Pourquoi l’Iran et l’Arabie saoudite doivent ralentir
Les tensions entre l’Iran et le monde arabe – et pas seulement l’Arabie saoudite – sont en train de prendre des proportions inquiétantes. L’exécution du célèbre imam chiite cheikh Nimr al-Nimr par le gouvernement saoudien et l’explosion de colère qui s’est ensuivie en Iran, le plus grand pays chiite au monde, marquée par l’assaut injustifié d’une foule de radicaux sur l’ambassade saoudienne à Téhéran et son consulat à Mashhad, une ville du nord, a entraîné une lamentable rupture diplomatique creusant un peu plus le fossé entre l’Iran et le monde arabe.
En réponse à la violente attaque contre les bureaux diplomatiques saoudiens en Iran, pendant laquelle les fanatiques – décrits par le président Hassan Rohani comme « un groupe d’entêtés » – ont provoqué des destructions à l’ambassade et au consulat et incendié la première à l’aide de cocktails Molotov, Riyad a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran.
La décision a été suivie par des actions similaires par Bahreïn, le Soudan et Djibouti. Le Koweït a rappelé son ambassadeur à Téhéran, dans ce que l’on croyait être une dégradation des liens entre les deux pays. Cependant, l’ambassadeur iranien au Koweït, Alireza Enayati, a démenti ces informations et a déclaré qu’il s’agissait tout simplement d’une invitation du gouvernement koweïtien à consulter leur diplomate à Téhéran sur ces développements inquiétants. Les Émirats arabes unis ont également réduit leurs relations diplomatiques avec l’Iran ; peut-être n’ont-ils pas suivi le modèle saoudien consistant à couper tout lien en raison de la forte présence d’hommes d’affaires iraniens à Dubaï et des liens commerciaux étroits entre les deux pays.
Les relations entre Téhéran et Riyad se sont détériorées sérieusement depuis avril dernier lorsque deux gardes saoudiens à l’aéroport de Djeddah ont harcelé sexuellement deux adolescents iraniens. Ils ont été condamnés à 1 000 coups de fouet et à quatre ans de prison par le tribunal pénal de Djeddah, mais ce ne fut pas suffisant pour apaiser les Iraniens et le ministère de la Culture a suspendu tous les vols pour la oumra (pèlerinage à la ville sainte de La Mecque) vers l’Arabie saoudite. Environ 500 000 Iraniens effectuent la oumra chaque année.
Ces liens agités se sont encore détériorés en septembre 2015, après la mort de 465 Iraniens dans une bousculade tragique au cours de la dernière journée des rituels du hadj à Mina dans les environs de la ville sainte de La Mecque, un incident qui a fait au moins 2 411 victimes. Les responsables iraniens ont réagi avec véhémence à la catastrophe, accusant les Saoudiens de mauvaise gestion et d’incompétence en matière de sécurité des pèlerins. Des centaines de victimes étaient originaires de pays comme le Mali, le Nigeria, l’Égypte, le Bangladesh, l’Indonésie et l’Inde, mais la réaction la plus virulente est venue de l’Iran, qui était déjà atterré par les Saoudiens par rapport à leur rôle en Syrie et au Yémen.
La rivalité renouvelée entre l’Iran et l’Arabie saoudite, qui empoisonne les relations de l’Iran avec l’ensemble du monde arabe, rappelle les sentiments xénophobes entre les Perses et les Arabes qui ont fluctué tout au long de leur histoire commune. Ces dernières décennies, Iraniens et Arabes ont eu des échanges croisés, utilisant des termes péjoratifs et désobligeants pour se désigner les uns les autres et saisissant toutes les opportunités de porter un coup à l’autre côté. La guerre Iran-Irak dans les années 1980 en est un exemple flagrant : la plupart des pays arabes de la région – hormis la Syrie – se sont rangés du côté de Bagdad face à la révolution islamique iranienne.
Cependant, les Iraniens et les Arabes ne font qu’ignorer un élément crucial : tous les deux étaient, et sont encore, les piliers essentiels du monde musulman et leur inimitié corrosive ne fait que saper l’unité et la solidarité islamique, transmettant le message embarrassant au reste du monde que les grands pays musulmans sont incapables de maintenir la cohésion et de coopérer pacifiquement.
Ironiquement, 28 pays européens, qui se sont pour la plupart opposés au cours de deux guerres mondiales dans un continent divisé, ont mis de côté leurs différences, ont formé une alliance forte à travers l’Union européenne et beaucoup d’entre eux sont impliqués dans un partenariat militaire collectif sous l’égide de l’OTAN pour se défendre les uns les autres dans le cas où l’un d’eux serait confronté à une agression extérieure.
Bien sûr, les atteintes commises par une foule de radicaux sur les bâtiments diplomatiques saoudiens à Téhéran et Mashhad constituaient la scène la plus troublante et répugnante qui pouvait arriver. Ce qui s’est passé était tellement inexcusable que presque tous les grands responsables iraniens, qu’ils soient modérés ou conservateurs, dont le président Rohani, ses adjoints et son porte-parole, les députés et même un haut responsable des Gardiens de la révolution islamique ont condamné cet acte sans équivoque et ont demandé à ce que ses auteurs soient poursuivis. Le brigadier général Mohsen Kazemeini du corps des Gardiens de la révolution islamique a qualifié l’attaque d’« acte injustifiable et triste ».
Il n’y a aucune raison de défendre l’indéfendable et il semble que nous, le peuple iranien, payons une fois de plus le prix de l’acharnement et de l’inflexibilité de ceux qui prévoient encore d’infliger des dégâts à l’économie de la nation, à sa politique étrangère et, surtout, à sa réputation internationale – après huit ans de contrôle ultime sur tous les centres de prise de décisions essentiels pendant le mandat de M. Mahmoud Ahmadinejad en tant que président.
Cependant, de leur côté, les Saoudiens n’auraient pas dû décider précipitamment et spontanément de couper leurs liens diplomatiques avec l’Iran du jour au lendemain, parce que ça ne fait évidemment qu’accroître davantage l’instabilité dans un Moyen-Orient déjà instable et ajoute de l’huile sur le feu du sectarisme, ravivant l’hostilité perso-arabe d’il y a 1 400 ans, ce qui est parfaitement préjudiciable aux deux peuples.
En outre, les Saoudiens n’auraient pas dû provoquer une campagne de désinvestissement massif en Iran en encourageant les autres pays arabes à prendre des mesures hostiles contre Téhéran. Bahreïn et le Soudan n’avaient pas intérêt à rompre leurs relations avec l’Iran. Cela complique les choses pour les deux parties et prive les gens ordinaires de possibilités économiques, culturelles et sociales. Alors que l’Iran et l’Arabie saoudite avaient fait preuve d’une certaine tempérance afin d’engager des négociations multilatérales sur l’avenir d’une Syrie déchirée par l’horreur, la suspension des relations diplomatiques réduit ces chances apparemment à néant, suscitant des inquiétudes quant à la persistance interminable de la guerre civile en Syrie.
J’ai été déçu de lire un édito du rédacteur en chef d’Al-Arabiya English, Faisal J. Abbas, intitulé « By cutting ties with Iran, Saudi Arabia executed the 48th terrorist » (« En coupant ses liens avec l’Iran, l’Arabie saoudite a exécuté le 48e terroriste »). Les accusations contre l’Iran constituent une sorte de fil conducteur constant à travers l’article. M. Abbas affirme que l’Iran finance le terrorisme, tourmente son propre peuple brutalement et est un refuge pour al-Qaïda ! Qu’importe la vérifiabilité de ces affirmations, il est tellement triste de noter que ce journaliste arabe et bien d’autres personnalités publiques comme lui dans le monde arabe ont ce point de vue si pessimiste de l’Iran. Chercher des coupables et condamner l’autre pour des crimes dont nous sommes nous-mêmes déjà accusés ne nous aidera pas à régler nos différends.
L’Iran accuse l’Arabie saoudite de sponsoriser et de financer le groupe EI en Syrie et, en retour, les Saoudiens accusent l’Iran d’attiser le conflit sectaire au Moyen-Orient. Est-ce que s’accuser mutuellement à n’en plus finir est une solution pour parvenir à la paix et à la stabilité ?
En ces temps de tension, alors que tous les musulmans du monde entier, qu’ils soient iraniens, turcs, arabes, indiens, pakistanais ou européens, font face à la menace terrifiante de l’islamophobie, à l’expulsion de leur pays de résidence, au blasphème, à la révocation de visa, au refus d’embarquement dans les aéroports, au profilage racial et bien sûr à des ennemis sérieux comme Donald Trump et les gens qui pensent, comme lui, que tous les musulmans devraient se voir interdire l’entrée aux États-Unis, il est préférable que l’Iran et l’Arabie saoudite ralentissent, apaisent les tensions et mettent à profit leur nombreux liens culturels, historiques et religieux au lieu de s’ingénier à se diffamer et à s’attaquer mutuellement en public.
- Kourosh Ziabari est un journaliste primé travaillant pour différents journaux. Il écrit pour Iran Review et est le correspondent de Fair Observer, un média basé en Californie. Il a également écrit pour le Huffington Post, Your Middle East, International Policy Digest, Gateway House et Tehran Times.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des manifestants iraniens ont mis le feu à l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran lors d’une manifestation contre l’exécution du haut dignitaire religieux chiite Nimr al-Nimr par les autorités saoudiennes, le 2 janvier 2016 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
New MEE newsletter: Jerusalem Dispatch
Sign up to get the latest insights and analysis on Israel-Palestine, alongside Turkey Unpacked and other MEE newsletters
Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.