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Pourquoi le Hamas ne figurait pas sur la liste saoudienne des exigences présentées au Qatar

Le Hamas ne figure pas parmi les exigences présentées au Qatar. Quelques jours avant, un homme fort du Fatah a conclu un accord avec un des chefs du mouvement, sans que le Hamas soit au courant. Maintenant, le Hamas risque d’imploser

Une omission très remarquée a été relevée sur la liste des treize exigences imposées par les Saoudiens au Qatar – qui a dix jours pour s’y conformer.

Le mouvement en question a indubitablement trouvé refuge au Qatar. C’est une émanation des Frères musulmans, qui s’est donné pour mission l’anéantissement de l’État d’Israël. Le ministre des Affaires étrangères saoudien, Adel al-Jubeir, et l’ambassadrice américaine, Nikky Haley, ont demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de l’inscrire sur la liste des organisations terroristes.

Et pourtant, le Hamas semble avoir disparu de la liste présentée vendredi au Qatar.

Quelques jours avant l’apparition de cette liste, un autre curieux événement s’est déroulé au Caire. Mohammed Dahlan, le rival juré du président palestinien Mahmoud Abbas – qui plus est financé et protégé par les Émiratis –, se trouvait en ville pour rencontrer deux représentants du Hamas, dont l’un est élu.

Al-Resalah, journal de Gaza affilié au Hamas, a confirmé que la réunion s’était effectivement tenue, mais a en revanche nié la présence de Dahlan.

En réalité, non seulement Dahlan – l’homme fort du Fatah, qui, en 2007, fomenta sans succès un coup d’État préventif contre le Hamas à Gaza – participait bien à la réunion, m’a-t-on dit, mais le plus important c’est que Yahya Sinwar, chef nouvellement élu du Hamas à Gaza, y était aussi.

Dahlan a présenté à Sinwar un plan complet, dont voici l’essentiel : « Vous me laissez revenir à Gaza et je réduirai le blocus à la frontière égyptienne ».

Al Fajer, quotidien favorable au régime égyptien, est même allé plus loin : Dahlan, a-t-il annoncé, dirigera le gouvernement à Gaza, contrôlera la frontière entre l’Égypte et Israël ainsi que les finances, tandis que le Hamas conservera le ministère de l’Intérieur, dont les employés seront traités comme salariés de l’administration. Cela risque de ne jamais se concrétiser, mais a au moins le mérite de montrer la direction à prendre.

Comme le siège imposé à la frontière égyptienne a été encore plus brutal que celui ordonné par Israël, cette offre était tentante. Si tentante que Sinwar l’a visiblement scellée d’une poignée de mains. À peine quelques jours plus tard, des camions de carburant franchissaient le poste-frontière à Rafah.

Le seul problème, c’est que le Hamas ne savait rien de ce nouvel arrangement.

En quatre ans, une seule rencontre

Sinwar est le chef du Hamas à Gaza. Des trois subdivisions du Hamas – Gaza, la Cisjordanie et la diaspora –, Gaza est la plus importante, grâce à son statut d’État de fait, mais elle doit compter avec les deux autres.

Il a fallu quatre ans de débats internes pour modifier sa charte. Apparemment, il a suffi à Sinwar d’une seule réunion pour inverser une politique en vigueur depuis onze ans

Le Conseil de la Choura les chapeaute toutes, lui à qui revient d’élire le chef de l’exécutif politique. Le chef actuel de l’exécutif s’appelle Ismaël Haniyeh, il a remplacé Khaled Mechaal à Doha le mois dernier. Pour la première fois de l’histoire du mouvement, le chef de l’exécutif politique vit à Gaza : sa liberté de mouvement est donc restreinte par le siège.

Haniyeh a certifié à ses associés qu’il ne savait rien de la rencontre entre Sinwar et Dahlan. Il n’approuvait évidemment pas la décision qui semblait avoir était prise.

La première mesure de Sinwar comme chef du Hamas à Gaza vient de provoquer une crise sans précédent dans l’ensemble du mouvement. Pendant des décennies, celui-ci a procédé avec prudence, en prenant des décisions bien réfléchies et jamais sans longues périodes de consultation avec toutes les parties du mouvement.

Il a fallu quatre ans de débats internes pour modifier sa charte. Apparemment, il a suffi à Sinwar d’une seule réunion pour inverser une politique en vigueur depuis onze ans, depuis le début du blocus.

Une source informée m’a confié : « Cette initiative sans précédent est très dangereuse pour le mouvement. C’est une tentative évidente de diviser le Hamas, qui depuis 1992, année où les cerveaux du mouvement se sont établis à l’extérieur de Gaza, ne prenait de décisions stratégiques qu’après une large et longue phase de consultation collective. »

« Les Émirats arabes unis [EAU] ont l’intention d’expulser la Turquie et le Qatar de Gaza. Dahlan et les EAU veulent affaiblir l’axe Qatar-Turquie en provoquant une scission du Hamas ».

Trump : un président très courtisé

L’offre faite par Dahlan d’alléger le blocus était autant toxique que tentante.

Tony Blair fit en son temps une offre semblable à Khaled Mechaal, lors d’une série de pourparlers que je fus le premier à révéler. Blair a offert de lever le siège en échange d’une hudna (une trêve). Ces pourparlers ont cependant échoué parce que ni Israël, ni l’Égypte ne les soutenaient. Mais Mechaal fut réticent à l’idée d’échanger le droit de résister à l’occupation (c’en est bien un aux yeux du Hamas) en échange d’approvisionnements illimités en pâtes et chocolat.

Abbas et son principal rival au sein du Fatah, Dahlan, se livrent une concurrence sans merci pour s’assurer les bonnes grâces de Trump

Cette fois-ci, Gaza se débat dans un contexte bien pire. Soumis aux menaces de Trump, Abbas a demandé à Israël de réduire – de six heures par jour à seulement deux – les réserves d’énergie électrique à Gaza (c’est en effet l’Autorité palestinienne, et non Israël, qui paie l’électricité fournie à la bande de Gaza). Cette demande, s’ajoutant à sa décision de tailler dans les salaires des employés de l’Autorité palestinienne à Gaza, voire même les salaires de plusieurs membres du Fatah incarcérés en Israël, a causé d’immenses préjudices à la base soutenant Abbas.

Quand, le jour de l’Aïd, un de ses partisans a arboré une photographie d’Abbas dans le parc de la mosquée al-Aqsa, une foule l’a agressé et a détruit le portrait, aux cris de « Traître ! Traître ! ».

Peut-être Abbas estime-t-il qu’il n’a guère d’autre alternative. Abbas et son principal rival au sein du Fatah, Dahlan, se livrent une concurrence sans merci pour s’assurer les bonnes grâces de Trump.

Dahlan a une fois déjà tenté de revenir en Palestine, en essayant d’organiser une réconciliation avec Abbas. Le président palestinien avait rejeté cette initiative et exclu du comité central du Fatah les partisans de Dahlan. Maintenant, Dahlan essaie de nouveau d’opérer son retour par le biais de Gaza et du Hamas. 

En présence de plus de 50 chefs arabes et musulmans à Riyad, Trump a taxé le Hamas d’organisation terroriste. À cela s’ajoutent l’hostilité déclarée des États arabes et la récente nouvelle tentative de Dahlan d’obtenir un visa d’entrée de la part du Hamas : toutes ces circonstances ont marqué le contexte de la réunion avec Sinwar.

Le lien de Gaza

Pour le moment, Abbas et Dahlan servent tous les deux les intérêts des Saoudiens et des Émiratis, qui souhaitent voir le Hamas réduire la voilure et affaiblir l’influence du Qatar sur Gaza. Le Qatar est le plus important donateur international favorable à la bande de Gaza : il a promis de contribuer à hauteur d’1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) à sa reconstruction. Les ouvriers reçoivent directement cet argent sur les chantiers. Avec un taux de chômage de plus de 40 %, cet argent et ces emplois sont les seules façons de s’en sortir à Gaza.

Quelle fut la réponse saoudienne au geste concédé pour adoucir une position de négociation ? Taxer le Hamas d’organisation terroriste

Le blocus du Qatar est intimement lié au siège de Gaza.

Jusqu’à la réunion du Caire, le mouvement du Hamas montait l’un contre l’autre à son bénéfice les deux courants du Fatah.

Suite à la requête d’Abbas, le Hamas a autorisé des centaines de délégués du Fatah à se rendre de Gaza en Cisjordanie pour leur permettre de voter pour les candidats du comité central du Fatah. Cette opération était destinée à écarter Dahlan et ses partisans du pouvoir et de la Cisjordanie.

De même, le Hamas a envoyé des délégués à une série de réunions au Caire, ce qui les a rapprochés de Dahlan. Dahlan et l’Égypte ont constaté le succès de cette stratégie.

Le Hamas a cher payé les douloureuses leçons tirées tant de la lutte pour le pouvoir dans le Golfe que des rivalités au sein du Fatah.

En fait, le Hamas venait de remplacer sa charte originale par un autre document reconnaissant les frontières qui étaient celles d’Israël avant la guerre de 1967. Si le mouvement s’y est résolu, c’est pour faciliter l’adoption par toutes les factions minoritaires palestiniennes d’une position commune, mais aussi pour venir en aide aux États arabes qui s’efforçaient de réanimer l’Initiative de paix arabe. Quelle fut la réponse saoudienne au geste concédé pour adoucir une position de négociation ? Taxer le Hamas d’organisation terroriste.

C’est typique de l’histoire du Fatah. On a exigé de ce parti concession après concession, sans qu’il n’obtienne quoi que ce soit en échange. Dans la foulée, il a aliéné ses partisans, passés massivement au Hamas. S’il se produisait une hémorragie de partisans du Hamas semblable à celle subie par le Fatah, ces hommes ne prendraient pas le même chemin en sens inverse. Ils viendraient gonfler les rangs des groupes takfiristes, entre autres le groupe État islamique. 

Quand Sinwar est sorti des prisons israéliennes après plus de vingt ans de réclusion, il s’était forgé une solide réputation de militant pur et dur. Il a été libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers entre lui et Gilad Shalit, le soldat israélien capturé.

Il suscita la même envie de négocier que celle éprouvée par les Britanniques lorsqu’ils ouvrirent des pourparlers avec Michael Collins, chef de l’IRA et héros révolutionnaire de la guerre d’indépendance. Or, Collins fut celui qui donna l’ordre de tirer des obus d’artilleries sur les quatre tribunaux dublinois, contre des hommes qui défendaient auparavant sa cause – et qui formèrent l’IRA, opposée au traité : ce fut l’étincelle qui déclencha la guerre civile irlandaise.

Sinwar aurait-il l’intention de marcher dans les pas de Collins, ou dans ceux de Mahmoud Abbas ?

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Yahya Sinwar (au centre), nouveau chef du Hamas dans la bande de Gaza, arrive pour l’ouverture d’une nouvelle mosquée dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza , 24 février 2017 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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