Nice, Munich et le terrorisme occidental
De ma base dans le sud de l’Italie ce mois-ci, j’ai vécu la couverture des suites de l’attentat du 14 juillet à Nice en France, qui a fait 84 morts, par la télévision italienne.
On pouvait s’y attendre, cette couverture comportait des titres tels que « Terrorisme islamique partout », ce qui a incité les Italiens autour de moi à proférer des insultes à l’encontre des musulmans impliquant des références à diverses parties de l’anatomie humaine et à hyperventiler sur la façon dont, en Europe, il n’était plus possible de ne serait-ce que marcher dans la rue sans être soufflé par une explosion ou terrorisé par l’islamisme d’une quelconque façon.
Bien sûr, dans d’autres régions du monde, cela fait des années souvent qu’il est risqué de marcher dehors – ou de se livrer à un certain nombre d’autres activités banales comme jouer au football, assister à des mariages, assister à des funérailles, dormir – sans attirer l’attention des projectiles appartenant aux États-Unis ou à Israël, pour ne nommer que les deux principaux responsables.
Il faut dire, sur ce dernier point, que l’Italie elle-même n’est pas un complice insignifiant des modèles meurtriers internationaux compte tenu de l’aide qu’elle apporte en tant que fidèle allié militaire des États-Unis et de son rôle de rampe de lancement pour des missions de drones. Cependant, le terrorisme par drone ne rentre pas en ligne de compte dans les préoccupations eurocentriques.
Après l’attentat de Nice, la télévision italienne a non seulement fait passer de manière on ne peut moins subtile le message selon lequel l’islam est en fait le problème, mais les reportages ont également zoomé à plusieurs reprises sur la carte d’identité de l’assaillant, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, pour offrir aux téléspectateurs un gros plan sur le dernier visage de la terreur, du mal concentré.
La combinaison du discours général terrorisme-islamique-partout et du zoom sur ce visage brun mis en lumière ne fait que doter certaines physionomies d’une nature fondamentalement terroriste. C’est une approche qui est loin d’être propre aux médias italiens et qui réclame toujours plus de profilage racial avancé et de xénophobie.
Il ne s’agit pas, évidemment, de mettre en avant un argument absurde selon lequel les photos de ces assaillants ne doivent pas être diffusées. Il s’agit plutôt de souligner que la victimisation, la calomnie et l’hystérie singulières qui accompagnent ces attaques en Occident ne collent pas avec la réalité. Où sont les zooms sur les cartes d’identité de, par exemple, George W. Bush, Barack Obama, ou Benjamin Netanyahou, afin que nous puissions les examiner péniblement à la recherche d’indices quant à la façon dont ces personnages sont devenus des tueurs sociopathes ?
Il ne s’agit pas non plus de faire peu de cas de l’attaque terrible et tragique à Nice, bien sûr, mais il n’est sans doute pas plus terrible d’être renversé par un camion que d’être réduit en miettes par des munitions américaines et/ou israéliennes. Cette deuxième sorte de massacre continuera, cependant, à être justifiée parce qu’elle est menée par les forces militaires et de sécurité soi-disant légitimes d’États reconnus, nonobstant leurs références sociopathes.
Morale de l’histoire : s’il vous arrive d’être à proximité de formations arabes/musulmanes, vous êtes des dommages collatéraux légitimes – et vous n’avez pas la moindre chance d’être humanisé post-mortem à la façon des victimes de Nice. En fait, il est peu probable que ne serait-ce qu’un iota de votre histoire en tant qu’être humain de cette planète ne puisse franchir le seuil de la conscience occidentale.
Les 84 vies perdues à Nice sont une atrocité aux proportions extrêmes, sans aucun doute. Mais qu’en est-il du demi-million d’enfants irakiens anéantis par les sanctions américaines dans les années 1990, avant même que nous passions aux choses sérieuses avec la guerre contre le terrorisme ? En 1996, la journaliste de télévision Lesley Stahl avait demandé à la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright ce qu’elle pensait des sanctions qui avaient tué « plus d’enfants qu’Hiroshima ».
De l’avis d’Albright : « Je pense que le prix à payer en vaut la peine. »
Bien évidemment, un demi-million de jeunes vies qui s’éteignent progressivement ne sont pas aussi propices au sensationnalisme médiatique qu’un camion déchaîné en France qui tue spontanément 84 personnes. Mais là encore, où est le zoom sur la carte d’identité d’Albright ? Où est la carte d’identité de l’ancienne secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, qui a fait l’éloge du carnage de la guerre d’Israël contre le Liban en 2006 – au cours de laquelle quelque 1 200 personnes ont été rayées de la surface de la Terre –, invoquant les « douleurs de l’enfantement d’un nouveau Moyen-Orient » ?
Pourquoi les explosions de voitures piégées orchestrées par la CIA qui ont tué plus de 80 personnes à Beyrouth ne rentrent-elles pas dans le cadre du terrorisme ou, au moins, dans celui des tragédies mondiales, mais que c’est le cas des véhicules qui tuent plus de 80 personnes en France ?
Il est déjà devenu fastidieux de souligner l’hypocrisie et les divergences institutionnalisées, mais il n’y a pas vraiment d’alternative – en particulier lorsque la fonction même de l’establishment médiatique occidental est d’alimenter une approche anti-empathique, anti-analytique et anti-intellectuelle de l’actualité qui favorise les objectifs politiques des puissances dominantes.
Dans la foulée de la récente fusillade dans un centre commercial de Munich, où neuf personnes ont été tuées, les médias italiens ont été fidèle à eux-mêmes – de même que leurs homologues occidentaux.
Regardant la couverture de cette attaque depuis le sud de l’Italie, je fus informée à plusieurs reprises par la télévision que, bien qu’il n’y ait aucune preuve qu’il s’agisse d’un cas de « terrorisme islamique », le fait que cela ressemblait du moins à un cas de terrorisme islamique revenait sans cesse.
En d’autres termes, l’identité de l’assaillant ou les circonstances précises n’ont pas d’importance – tout le monde doit encore se livrer à une grande séance de pétage de plomb contre les musulmans. Qui sert naturellement à valider de nouvelles mesures punitives racistes sur le plan national et des mesures mortelles racistes à l’étranger.
En fin de compte, on peut affirmer sans risque qu’effectivement, « LE TERRORISME EST PARTOUT » – et que les médias contribuent à le propager.
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des policiers français dans le Centre de supervision urbain (CSU) à Nice, dans le sud de la France, le 26 avril 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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