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Pourquoi la campagne contre le Qatar est vouée à l’échec

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont eu les yeux plus gros que le ventre dès qu’ils s’en sont pris au Qatar, un pays avec de vastes richesses et de puissants alliés

Depuis quelque temps, il apparaît que la guerre contre le groupe État islamique (EI) et son ancêtre al-Qaïda n’est pas le seul spectacle à voir au Moyen-Orient. En réalité, la plupart du temps, la guerre contre le terrorisme a été un spectacle secondaire.

Les efforts déployés pour mettre au pas le Qatar en fermant ses frontières et en assiégeant effectivement le pays a mis en lumière les forces réelles en lice pour la domination de la région dans le monde post-occidental dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Trois blocs régionaux se disputent les commandes.

Le premier est dirigé par l’Iran – ses acteurs étatiques, dont l’Irak et la Syrie, ainsi que ses acteurs non étatiques, à savoir les milices chiites en Irak, le Hezbollah et les Houthis.

Le deuxième se compose des anciens régimes des monarques absolus du Golfe – Arabie saoudite, Émirats arabes unis et Bahreïn – et inclut également la Jordanie et l’Égypte.

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Le troisième bloc est dirigé par la Turquie, le Qatar, les Frères musulmans et les forces qui ont joué un rôle dans le printemps arabe.

Peu de temps après la fermeture de la frontière terrestre entre le Qatar et l’Arabie saoudite le 5 juin à l’aube, le Pentagone a salué l’« engagement durable [du Qatar] envers la sécurité régionale »

Dans cette lutte à trois, les alliés des États-Unis sont tout aussi déstabilisants pour l’ordre régional que les ennemis des États-Unis et la campagne lancée contre le Qatar en est un parfait exemple.

L’Arabie saoudite a commis une erreur de calcul stratégique en essayant d’imposer sa volonté au petit Qatar. En effet, ce faisant, le royaume a bouleversé un ordre régional sur lequel il s’est appuyé pour se confronter à la domination de l’Iran dans des pays qui l’entourent.

Autrement dit, si la guerre civile soutenue par l’Iran en Syrie a réuni l’Arabie saoudite et la Turquie, le conflit qatari a eu l’effet contraire. En réalité, cela pourrait entraîner la construction d’une cause commune partagée par l’Iran, la Turquie et les forces de l’islam politique sunnite – aussi étrange que cela puisse paraître.

Même si les deux puissances ne se jettent pas naturellement dans les bras de l’autre, elles pourraient s’unir face aux politiques imprudentes et irréfléchies de l’Arabie saoudite. Le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif était à Ankara ce mercredi.

Le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif était à Ankara ce mercredi (Reuters)

Le Pentagone contredit les tweets de Trump

Les deux tournants de la campagne saoudienne contre le Qatar sont la décision du parlement turc d’accélérer l’adoption d’un texte de loi permettant le déploiement de troupes turques sur une base au Qatar et la déclaration du corps des Gardiens de la révolution islamique iraniens, qui a accusé l’Arabie saoudite d’être responsable des attaques contre le parlement iranien et le mausolée de l’ayatollah Khomeini qui ont fait douze morts.

Cela place l’Arabie saoudite dans une situation d’isolement. Le royaume peut intimider un plus petit pays mais ne peut pas se défendre lui-même sans un important soutien militaire étranger.

Ne se contentant pas de museler ses propres médias, ils veulent faire fermer tous les médias qui révèlent la vérité gênante sur leur régime despotique, vénal et corrompu, où qu’ils se trouvent dans le monde

Quoi que son commandant en chef puisse tweeter, l’armée américaine dans le Golfe s’efforce d’éviter de devoir le lui apporter. Ce qui est probablement l’une des raisons pour lesquelles la Maison Blanche et le Pentagone ont dit des choses différentes cette semaine sur le Qatar.

Peu de temps après la fermeture de la frontière terrestre entre le Qatar et l’Arabie saoudite le 5 juin à l’aube, le Pentagone a salué l’« engagement durable [du Qatar] envers la sécurité régionale ».

Évoquant la base aérienne d’al-Udeid, qui est la base avancée du Commandement central des forces aériennes des États-Unis, l’institution a clairement indiqué que « tous les vols se poursuiv[aient] comme prévu ». Environ 10 000 soldats américains y sont basés.

Sont ensuite venus les tweets de Trump, dans lesquels il revendiquait pour l’essentiel la paternité des manœuvres extraordinaires lancées contre le Qatar en affirmant qu’elles étaient le fruit du discours qu’il avait prononcé à Riyad devant 50 dirigeants arabes et musulmans. Ces propos ont été suivis d’une deuxième déclaration du Pentagone, renouvelant les éloges envers le Qatar pour son accueil des forces américaines.

Le Pentagone a été rejoint par l’Europe, ou du moins par le ministre des Affaires étrangères de son État le plus important, l’Allemagne. « On veut apparemment plus ou moins isoler complètement le Qatar et le toucher dans son existence, a déclaré Sigmar Gabriel. Une telle "trumpisation" des relations dans une région de toute façon en proie aux crises est particulièrement dangereuse. »

Peu de temps après la décision turque, Trump était au téléphone avec l’émir du Qatar pour proposer une médiation ; 24 heures après son tweet, il semblait que le message de son armée lui avait été transmis.

Des erreurs de calcul

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont eu aujourd’hui les yeux plus gros que le ventre.

Leur première erreur de calcul a été d’adhérer au discours de Trump. Lorsque vous achetez un produit Trump, vous devez être conscient de ses effets secondaires. L’un d’entre eux est le climat profond de ressentiment, d’hostilité et de résistance que Trump a lui-même suscité dans son pays.

Ce qui n’est pas négligeable lorsque l’on observe qui est en colère contre Trump : la CIA, le Pentagone, le département d’État, les sénateurs de tous les horizons et les juges. Ce n’est pas seulement l’état profond américain, mais si ce n’était qu’eux, ils seraient déjà assez.

Le très médiatisé ambassadeur émirati à Washington, Yousef al-Otaiba, a fait l’erreur classique de croire que comme il avait un ancien secrétaire à la Défense – Robert Gates – qui mangeait dans sa main, le reste du département de la Défense aurait fait de même. Ce n’était manifestement pas le cas.

L’ambassadeur russe aux États-Unis Sergueï Kislyak, désormais décrit comme le diplomate le plus dangereux de Washington, est tombé suite à un acte similaire d’orgueil démesuré. Tous ces ambassadeurs confondent leur succès en tant que lobbyistes avec la politique étrangère. Ces deux choses sont différentes.

Leur deuxième erreur de calcul a été de supposer que comme le Qatar est un petit pays, aucune nation plus grande ne se serait portée à sa défense. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont tous deux réalisé des investissements considérables en Turquie, dont un qu’Abou Dhabi a effectué après avoir essayé de déloger Recep Tayyip Erdoğan lors d’un coup d’État. Les deux pensaient que la Turquie aurait été achetée.

C’est l’inverse qui s’est produit. Erdoğan s’est rendu compte que si le Qatar était écrasé, il serait le seul homme encore debout dans ce camp.

Leur troisième erreur de calcul a été de révéler ce qu’ils reprochent réellement au Qatar. Cela n’a rien à voir avec le fait de financer le terrorisme ou de se rapprocher de l’Iran. En réalité, les Émiratis font des affaires en or avec l’Iran et ils font partie de la coalition qui accuse le Qatar de se ranger du côté de Téhéran.

Leurs exigences réelles, qui ont été transmises à l’émir du Koweït – qui sert d’intermédiaire – sont la fermeture d’Al-Jazeera, l’arrêt du financement d’Al-Araby al-Jadid, d’Al-Quds al-Arabi et de l’édition arabe du Huffington Post, ainsi que l’expulsion de l’intellectuel public palestinien Azmi Bishara.

Ce sont ces médias qui révèlent – en arabe – les histoires que ces dictateurs arabes ont le moins envie que leurs citoyens lisent. Ne se contentant pas de museler ses propres médias, ils veulent faire fermer tous les médias qui révèlent la vérité gênante sur leur régime despotique, vénal et corrompu, où qu’ils se trouvent dans le monde.

Israël se joint à la triste fête

Le Hamas et les Frères musulmans n’apparaissent qu’en septième position de cette liste d’exigences. L’inclusion du Hamas dans cette liste est une autre erreur de calcul, car quoi que les États-Unis puissent penser du mouvement palestinien, celui-ci est populaire dans le Golfe.

C’est là qu’Israël se joint à la triste fête. Comme le révèlent les e-mails piratés d’al-Otaiba, les Émiratis et le gouvernement de Benjamin Netanyahou sont comme les deux doigts de la main.

Le Premier ministre israélien a tout à fait raison de penser qu’il a le soutien des principaux États arabes en réprimant tous les progrès effectués vers un État palestinien véritablement indépendant. C’est plus ou moins la dernière chose que souhaitent l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite. Les royaumes sont tellement désireux de normaliser les relations avec Israël qu’un commentateur saoudien a récemment été interviewé pour la première fois sur la chaîne israélienne Channel 2.

Le poète égypto-palestinien Tamim al-Barghouti a apporté un commentaire approprié à ce sujet. Sur sa page Facebook, il a écrit :

« À l’occasion du 50e anniversaire de l’occupation israélienne de Jérusalem, une alliance se forme entre l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et Israël et établit un siège terrestre et aérien autour d’un pays arabe pour une raison qui n’est autre que son soutien à la résistance palestinienne et libanaise et aux révolutions arabes au cours des deux dernières décennies, en particulier la révolution égyptienne qui a déchu l’allié d’Israël et menacé l’autorité militaire de Camp David au Caire. Ils ne punissent pas Doha pour la Syrie, la Libye, le Yémen et la base américaine.

Ils le punissent pour le témoignage d’Al-Jazeera au cours des guerres en Irak, au Liban et à Gaza et pour son soutien à la résistance palestinienne en 2009, 2012 et en 2014 et à la résistance libanaise en 2000 et en 2006. Ils le punissent pour la chute de Moubarak en 2011.

Un officier militaire en faillite et terrifié qui souffre du syndrome de Macbeth et qui lave le vieux sang sur ses mains pour le remplacer par du nouveau sang et un adolescent qui se hâte pour devenir roi et qui nourrit l’ambition de dépasser à tout prix son cousin dans la course au trône ont choisi la date du 5 juin dans le but spécifique d’annoncer que leur pays venait de rejoindre la profondeur stratégique israélienne. »

La dernière erreur de calcul ? Le Qatar n’est pas Gaza. Ce pays a des amis avec de puissantes armées et, avec une population plus faible que Houston, dispose d’un fonds souverain d’une valeur de 335 milliards de dollars. C’est le plus grand producteur de gaz naturel du Moyen-Orient. Il entretient une relation avec Exxon. Les Saoudiens et les Émiratis ne sont pas les seuls participants au jeu des lobbies. Et même Gaza a survécu à son siège.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, assiste au 25e sommet arabe à Koweït, le 25 mars 2014 (Reuters)

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation

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