discours lié à Trump ne peut se conclure sans mettre en lumière ses minimes, et d’aucuns pourraient argumenter qu’il n’en a aucune, références en matière de politique étrangère.

Lorsque vous insultez systématiquement les musulmans, vous courez le risque évident d’insulter 1,2 milliard de personnes dans le monde et de compliquer grandement les objectifs de la politique étrangère américaine.

Quelques minutes après l’élection de Trump, Jamal Khashoggi, un célèbre intellectuel saoudien et une voix du régime, a lancé le premier coup. Peut-être, parlant des Arabes, a-t-il déclaré que « nous pouvons mettre nos différences de côté… nous aurons besoin de cela car nous sommes confrontés à un président américain qui nous considère tous comme adversaires et comme ‘‘du cash’’ ».

Bien sûr, Poutine et Sissi, les jumeaux de Trump en politique étrangère et ses cousins idéologiques, ont accueilli le président nouvellement élu à bras ouverts.

Le président mexicain Enrique Pena Nieto et Donald Trump se serrent la main après une rencontre dans la ville de Mexico en août dernier (AFP)

Mais pouvez-vous imaginer la réaction du président mexicain ? Comment Enrique Peña peut-il ouvrir une nouvelle page quand son homologue américain insiste, répétant à chaque occasion : « Ne vous inquiétez pas. Nous allons construire le mur », faisant référence à une barrière physique à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, destinée à bloquer les « violeurs » mentionnés un peu plus tôt ?

La litanie de difficultés que Trump a déjà créées avec ses remarques irresponsables comme remettre en question le rôle américain dans l’OTAN ou en suggérant qu’il peut accepter l’intervention militaire russe en Ukraine ne sont que la partie émergée d’un iceberg dangereux.

Il ne fait aucun doute que des questions extrêmement dures seront et devront être posées sur ce qui a poussé Trump à la présidence de la plus grande puissance du monde, bien que cela est clair : il a réussi à se dépeindre comme un défenseur du changement et les Américains ont répondu à ce message.

Il a réussi là où le message beaucoup plus progressiste de changement de Bernie Sanders a échoué. Il faut laisser aux historiens le soin de débattre des véritables raisons derrière l’échec de Bernie, qu’il s’agisse d’une conspiration du parti ou d’un manque de réalisme d’un rêveur anti-establishment, mais le cynisme, les clivages, la colère et la peur ont triomphé comme souvent.

Ce qui nous attend, au moins pour aujourd’hui, c’est de faire en sorte que ma femme et moi trouvions la réponse à une question troublante de la plus grande importance : que dire maintenant à nos enfants ?

Amr Khalifa est journaliste indépendant et analyste. Il a récemment été publié dans Ahram OnlineMada MasrThe New ArabMuftah et Daily News Egypt. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cairo67unedited.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le nouveau président républicain Donald Trump prononce son discours de remerciement sous l’œil du vice-président Mike Pence pendant la nuit des élections au New York Hilton Midtown Hotel, tôt ce mercredi 9 novembre 2016, à New York (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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