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Maroc : la crise qui dure ne gêne réellement que le PJD

Jamais le Maroc n'avait connu une telle crise politique. Plus de trois mois après la victoire du PJD aux élections législatives, Abdelilah Benkirane n'a toujours pas trouvé de consensus pour former un nouveau gouvernement

Plus de trois mois après les élections législatives du 7 octobre et la victoire du Parti de la justice et du développement (PJD), le Maroc attend toujours la mise en place d’un nouveau gouvernement.

Depuis le 10 octobre dernier et sa désignation par le chef de l’État pour construire un exécutif, Abdelilah Benkirane, le « patron » du PJD avance, recule, stagne, redémarre sans passer la bonne vitesse. Le 8 janvier, dans l’impossibilité de former une nouvelle majorité, il a même annoncé mettre fin aux négociations en cours avec le Rassemblement national des indépendants (RNI) et le Mouvement populaire (MP), deux partis qui s’étaient dits disposés à poursuivre les consultations à condition qu’ils soient associés à deux autres partis : l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et l’Union constitutionnelle (UC).

Pour rappel, les discussions avaient été bloquées pendant près de trois mois sur la participation de l’Istiqlal (parti arrivé en 3e position aux législatives), allié à de Benkirane, à laquelle s’opposait le RNI d’Aziz Akhannouch.

Proche du roi, ministre apprécié mais craint, homme d’affaires redouté, Aziz Akhannouch a été accusé de bloquer la formation du prochain gouvernement (AFP)

On n’y comprend (presque) plus rien ! Mais pour tenter d’y voir plus clair, il semble nécessaire de revenir au contexte ambiant dans lequel s’est tenu le scrutin législatif. Peu attractif, sans réel suspense, ne mobilisant que faiblement les électeurs… Comme si dans l’air du moment, l’élection ne devait pas revêtir d’intérêt. Un non événement.

Du coup, la crise politique qui dure et qui pourrait encore durer ne gêne réellement pas grand monde si ce n’est le PJD et son chef de file. Et ce, pour une raison majeure : Benkirane veut absolument être à la hauteur de la mission qui lui a été confiée et ainsi ne pas décevoir Mohammed VI. Ce qui en dit long sur la capacité du chef du PJD à gérer des rapports de force, lui, qui nous a habitués durant ses cinq dernières années à se montrer à son avantage dans les bras de fer.

Depuis trois mois, le pays est dirigé par un gouvernement réduit qui gère les affaires courantes et se réunit pour voter (par décrets) les crédits nécessaires au fonctionnement de l’administration. Aucune décision n’a été prise et le projet de loi de finances 2017 rédigé et déposé, fin octobre 2016, par l’exécutif sortant, pourrait être réorienté par le prochain gouvernement. Ce qui n’est pas sans inquiéter le milieu des affaires.

Malgré ses « efforts » y compris en cette période de crise politique, le patron du PJD n’est jamais arrivé à convaincre ceux qui ne l’ont jamais apprécié, ni lui ni son système de pensée idéologique

Pendant les cinq années au pouvoir, Abdelilah Benkirane s’est beaucoup plus attaché à démontrer sa fidélité et sa loyauté au système qu’à mener les réformes nécessaires pour le pays comme le redressement économique ou la mise à niveau du système éducatif.

Malgré ses « efforts » y compris en cette période de crise politique, le patron du PJD n’est jamais arrivé à convaincre ceux qui ne l’ont jamais apprécié, ni lui ni son système de pensée idéologique.

Celui qui avait le vent en poupe en plein Printemps arabe, qui avait tenu tête au pouvoir lors des premiers mois de la mandature 2011/2016 – nominations ministérielles, réforme du pôle audiovisuel public – se retrouve cinq ans après à résister pour rester… debout. 

Situations rocambolesques

Seul appel d’air pour lui, sa formation politique, qui lui voue respect, fidélité et solidarité, comme l’attestent les récents communiqués du partis émis par le secrétariat général du parti. 

Reste à savoir si Abdelilah Benkirane aura la confiance de ses troupes pendant encore longtemps ? En plus des « frondeurs » en interne, il doit gérer des opérations souterraines destinées à le maintenir sous pression.

Un sentiment partagé mais non avoué par la majorité des chefs des partis qui depuis des semaines doivent faire preuve d’ingéniosité et de malice. Comment se rapprocher du « mal aimé » pour décrocher des portefeuilles ministériels sans pour autant être « mal vu » ?

Ce qui explique, en partie, les situations rocambolesques auxquelles nous assistons depuis plus de 100 jours avec cerise sur le gâteau, l’élection à la présidence de la Chambre des représentants sans députés en exercice, et surtout sans majorité ni opposition parlementaire.

La semaine dernière, le parlement a donc élu Habib el-Malki (Union socialiste des forces populaires) président de la première chambre du parlement pendant que la majorité sortante n’a présenté aucun candidat, que le PJD a voté blanc et que le parti de l’Istiqlal se soit retiré après l’ouverture de la séance dédiée au vote. Tout cela pendant que le pays demeure sans gouvernement.

Le roi Mohammed VI n'est pour l'instant, pas intervenu dans la crise (AFP)

Dans cette configuration inédite, sans précédent, le mentor des islamistes, qui doit gérer et subir, n’a d’autre choix que de mettre en sourdine son franc-parler légendaire.

J’en veux pour preuve deux choses. Primo, le message adressé aux membres de son parti le 11 janvier qui, jusqu’à nouvel ordre, ne doivent donner « aucune déclaration, quel que soit le sujet, à aucun média quel qu'il soit ». Deuxio, malgré la coupure de courant avec Aziz Akhannouch, le patron du RNI, accusé d’être à l’origine du blocage, Abdelilah Benkirane lui aurait proposé la présidence de la Chambre des représentants pour rétablir ainsi la communication avec l’homme politique le plus connecté du pays.

De nouveaux messages forts envoyés par le chef de gouvernement qui continue à vouloir faire ses preuves pour montrer sa bonne foi auprès du pouvoir central.

Pendant ce temps-là, les Marocains jettent un coup d’œil furtif à ce qui passe autour d’eux sans pour autant y accorder une véritable importance. Quant aux médias, ils se montrent à l’affût des faits et gestes du personnel politique qui ne s’expriment que par la voie de communiqués. Comme si les tractations et situations du moment ne devaient pas intéresser les citoyens/électeurs. Devant se contenter de communiqués partisans, les médias ne savent plus comment appréhender et traiter la crise politique.

Comme quoi, le dénouement de la crise politique n’est pas un véritable enjeu, au même titre que la récente consultation électorale.

- Rachid Hallaouy est journaliste et éditorialiste installé au Maroc depuis 2006. Après avoir collaboré avec de nombreux médias en presse écrite (L’Economiste), électronique (Yabiladi) et audiovisuel (France 24), il a rejoint Luxe radio pour y lancer en 2011 un concept de débat d’idées traitant de sujets politiques et économiques.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : reconduit à son poste de Premier ministre le 10 octobre dernier, Abdelilah Benkirane n'a toujours pas réussi à former son gouvernement (AFP).

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