Permis de tirer en Israël
Yom Kippour (jour du Grand Pardon) est le jour le plus saint du calendrier juif. En Israël, toute activité publique est interdite ce jour-là, y compris les émissions de télévision et de radio. Par conséquent, le journal qui met fin au jeûne du Yom Kippour résume tout ce qui est arrivé en Israël dans les dernières 24 heures.
Le journal de mercredi (24 septembre), le premier après le jeûne, s’est ouvert très sobrement. Yom Kippour s’est déroulé sans événement de sécurité extraordinaire à Jérusalem et en Cisjordanie : il a été annoncé aux téléspectateurs que « toute la région avait été calme et tranquille ».
Pas tout à fait. La veille, à la veille de Yom Kippour, Hadeel al-Hashlamoun, une Palestinienne âgée de 18 ans et originaire d’Hébron, a été abattue par des soldats israéliens à un poste de contrôle dans la ville. L’armée israélienne a affirmé qu’al-Hashlamoun a refusé d’obéir aux ordres des soldats, a sorti un couteau, tenté de les poignarder et a alors été abattue, les tirs ciblant d’abord ses jambes puis la partie supérieure de son corps.
Des témoins oculaires palestiniens ont raconté une histoire très différente. Selon eux, al-Hashlamoun ne comprenait pas ce que les soldats lui criaient en hébreu, a refusé d’ôter son niqab et a été abattue sur place sans raison apparente. Ils ont démenti qu’elle avait un couteau.
Des photos montrant deux soldats pointant leurs armes sur al-Hashlamoun avant qu’elle ne soit abattue et une vidéo prise après la fusillade indiquent que même si la jeune Palestinienne avait un couteau, elle ne constituait guère une menace pour les soldats. Les soldats ont assurément tardé à lui prodiguer des soins médicaux. Amnesty International affirme dans son rapport que des éléments de preuve indiquent que l’homicide d’al-Hashlamoun était « une exécution extrajudiciaire ».
Channel 2 n’était peut-être pas loin de la vérité en ne traitant pas l’assassinat d’al-Hashlamoun comme un événement extraordinaire. Plus de 8 000 Palestiniens, dont de nombreux civils, ont été tués par les forces de sécurité israéliennes depuis le début de la seconde Intifada en octobre 2000. Pourtant, selon un rapport de Yesh Din, une organisation israélienne pour les droits de l’homme, des soldats ont été inculpés pour l’homicide de civils palestiniens que dans seize affaires au cours de cette période. Dans le même temps, plus de mille Palestiniens ont été reconnus coupables d’avoir tué plus de 1 200 civils et soldats israéliens.
Depuis octobre 2000, un seul soldat a été reconnu coupable d’homicide involontaire, il fut condamné à huit ans en prison. Michael Sfard, un avocat israélien spécialisé dans les droits de l’homme, fait remarquer qu’il s’agit d’un cas unique. La victime n’était pas un Palestinien mais un bénévole britannique, Tom Hurndall, et le soldat était un Israélien d’origine bédouine. Par conséquent, les chances que les soldats qui ont tiré sur al-Hashlamoun fassent l’objet d’une enquête, et plus encore celles qu’ils soient accusés ou déclarés coupables, semblent proches de zéro.
Malgré cela, aux yeux du gouvernement israélien, ses forces de sécurité et le système judiciaire sont trop indulgents envers les Palestiniens, et non l’inverse. Jeudi, deux jours après le meurtre d’al-Hashlamoun, le conseil des ministres israélien a décidé d’« assouplir » les règles relatives à l’ouverture du feu par ses forces de sécurité et de fixer une durée minimale de quatre ans de prison pour le jet d’« objets mortels » tels que des pierres et des bombes incendiaires.
Cette décision a été présentée comme une réponse à la violence croissante des Palestiniens, en particulier à Jérusalem et dans d’autres régions de Cisjordanie. Le cas le plus saisissant a eu lieu en début de semaine dernière à Jérusalem : un habitant juif est décédé d’une crise cardiaque après que sa voiture a été attaquée par des lancers de pierres. On ne sait pas exactement ce que les nouvelles règles d’ouverture de feu impliquent, mais elles comprendront certainement le recours aux snipers contre les personnes soupçonnées de lancer des pierres si elles constituent une menace pour les forces de sécurité ou des civils.
Sfard affirme que ce recours à des snipers pourrait être problématique. « Les soldats et les policiers ne sont autorisés à tirer pour tuer que si leur vie ou celle de civils est menacée », explique-t-il. Les snipers ne sont généralement pas en danger et donc avoir recours à eux contre des civils n’est pas opportun, ajoute-t-il.
Sfard affirme également que les peines minimales pour les lanceurs de pierres semblent exagérées. « Il n’y a pas de peine minimale pour les violeurs », fait-il remarquer. « Le jet de pierres est-il pire que le viol ? » Sfard, qui a grandi à Jérusalem, se souvient de juifs orthodoxes jetant des pierres sur les voitures roulant le samedi, le jour saint pour les juifs. Personne n’a osé recourir aux snipers contre eux ou ne les a envoyés en prison pour quatre ans minimum. La volonté d’utiliser ces méthodes contre les Palestiniens semble discriminatoire.
L’impression est que les nouvelles méthodes décidées par le conseil des ministres israélien relèvent davantage de la politique que de la sécurité. Ni le commandement des forces de sécurité israéliennes, ni le ministre de la Défense Moshe Ya’alon n’a demandé ces nouvelles mesures. L’initiative vient d’autres ministres de droite.
Miri Regev, l’actuelle ministre de la Culture et ex-porte-parole de l’armée israélienne, a demandé à changer les règles d’ouverture du feu après un incident durant lequel un soldat israélien a été saisi et frappé par des Palestiniennes après avoir arrêté violemment un jeune Palestinien dans le village de Nabi Salah il y a un mois. « Toute personne qui tente de blesser des civils et des soldats israéliens doit savoir qu’elle devient une cible de choix », a écrit Regev sur Facebook.
La ministre de la Justice Ayelet Shaked du parti du Foyer juif a été la principale instigatrice de la clause de peine minimale pour les lanceurs de pierres, contre la volonté du procureur général Yehuda Weinstein. Shaked, qui a lancé un appel à déclarer l’ensemble du peuple palestinien comme un ennemi « y compris ses personnes âgées et ses femmes » lorsqu’elle était députée, veut également faire passer une nouvelle loi anti-terroriste, en vertu de laquelle les arrestations administratives seront légalisées et les « partisans de la terreur », y compris ceux qui agitent des drapeaux ou écrivent des messages dans les médias sociaux, seront condamnés à trois ans de prison.
Le ministre de l’Intérieur Gilad Erdan a été celui qui avait demandé à durcir les règles d’ouverture du feu pour les policiers à Jérusalem. Il n’a pas hésité non plus à menacer les juges israéliens de les faire passer à côté de promotions s’ils prononcent des peines légères pour les lanceurs de pierre palestiniens. Le discours du Premier ministre Benyamin Netanyahou au sujet de son intention de changer la situation dans laquelle jeter ces objets meurtriers « ne restera pas impuni » semble léger par rapport à l’humeur de ses ministres.
L’incident à Hébron est intervenu deux jours avant la décision du conseil des ministres, mais il n’est difficile de croire que l’atmosphère émanant de ce type de discours a influencé les soldats là-bas. Les politiciens israéliens semblent avoir la gâchette encore plus facile que le commandement de l’armée ou même les soldats eux-mêmes.
À partir de 1977, Israël a été gouverné par des coalitions de droite, excepté de brèves périodes où le centre-gauche a dirigé. Pourtant, de nombreux électeurs et politiciens de droite se plaignent que le vrai pouvoir est resté aux mains des « élites de gauche » dans le système judiciaire, dans l’administration publique ou même dans les forces de sécurité.
Les dernières élections ont entraîné la formation d’une coalition de droite sans partenaires de gauche du centre pour la première fois depuis de nombreuses années. Cela semble être l’occasion rêvée pour la jeune génération de politiciens de droite israéliens comme Erdan, Shaked, Regev, le ministre de l’Éducation Naftali Bennett et les autres de prouver qu’ils peuvent faire une différence et changer le cours de la politique israélienne.
Bennett, chef du parti Foyer juif, a demandé au camp de la droite « d’arrêter de s’excuser » dans sa dernière campagne électorale. Son appel a bien été entendu. Cette nouvelle génération de politiciens n’a pas l’intention de s’excuser d’être de droite. Au contraire. Ils ont la ferme intention de forcer les Israéliens de gauche, que ce soit présumé ou avéré, à présenter des excuses pour leur soutien à des questions curieuses comme le respect des droits de l’homme pour les Palestiniens.
La nomination de l’actuel directeur adjoint du Service de sécurité intérieure (Shabak) comme principal candidat au poste de chef de la police semble être un pas de plus dans cette direction. Le nouveau candidat, suggéré par Erdan et approuvé par Netanyahou, vient de la communauté des colons et vivait encore récemment dans une colonie en Cisjordanie. Son milieu politique ainsi que le fait qu’il provienne d’une organisation qui contrôle de manière directe la vie des Palestiniens montrent clairement où Erdan veut en venir.
La grande question est de savoir à quel point cette rhétorique de droite influencera effectivement la politique d’Israël sur le terrain. L’armée ne semble pas très enthousiaste à l’idée de changer radicalement les règles de conduite avec les Palestiniens et certains éléments importants de la police et du système judiciaire non plus. Ils craignent une nouvelle intifada. Certains politiciens israéliens, semble-t-il, n’en ont pas peur.
- Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un soldat israélien pointe son fusil sur des Palestiniens manifestant dans la ville cisjordanienne de Hébron (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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