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L’impact de la guerre sur l’eau syrienne est si vaste que vous pouvez le voir depuis l’espace

Alors que de nombreux Syriens luttent pour satisfaire leurs besoins élémentaires en eau, des chercheurs affirment que l'agriculture dans le sud de la Syrie a décliné de façon catastrophique

Les conflits pour l'eau s'intensifient en Syrie. Une bataille pour le contrôle de Wadi Barada, une zone tenue par les rebelles au nord-ouest de Damas où se trouve la principale source d’eau de la capitale, menace l'approvisionnement de cinq millions de personnes dans la capitale et les régions avoisinantes.

Dans le nord, les forces kurdes syriennes disent se rapprocher du barrage de Tabqa, le plus grand barrage de Syrie et un bastion clé de l'État islamique (EI).

À Alep, autrefois la ville la plus peuplée du pays, des années de combats ont ruiné l'infrastructure hydraulique et empoisonné les puits.

Mais alors que les combats continuent et qu'un nombre croissant de personnes luttent pour satisfaire leurs besoins en eau les plus élémentaires, des changements plus profonds dans l'hydrologie syrienne se produisent.

Visible depuis l'espace

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Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l'Université de Stanford en Californie a révélé que la guerre en cours a provoqué un changement spectaculaire dans le débit des rivières et la quantité d'eau à disposition tant en Syrie qu'en Jordanie voisine.

L'étude, centrée sur le bassin hydrographique de Yarmouk, qui englobe des régions du sud de la Syrie et du nord de la Jordanie, indique que les changements intervenus dans les pratiques de gestion de l'eau en Syrie ces dernières années sont si vastes qu'ils peuvent être vus depuis l'espace.

Les chercheurs, dans l’impossibilité de recueillir des données sur le terrain à cause de la guerre, ont utilisé des images satellitaires traitées dans Google Earth pour analyser et mesurer l'utilisation de l'eau, son stockage et les débits des rivières de la région.

Des Syriens remplissent d'eau des récipients en plastique à une fontaine publique de Damas, le 3 janvier 2017 (AFP)

Ils ont constaté un déclin catastrophique de l'activité agricole dans le sud de la Syrie, avec une diminution de près de 50 % de la quantité de terres irriguées.

L'étude a également estimé que l'eau stockée dans les onze plus grands réservoirs contrôlés par la Syrie dans le bassin du fleuve Yarmouk avait diminué de moitié au cours des trois dernières années.

« La crise syrienne a entraîné une réduction des terres agricoles dans le sud de la Syrie, un déclin de la demande syrienne en eau d'irrigation et un changement spectaculaire dans la manière dont les Syriens gèrent leurs réservoirs », a expliqué Steven Gorelick, professeur à Stanford's School of Earth, Energy & Environmental Sciences et l'un des auteurs de l'étude.

Une grande partie du bassin du Yarmouk a, à un moment ou à un autre au cours du conflit syrien, été repris par les forces rebelles. L'étude indique que les rebelles ont manqué de l'expertise nécessaire pour gérer le système d'approvisionnement en eau de la région : les réservoirs, en particulier, ont été mal gérés voire abandonnés.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que plus de 369 000 personnes – la plupart des agriculteurs – ont été contraintes de quitter la partie syrienne du bassin de Yarmouk au cours des dernières années en raison de la guerre, bien que ce chiffre n’inclue pas le grand nombre de réfugiés non enregistrés qui ont migré soit vers les zones urbaines de la Syrie soit en Jordanie.

Aubaine pour la Jordanie

L'étude de Stanford indique que, d'une certaine façon, la Jordanie – qui depuis de nombreuses années se dispute avec la Syrie pour avoir une part plus importante des ressources en eau du bassin du Yarmouk – a profité du déclin brutal de l'utilisation de l'eau dans le sud de la Syrie.

La quantité d'eau qui traverse la frontière jusqu’en Jordanie – l’un des pays les plus pauvres en eau – a augmenté de plus de trois fois au cours des trois dernières années

Les chercheurs expliquent qu'en conséquence de la fin d'une sécheresse prolongée dans la région Syrie-Jordanie et de l'abandon massif de l'agriculture irriguée dans le sud de la Syrie, la quantité d'eau qui traverse la frontière jusqu’en Jordanie – l’un des pays les plus pauvres en eau – a augmenté de plus de trois fois au cours des trois dernières années.

Cependant, l'étude souligne que l'avantage pour la Jordanie est limité – largement compensé par les besoins en eau des centaines de milliers de réfugiés syriens vivant actuellement en Jordanie.

Des réfugiés syriens tentent de franchir la frontière avec la Jordanie en janvier 2016 (AFP)

« C'est une assez bonne nouvelle pour la Jordanie, mais ce n'est pas un gros bonus par rapport à ce que la Jordanie a dû abandonner et sacrifier pour les réfugiés », a déclaré Gorelick, de Stanford.

« Ce flux transfrontalier ne compense même pas l'approvisionnement en eau des réfugiés. »

Une mauvaise gestion, pas le changement climatique

Alors que la guerre civile en Syrie a conduit à de nombreux problèmes d'approvisionnement en eau, les analystes soutiennent que le secteur souffre d'une très mauvaise gestion depuis des années, voire des décennies.

« Alors que le changement climatique a pu contribuer à aggraver les effets de la sécheresse, exagérer son importance est une diversion inutile face au problème central : la mauvaise gestion à long terme des ressources naturelles »

- Fransesca De Chatel, experte des ressources en eau au Moyen-Orient

Durant l'ère d’Hafez al-Assad, les agriculteurs ont bénéficié de subventions substantielles en carburant et en engrais dans le but non seulement d'acheter une bonne volonté politique dans les campagnes, mais aussi de rendre le pays autosuffisant pour de nombreux produits. La terre a été surexploitée et les ressources en eau ont été épuisées dans de nombreuses zones.

Bachar al-Assad s'est montré beaucoup plus concentré sur les villes que son père, réduisant ainsi de nombreuses subventions au secteur agricole et favorisant des programmes économiques orientés vers un marché de type occidental, avec des conséquences souvent graves pour les zones rurales.

Bien que certains commentateurs aient affirmé qu'une sécheresse prolongée et sévère dans la région – causée en grande partie par le changement climatique – a été une cause majeure du conflit syrien, d'autres analystes soutiennent que l’agitation dans les campagnes était due davantage à l'échec chronique des politiques agricoles successives du gouvernement, à l'inefficacité bureaucratique et à la corruption systémique.

Des Syriens passent devant une fontaine à sec alors que les pénuries laissent plus de 5 millions de personnes avec peu ou pas d'eau courante (AFP)

Francesca de Châtel, experte des ressources en eau au Moyen-Orient, a mené une étude de terrain approfondie en Syrie rurale avant le conflit et affirme que la mauvaise gestion des ressources par les Assad est fondamentale pour comprendre les origines du conflit.

« Alors que le changement climatique a pu contribuer à aggraver les effets de la sécheresse, exagérer son importance est une diversion inutile face au problème central : la mauvaise gestion à long terme des ressources naturelles », a déclaré de Châtel.

« De plus, que l’on se focalise de manière exagérée sur le changement climatique détourne la charge de la responsabilité de la dévastation des ressources naturelles syriennes par les gouvernements syriens successifs depuis les années 1950 et permet au régime Assad de faire porter à des facteurs externes la responsabilité de ses propres échecs. »

- Kieran Cooke, ancien correspondant à létranger pour la BBC et le Financial Times, collabore toujours avec la BBC et de nombreux autres journaux internationaux et radios.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des Syriens remplissent des récipients en plastique avec de l'eau dans une fontaine publique de Damas qui est la principale source deau potable pour des millions de personnes dans la capitale et les régions avoisinantes, le 3 janvier 2017 (AFP)

Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.

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