L'industrie pétrolière libyenne : phœnix ou momie ?
Avant le soulèvement contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye exportait chaque jour environ 1,6 million de barils de pétrole, embarqués de six terminaux d'exportation : Az-Zawiyah, Sidra, Ras Lanouf, Brega, Zueitina et Al-Hrega.
Cette production a fortement diminué depuis 2013, année où Ibrahim al-Jathran, chef de la Région Centrale de la Petroleum Facitilities Guard (PFG), a annoncé la fermeture des quatre ports sous son contrôle, au motif d'allégations de corruption dans l'industrie pétrolière.
À la suite de cette fermeture, qui a privé le réseau d’environ 900 000 barils par jour, le terminal d'exportation d’Az-Zawiyah a également fermé, pris en plein conflit entre des milices locales pour le contrôle des champs pétrolifères du sud. La production libyenne se situe actuellement à 330 000 barils par jour, mais la National Oil Corporation du pays a annoncé ce mois-ci qu'elle a pour objectif de tripler sa production avant la fin de l'année. Cependant, de nombreux défis restent à relever avant que ces ambitions se réalisent.
Depuis la décision des Saoudiens de paralyser la capacité de l'OPEP de réduire la production et de contrôler l'approvisionnement du marché, les prix du baril de pétrole ont chuté : restés longtemps stables à 115 dollars, ils sont tombés au prix moyen, et douloureux, de 20 dollars. Cette surabondance de l'offre s’est pérennisée au-delà des projections des analystes les plus pessimistes, soutenue par l’existence de réserves plus importantes que prévu en gaz de schiste, ainsi que la levée des sanctions contre l'Iran et une augmentation historique de la production de l'Irak. Cela a durement touché l'industrie pétrolière, provoquant des centaines de milliers de licenciements, et menant plusieurs entreprises à la faillite. La volatilité est un thème récurrent sur le marché du pétrole depuis deux ans.
Des sueurs froides suite au Brexit
Depuis le référendum sur le Brexit, le pétrole a cédé du terrain et les prix ont chuté de plus de 20 % : de 51 dollars, le 9 Juin, il flirte cette semaine avec les 40 dollars, malgré une baisse des stocks de pétrole de quelques 20 millions de barils au cours des 10 dernières semaines. Cette baisse des prix a été suscitée par les craintes des marchés de voir un ralentissement de l'économie mondiale suite au succès du Brexit. On craignait aussi fortement que la surabondance de l'offre persiste avec la diffusion d’informations en provenance de Libye : le gouvernement nouvellement nommé, soutenu par l'ONU, a signé un accord avec le PFG basé à Ras Lanouf en vue de mettre fin aux trois ans d’inactivité des terminaux pétroliers de la Région Centrale de Libye et de bientôt reprendre ses exportations, hypothèse extrêmement optimiste.
Techniquement, les dommages causés à l'infrastructure pétrolière du pays au cours des deux dernières années ont provoqué deux principaux goulets d'étranglement. Tout d'abord, l'arrêt de la production de pétrole a eu, en amont, un impact négatif sur la capacité globale, car les champs pétrolifères sont restés inactifs pendant trois ans. La corrosion a eu le temps de s’insinuer jusqu'au cœur des installations, outre leur moindre productivité en raison de l'absence de forages et l’arrêt des opérations de maintenance nécessaires à conserver les rythmes de production antérieurs.
Le deuxième goulot d'étranglement se situe au niveau des terminaux d'exportation. En décembre 2014, une coalition de milices, basées à Misrata, a attaqué Assidra et Ras Lanouf (les plus grands terminaux pétroliers du pays), pour tenter de prendre le contrôle de cette région cruciale. Cette opération, qui a duré 75 jours, a totalement détruit sept citernes de pétrole à Assidra, et causé des dégâts supplémentaires au reste des installations. Un an plus tard, le groupe État islamique a attaqué le même port pétrolier et détruit quatre citernes supplémentaires, ce qui, tant que ces dégâts ne sont pas réparés, réduit la capacité productive du pays.
Les grandes compagnies pétrolières fuient
La guerre civile en Libye, en cours depuis mi-2014, combinée à la crise pétrolière mondiale, qui a fait chuter les marchés à la fin de la même année, a poussé la plupart des compagnies pétrolières étrangères à fuir le pays. Halliburton, Schlumberger, Baker Hughes et Weatherford ont tous soit complètement cessé leurs activités, soit licencié la grande majorité de leurs employés. Ils sont peu susceptibles de revenir tant que la situation sécuritaire et financière du pays ne montre pas de signes de stabilité.
Schlumberger a récemment envoyé un signal à ses clients du monde entier en se désengageant du Venezuela, puisque la compagnie pétrolière d'État, PDVSA, était en rupture de paiement en raison d'une pénurie de liquidités. Pour la même raison, il est peu probable que les entreprises internationales de services pétroliers acceptent de voir enfler leurs créances si elles restent en Libye jusqu'à ce que le pays montre des signes réels de stabilité politique et financière.
Plus important encore, le morcellement continu des actifs pétroliers entre rivaux libyens rend pratiquement impossible le fait de relancer durablement la production pétrolière du pays sans obtenir un consensus qui mettrait un terme tant à la crise politique qu’aux conflits militaires du pays, et rendrait sa stabilité au pays.
La Mission d'appui des Nations Unies en Libye, MANUL, a mené une négociation longue de 15 mois entre les factions de Libye. La négociation de décembre dernier s’est terminée sur un accord politique entre les partis pour former un gouvernement d’Union nationale générale (General National Accord, GNA). Toutefois, l'accord n'a été approuvé par aucune des deux factions en négociation à Tripoli et Tobrouk, et le pays est désormais divisé entre trois gouvernements.
Tandis que le GNA a maintenant le contrôle sur les installations d'exportation par l’intermédiaire du PFG, le gouvernement basé à Tobrouk revendique le contrôle des champs pétrolifères, forte de son bras armé, l'Armée nationale libyenne. En Libye occidentale, une milice tribale a fermé le pipeline entre les champs pétroliers du sud-ouest et le port d'exportation au nord, également du fait de rivalités pour le contrôle du territoire.
Compte tenu de toutes ces petites pièces du puzzle libyen, il est très peu probable que le pays soit en mesure de retrouver ses précédents niveaux de production de pétrole sans consensus politique entre les partis sur les principaux éléments du conflit. La crise économique, conjuguée à la pression que fait peser la chute libre de la valeur du dinar libyen dans une économie importatrice, ne semble pas faire bouger les lignes entre les partis en conflit. Perdre le contrôle des ressources pétrolières fait encourir le risque de perdre non pas une bataille mais toute la guerre, et aucun parti se rendra sans combattre.
- Ahmed Ben-Mussa, expert en industrie de l'énergie, a travaillé pendant 10 ans pour Halliburton au Moyen-Orient et aux États-Unis, en tant que directeur de développement commercial. Il a également travaillé au Programme alimentaire mondial. Ahmed est titulaire d'un MBA de l'IE Business School à Madrid.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : près de Ras Lanouf, un combattant rebelle regarde l’épaisse fumée qui se dégage d’une raffinerie (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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